L'empire colonial français : de l'histoire aux héritages (XIXe-XXIe siècles)

Recension rédigée par Olivier Grenouilleau


Professeur émérite à Sciences Po Bordeaux, Hubert Bonin travaille depuis de nombreuses années sur l’histoire contemporaine des outre-mers, principalement économique, dont il est sans conteste l’un des meilleurs spécialistes. Le large champ de ses recherches lui permet d’écrire ici un livre vraiment original. De nombreux manuels d’histoire de l’empire colonial français existent. Hubert Bonin s’inspire de ce type d’ouvrage (présentation très didactique, bibliographie étoffée…), mais entend proposer quelque chose de différent, tant dans le ton que dans le contenu. Volontairement libre et décomplexé, le premier sert parfaitement le second.

Car ce qui intéresse Bonin ce ne sont pas (seulement) les faits, ce sont surtout les problèmes que l’on se pose à propos de l’histoire de l’empire colonial français. A chaque, fois, quels que soient les thèmes et les chapitres, l’auteur part donc d’un questionnement. Avant de présenter les différentes thèses en présence. Il en pose clairement les enjeux et, sans jamais leur apporter de réponses toutes faites, sait souligner leurs avantages et leurs limites, laissant finalement au lecteur le soin de juger. Il s’agit, écrit-il, de ne « sombrer », ni « dans le récit national, ni dans l’anti-récit mémoriel où l’on chemine comme au long d’un calvaire chrétien en implorant le pardon à chaque croix du passé ». « J’annonce ma couleur », poursuit-il : « je crois que le choix de tout cheminement simpliste, monovalent, constituerait une usurpation de la réalité historique » (p. 9-11).

Tous les thèmes sont abordés : « le mouvement de colonisation » (partie 1), « l’empire économique » (2), « l’empire immatériel – identités et influences » (4), « des aspirations émancipatrices aux héritages actuels » (5). N’excluant aucun thème ni aucun auteur, multipliant finement les questions, il présente un très riche inventaire des interrogations - classiques ou récentes, entendues ou brûlantes – que cette vaste histoire soulève. Brassant une énorme historiographie, ce qui intéresse Bonin c’est d’ouvrir ainsi le passé sur le présent, voire d’interroger le passé à partir des éléments perçus aujourd’hui comme hérités de ce passé. Manuel dans sa conception académique, ce livre est donc, de par son contenu et ses objectifs, un essai.

  Un essai pleinement réussi. Abordant une multitude de questions, l’auteur ne peut, à l’évidence, être toujours parfaitement au point. L’abolition de la traite et de l’esclavage, par exemple, n’est pas uniquement portée par les « valeurs » d’une Révolution française (p. 24) par ailleurs plurielle. S’agissant de traite illégale, il faut sans doute davantage parler de Nantes (70% de la traite interdite métropolitaine) que de Bordeaux. Quant à Victor Schoelcher, il n’est que l’arbre masquant une forêt abolitionniste, laquelle n’est pas entièrement ni totalement républicaine.

Spécialistes de sujets différents du mien, d’autres pourront sans doute faire, ici ou là, des remarques du même genre. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt et à la solidité de l’ouvrage, plus tenté, répétons-le, par la provocation (le mot est de l’auteur) de l’intelligence que par la narration de faits. D’où, également, certaines libertés avec le style académique et l’emploi de termes parfois anachroniques ou d’expressions un peu « ramassées » : il s’agit, encore une fois, de susciter l’interrogation. Tout cela peut irriter. Mais la largeur de vue suscite l’admiration, tout comme la capacité à montrer que rien n’est aussi simple que l’on pourrait l’imaginer. Non, la colonisation n’est pas le résultat d’intérêts économiques, nous dit l’auteur, même si, localement et conjoncturellement, quelques milieux économiques ont pu y pousser. Oui, l’Empire a ensuite servi l’économie métropolitaine, même s’il ne constitua jamais une chasse-gardée, fut moins l’eldorado rêvé qu’un pari sans cesse remis sur l’avenir, et qu’il fallut l’abandonner pour que la France modernise son appareil économique et s’insère dans la construction européenne. Pour ne citer que deux exemples de questionnements et réponses complexes que l’on trouvera dans ce livre…

Aux étudiants et à l’honnête homme, l’ouvrage servira d’introduction à l’histoire du second empire colonial français, en ouvrant large les perspectives. Aux spécialistes, il rappellera que rien n’est jamais acquis.