Histoire de la médecine à l'île Bourbon - La Réunion

Recension rédigée par Jean-Pierre Dedet


            Ce volumineux ouvrage (deux volumes totalisant près de 600 pages) de Bernard-Alex Gaüzière et Pierre Aubry est une histoire très détaillée de la santé, des maladies et de la médecine, aux différentes étapes de l’histoire de cette île

            Aux dires même de ses auteurs, cet ouvrage ne peut être lu de page en page, dans sa totalité, mais plutôt consulté selon les intérêts du lecteur. Il constitue un ouvrage de référence destiné à des spécialistes désireux de creuser certains aspects de l’histoire de l’île.

            L’un de ses chapitres les plus instructifs est le chapitre 1, introductif, qui présente les grandes périodes de l’histoire de cette île au destin singulier, et leurs corolaires dans les domaines de la santé et la médecine. Ce chapitre est le passage obligé de tout lecteur de cet ouvrage, car il lui permettra de s’orienter dans la masse de connaissances déposées dans cet ouvrage.

            Île déserte jusqu’en 1646, elle devient une étape pour les navires de la Compagnie des Indes Orientales : sa faible population éparse et la grande salubrité de son milieu naturel en font une « île hôpital », « l’infirmerie de Madagascar », dont la population, lentement croissante, est en bonne santé, et où la médecine est pratiquée par les chirurgiens ou les barbiers de la Marine. A partir du XVIIIe siècle, la mise en valeur et le développement du système de plantation (avec l’introduction du café) sur l’île pratiqués par la Compagnie des Indes amène un afflux de populations extérieures (Européens, esclaves amenés de Madagascar et de la côte orientale de l’Afrique) générateur de grandes épidémies (variole, dysenterie, lèpre, peste).

            Au XIXe siècle, l’abolition de l’esclavage donne naissance au système de l’engagisme, où des travailleurs sous contrat étaient recrutés dans le Sud de l’Inde, en Afrique, à Madagascar, au Comores ou en Chine, pour une durée de cinq ans renouvelable, afin de fournir une main d’œuvre bon marché dans les plantations de la canne à sucre qui avait remplacé le café ; ici encore les grandes épidémies sont présentes : variole et choléra, et le paludisme fait son apparition sur les côtes. A partir de 1850, l’île connaît une crise profonde et durable d’origine multifactorielle (destruction de la canne à sucre par un insecte, concurrence de la canne à sucre de Cuba et de la betterave sucrière en métropole, percement du canal de Suez), qui aboutit à la disparition des grandes propriétés, à la parcellisation des surfaces cultivables : le marasme économique entraîne une situation sanitaire désastreuse, aggravée par les conséquences de la Guerre de 1914-1918. Si la période 1920-1940, époque des grandes sociétés sucrières, voit une reprise démographique, les conditions sanitaires restent déplorables et sont amplifiées par le blocus de l’île par les Anglais durant la Deuxième Guerre Mondiale (1940-1942). A la fin de cette guerre, la population de La Réunion présente les caractéristiques d’une société de plantation sous-développée avec prédominance des maladies infectieuses endémiques. A partir de la départementalisation de l’île (1946), les infrastructures sanitaires se développent, les maladies infectieuses sont contrôlées par des interventions de santé publique, et une transition épidémiologique rapide s’opère, avec une apparition des maladies dégénératives, maladies de la civilisation.

            Les chapitres suivants portent sur l’histoire de la médecine traditionnelle (chapitre 2), des syndromes liés à la culture (chapitre 3), de la psychiatrie (chapitre 4) et de l’obstétrique (chapitre 5). Certains d’entre eux se structurent en deux parties : dans le monde et à La Réunion, et l’on peut se demander si les auteurs n’auraient pas eu intérêt à éviter de raconter l’histoire de la psychiatrie ou de l’obstétrique depuis l’antiquité jusqu’au XXe siècle, en se focalisant sur l’histoire de ces disciplines à La Réunion. De même, dans le volumineux
chapitre 6 consacré à l’histoire des maladies infectieuses transmissibles tant à La Réunion que dans les pays voisins, le lecteur pense qu’il était superflu de raconter l’histoire générale de la poliomyélite, du paludisme ou de la tuberculose à travers les âges. Cet excès d’informations nuit à la perception du sujet même de l’ouvrage.

            Parmi les intoxications citées, j’ai été déçu de ne pas voir évoqué le saturnisme dont nous voyions régulièrement, dans les années 1960, des cas liés aux mortiers obturés au plomb, lorsque leur fond était percé, suite à un usage continuel pour écraser le piment en vue de la préparation du rougail.

            Le tome 2 est consacré, aux maladies de la civilisation à La Réunion (surpoids, obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale chronique, cancers), à diverses autres maladies non transmissibles (béribéri, brûlures, épilepsie), aux intoxications (alcoolisme, tabagisme, animaux marins, plantes). Sont ensuite envisagés l’histoire des hôpitaux et des établissements de santé, de la police sanitaire et des lazarets, du thermalisme local, de la démographie des professions de santé, des relations médicales avec Madagascar et Pondichéry. Un dernier chapitre particulièrement intéressant et informatif concerne quelques grandes figures du monde de la santé à La Réunion.

            Au demeurant, mis à part les critiques mineures évoquées ci-dessus, le lecteur salue la grande richesse documentaire de l’ouvrage qui en fait un ouvrage de référence, irremplaçable pour la connaissance médicale de l’île de La Réunion. Les spécialistes des diverses disciplines médicales, maladies ou problèmes sanitaires qui souhaiteraient connaître leur histoire ou leur situation dans l’île trouveront réponse à leurs interrogations dans l’un ou l’autre des chapitres de ce précieux ouvrage. On ne peut, pour terminer, que saluer la somme exceptionnelle de travail qu’a dû nécessiter son élaboration.

                                                                                                    


 
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