Histoire de Saint-Domingue Haïti

Auteur François Blancpain
Editeur Ibis rouge éditions
Date 2016
Pages 308
Sujets Haïti (île) Histoire
Cote 60.796
Recension rédigée par Jean-Marie Breton


            L’auteur de cette « Histoire de Saint-Domingue Haïti », qui n’est historien ni de formation ni de carrière, mais qui ne s’en est pas moins intéressé à l’histoire de la Caraïbe, et plus précisément à celle de la grande île d’« Hispaniola », propose dans cet ouvrage une présentation des événements et péripéties qui, depuis l’arrivée de Christophe Colomb, de 1492 à nos jours, ont marqué le devenir institutionnel et la transformation socio-politique des deux Etats (mais Haïti principalement) qui en sont issus. Leur destin s’est avéré paradoxalement aussi contrasté qu’opposé, dans leur lutte résolue pour l’indépendance à l’époque coloniale, comme dans leur construction souvent erratique au cours de la période moderne.

            L’étude est présentée selon un plan strictement chronologique, dont le découpage reprend les temps fort de cette histoire, dans une perspective à la fois diachronique et raisonnée, s’agissant successivement de la Période coloniale, la Révolution, la Première indépendance, l’Occupation américaine et la Seconde indépendance.

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            L’attitude la plus fréquente - qui exige en d’être scientifiquement et empiriquement étayée et justifiée – est aujourd’hui de considérer, d’une part, que les deux Etats, nés d’un matrice historique et géopolitique commune, ont étonnamment, pour l’observateur extérieur non averti, évolué, sur un même territoire insulaire de manière diamétralement différente, sans pour autant échapper, dans une mesure variable et dans des circonstances variées, à une « malédiction » récurrente.

            Celles-ci ont engendré, à Saint-Domingue, une dictature issue d’un pronunciamiento de type sud-américain (sous Trujillo), avant de faire place à une organisation sociale aussi contrastée qu’inégalitaire,  et de produire une société « à deux vitesses » aux antagonismes économiques criants, et un régime dont l’autorité renforcée peine à occulter la profonde dégradation de la situation sécuritaire des populations ; à Haïti, une République qui, sous Dessalines puis le « Roi Christophe », s’est voulue un modèle héroïque et remarquable de rejet du joug colonial, avant de sombrer ultérieurement dans les aléas politiques de dictatures aussi violentes que sanglantes, aggravées par la récurrence de catastrophes naturelles et climatiques aux conséquences socio-économiques désastreuses. S’y sont ajoutées, plus récemment, en Haïti, des occupations étrangères de circonstances, non dépourvues d’arrières pensées parfois peu avouables, dont les effets paradoxaux ont été de renforcer l’instabilité, la précarité et la dégradation de la situation, sanitaire notamment, du pays.

            Cette « histoire », celle de ce dernier Etat en particulier, aussi chaotique que souvent dramatique, dont la majorité des populations les plus laborieuses et les plus démunies a souvent fait les frais, est présentée par l’auteur à travers la perception qu’il en a eue, à la fois de l’intérieur, si l’on peut dire, à partir de ses relations familiales et de sa connaissance acquise de cette île et de ce pays ; et, de l’extérieur, via des lectures et des sources diverses, qu’il a exploitées sans pour autant se départir d’une vision parfois « subjective » du devenir, au cours des cinq derniers siècles, d’un territoire dont le destin original, à l’ambivalence accentuée et probablement irréductible, se révèle quasi sans égale dans le monde.

            A la fois perle de la Caraïbe et territoire maudit, précurseur de la libération anticolonialiste et champ d’expérimentation politico-institutionnelle, terre de souffrances en même temps que d’émigration face à l’adversité (diaspora intellectuelle et/ou réfugiés politiques), lourde d’autant de malédictions répétées que d’espoirs renouvelés, l’ancienne Hispaniola, et plus encore sinon surtout Haïti, restent aujourd’hui à la croisée d’intérêts, de convoitises, d’intrigues et de manipulations qui, sous couvert de pacification et d’aide humanitaire, n’en dissimulent pas moins des politiques qui mettent en péril la crédibilité de leur souveraineté, la légitimité de leurs pouvoirs, et le sort de leurs populations, quelque vertus avérées, fierté viscérale et foi inébranlable en l’avenir dont fassent preuve celles-ci, face à des vents contraires et pernicieux auxquels elles n’ont jamais entendu, pas plus hier qu’aujourd’hui, se résoudre.

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            L’auteur ne « conclut » pas véritablement son propos - le pouvait-il ? -, sauf à se demander, plus particulièrement et non sans raison, dans le contexte actuel : « Haïti, Quo vadis ? ». Le constat opéré, raisonnablement pessimiste, n’est pas pour autant dénué de toute lueur d’espoir, sans pour autant écarter un fatalisme qui dépasse apparemment les hommes. Il se réfère in fine à des « initiatives », locales aussi bien qu’étrangères, qui seraient de nature à « (sortir) Haïti de sa misère et, par conséquent, de ses dirigeants politiques véreux et criminels ». Voeux pieux, bilan désabusé, ou croyance sincère en la capacité des populations, en premier lieu, à triompher de l’adversité ? L’avenir seul le dira.

            En tout état de cause, au fil des pages, les descriptions et les analyses s’avèrent utiles. Les opinions avancées sont à verser au dossier d’un débat qu’elles sont loin de clore, car celui-ci a mobilisé et continue à mobiliser nombre de spécialistes et d’historiens, à partir de sources aussi diverses que controversées, dont toutes n’ont pas été utilisées par l’auteur.

            Il ne saurait toutefois être fait grief à ce dernier d’une démarche qui, pour n’être pas strictement « scientifique », et comporter ici et là quelques affirmations péremptoires,  contestables ou non vérifiées, sur des points qui ne sont pas uniquement des détails ou des anecdotes mais restent lourds de sens (comptage des esclaves, ou conditions d’introduction de la syphilis, par exemple), n’en justifie pas moins l’intérêt d’une lecture à la fois lucide et critique.