La première Compagnie des Indes, 1664-1704 : apprentissages, échecs et héritages

Recension rédigée par Josette Rivallain


            Cet ouvrage est issu de la thèse soutenue par l’auteur. Rédigé en une langue claire, il expose l’historique de la première Compagnie des Indes françaises qui se révéla être le brouillon de la seconde Compagnie des Indes, qui fut prospère au XVIIIe siècle. Marie Ménard-Jacob exploite ici de nombreuses sources documentaires provenant des Archives de la Compagnie royale des Indes orientales (1664-1719), des autres Compagnies, françaises ou non, du Service historique de la Défense impliquées dans l’aventure avec les Indes, des récits de voyages, des études comme celles des missions françaises en Inde, afin d’en apprécier ce qu’ils disent et ce qu’ils taisent.

            L’auteur a choisi d’insister sur les agents en poste dans les comptoirs de l’Inde et les évènements propres à la péninsule indienne.

            Dès le XVIe siècle, les premiers, les souverains espagnols affermèrent le commerce au loin à des compagnies privées dirigées par des financiers et des armateurs. Colbert, jaloux du prestige commercial de la Hollande d’alors, tira bénéfice de ces expériences, et, après avoir décidé le roi de France, lança une nouvelle compagnie. Le ministre voulait associer la Marine et le négoce comme moyens de puissance, faisant appel aux capitaux de la grande noblesse, en fait peu intéressée, car peu impliquée dans les projets capitalistes. Jusque là, c’étaient les acteurs du monde du commerce qui détenaient les capitaux. De plus, la finalité de ce projet était éclipsée par le succès des Indes occidentales. Ainsi, en 1664, la Première Compagnie des Indes correspondait à une décision d’Etat, avec pour premiers pôles d’exploitation envisagés Madagascar, Surate et Pondichéry. La Compagnie possédait ses propres vaisseaux, son personnel de mer, ses espaces de construction et de réparation.

            La délimitation géographique des Indes était floue, ce qui était fâcheux pour les investisseurs, et la route pour y accéder bien longue. Entre les décisions prises à Paris où l’on méconnaissait les réalités de terrain, la frustration des hommes mis en poste dans les comptoirs qui se sentaient démunis, la Compagnie, déficitaire et véritable gouffre financier, allait mal et, dès 1704, son arrêt s’annonçait. Sur place, les agents firent l’expérience d’une structure nouvelle, tentèrent de créer une continuité dans leurs activités, mais, en France, la Chambre générale ne sut pas adopter une ligne de conduite claire. La seconde Compagnie bénéficia de l’expérience de la première. Avant tout, le décalage entre les réalités en Inde, les conjonctures politiques et économiques en France ne cessèrent de s’agrandir. Les guerres mirent un point d’orgue à son développement

            L’autre volet de l’étude insiste sur les différents directeurs généraux, leur personnalité, les problèmes liés à leur nomination, au milieu d’un contexte de quasi non communication et d’incompréhension entre Paris et les Indes. Le poids des questions d’argent, le décalage entre les décisions de l’Etat face aux réalités lointaines, le non soutien des initiatives locales non perçues à leur juste valeur, tout cela pesa lourd dans la vie de la Compagnie.

            Par contre, à la suite de bien des tâtonnements, les personnels de la Compagnie découvrirent un immense territoire, apprirent à définir une identité spatiale, à choisir un pôle d’exploitation, esquissèrent des rencontres avec les habitants de l’Inde, et créèrent un vivre ensemble, initiative non prévue au départ. Ce nouveau microcosme social européen lançait des repères  indispensables pour vivre au loin.

            La première Compagnie n’a pu créer d’antennes en Chine, au Siam, ni d’infrastructures portuaires en Inde. Elle est restée un laboratoire pour la mise en place d’une nouvelle compagnie, suivant le chemin tracé un peu plus tôt par ses rivales hollandaises et anglaises. Pondichéry devint une citadelle : les premiers comptoirs créés ont été abandonnés ou renforcés. La navigation a été améliorée et le temps de trajet raccourci. La communauté française créa, au loin, de meilleures conditions de vie, modèles pour l’avenir.