L’ouvrage présenté porte en titre la devise qui apparaît sur les armes de la République de Haïti. Elle évoque ici l’espoir des Noirs américains du XIXe siècle de rejoindre la
première nation indépendante dirigée par les descendants d’esclaves noirs depuis 1804 qui exerça sur eux une « irrésistible attraction ». La période étudiée s’achève en 1893, date de l’Exposition universelle de Chicago où le pavillon haïtien servit de tribune et de « quartier général » au mécontentement noir américain.
L’auteure, maître de conférences à l’Université de Paris 8, spécialiste de l’histoire des Africains Américains au XIXe siècle, qui a publié ce livre à partir de sa thèse de doctorat, s’est appliquée « à démontrer que les interactions entre les Noirs d’Haïti et les Noirs américains furent nombreuses et complexes ». Elle éclaire ainsi un aspect particulier de l’histoire générale de la traite et de l’esclavage atlantique ainsi que la question des relations entre les Etats-Unis et Haïti au cours de ce siècle.
Ces liens furent importants dès la fin du XVIIIe siècle avec la colonie, alors française, « de Saint-Domingue ». La victoire emblématique des esclaves et affranchis noirs sur les armées de Napoléon,et la déclaration d’indépendance, qui la suivit en 1804, donnèrent à la nation haïtienne (qui ne fut reconnue par les Etats-Unis qu’en 1862) aussi bien une image crainte et abhorrée aux planteurs blancs des Amériques et de la Caraïbe qu’une aura de terre promise, rêve d’une nation noire à l’unité et à la dignité retrouvées, aux esclaves du Sud des Etats-Unis et à la communauté noire éduquée de libres et d’affranchis des Etats du Nord.Ceux-ci oscillèrent au cours du XIXe siècle entre deux choix : se battre pour s‘intégrer et obtenirles droits civiques dans la nation américaine « Stay and Fight » ou émigrer, ne voyant de solution que dans la quête d’un refuge à l’extérieur du pays notamment en Afrique (Sierra Leone et Liberia) « Back to Africa » ou en Haïti.
L’abolition de la traite négrière, puis l’interdiction de l’esclavage par le
13e amendement à la Constitution américaine, en 1865, n’avaient en effet pas amélioré la situation des esclaves libérés ni leur accès promis aux droits civiques, laissant place aux exactions, aux violences, au racisme, puis à la ségrégation et àl’obsession blanche de se débarrasser des Noirs affranchis puis libérés en organisant leur départ des Etats-Unis sous le prétexte d’une colonisation visant à civiliser les territoires d’émigrationà l’aide des valeurs apprises en Amérique.
C’est dans ce contexte général, bien connu, que l’ouvrage explore le sujet de
l’émigration des Noirs américains au XIXe siècle (y compris de leur émigration volontaire et souhaitée) dans le sens le plus prosaïque, « à savoir le fait de se rendre physiquement en Haïti comme résident temporaire ou émigré ». Sont également mis en relief l’intérêt et les mobiles des haïtiens pour favoriser l’arrivée des Noirs américains et le rôle du tropisme haïtien dans l’émergence du sentiment d’appartenance à une nation d’identité noire.
Dans les faits, les tentatives d’installation de plusieurs milliers de Noirs
américains en Haïti, à deux reprises, dans les années 1820, puis les années 1855/1862, se soldèrent par des échecs et l’auteure constate qu’après 1865 et l’amendement de la Constitution américaine interdisant l’esclavage, les espoirs des Noirs américains s’éloignèrent d’Haïti pour se concentrer sur l’Afrique, marquant ainsi la naissance de l’idée panafricaine à la fin du siècle.
L’intérêt et l’originalité de cet ouvrage, nourri des qualités d’un travail universitaire, est d’avoir exploité dessources archivistiques, diplomatiques ou religieuses, des périodiques, discours et rapports et les nombreux ouvrages d’une bibliographie importante mais
essentiellement consacrée à des références américaines. Ces sources ont permis à l’auteure d’effectuer l’étude approfondie et éclairante, tant des vaines tentatives d’immigration sur la terre haïtienne (y compris celle qui fut la conséquence de la volonté d’Abraham Lincoln de soutenir la colonisation vers Haïti), que des enjeux diplomatiques et militaires dans les relations entre Haïti et les Etats-Unis. Dans la dernière partie du siècle, tous les ambassadeurs américains en Haïti furent des Noirs : l’un d’entre eux, Frédérick Douglass, un ancien esclave devenu homme politique et diplomate, choisi par les Haïtiens pour être le commissaire du pavillon d’Haïti à l’Exposition universelle de Chicago, en 1893, inspire des pages particulièrement bien documentées. Des développements important sont consacrés àl’exposition elle-même qui traita par l’ignorance ou le mépris, la situation des Noirs des Etats Unis et d’ailleurs, à la seule exception du pavillon d’Haïti.
Sur ces différents points le livre met donc à la disposition de ses lecteurs des
informations précises auxquelles il n’est pas toujours aisé d’accéder.
En revanche, on sera beaucoup plus réservé sur l’affirmation réitérée au fil des pages selon laquelle l’étude présentée serait entièrement novatrice, et viendrait combler un vide
historiographique sur le sujet des relations entre les Etats-Unis et Haïti au XIXe siècle et des tentatives d’émigration qu’y firent les Noirs américains.
L’exploitation, sans doute bien conduite,de sources essentiellement américaines a en effet laissé peu de place à d’autres travaux afférents à la question étudiée, effectués par des historiens français et caribéens, dont on s’étonnera de ne pas voir figurer les noms, car ils se sont également penchés, avec leurs équipes de recherche, sur la question traitée.
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