Droits fonciers urbains au Mali : de son évaluation à sa réforme, propositions pour une meilleure sécurisation des transactions foncières

Recension rédigée par Étienne Le Roy


            La question foncière urbaine en Afrique commence à retenir l’attention de nouveaux  acteurs politiques et économiques africains car il s’agit là d’une vraie bombe à retardement  liée à une explosion démographique non maîtrisée. La ville africaine s’enfle démesurément, en oubliant les contraintes économiques et écologiques de l’urbanisation. La contribution des professionnels du droit était donc attendue, en particulier celles des notaires qui sont aux avant-postes de la sécurisation foncière par leur rôle d’intermédiaires entre la loi et les attentes de leurs concitoyens.

            Il est vrai que la précédente publication d’un notaire camerounais, Me Abdoulaye Harissou La terre, un droit humain, (Paris, Dunod, 2011) n’avait pas convaincu, malgré le haut patronage apporté par Jacques Chirac et Abdou Diouf à la demande du Conseil supérieur du notariat français. Me Harissou n’était en vérité que l’auteur d’un quart des 188 pages qui mêlaient approximations, détournements de textes et autres turpitudes et ainsi déconsidéraient l’idée, intéressante, de proposer un titre foncier simplifié.

            Tel n’est pas le cas  ici. Me Sow semble bien le véritable auteur d’un ouvrage qui apporte des informations précieuses  sur l’art et la manière de procéder en matière de sécurité des transactions foncières, en particulier l’apport stratégique des notaires (p. 69-102) confortant les analyses plus anciennes de l’ancien conservateur de la propriété foncière d’Abidjan, Albert Ley (LGDJ, 1972). Mais notre praticien souhaite aller plus loin pour contribuer à des « solutions [qui] permettraient, sereinement et sûrement, d’une part de conclure des transactions foncières et d’autre part d’accéder à la propriété privée sans entrave juridique majeure » (p. 19). Après avoir décrit les pratiques contemporaines, l’auteur se propose donc une « remise à plat de notre arsenal juridique foncier (…) pour refonder la gouvernance du foncier » (ibidem). Il s’agit donc d’une très utile contribution à notre connaissance du foncier urbain en Afrique.

            Pour apprécier la portée des propositions de Me Sow, il convient de rappeler de la manière la plus synthétique les enjeux fonciers tels qu’ils continuent à se présenter en ce début de XXI° siècle. On sait que les sociétés africaines précoloniales refusaient généralement la propriété privée de la terre pour des raisons assez complexes pour qu’on en fasse ici l’économie mais qu’on doit tenir pour légitimes. Dans le contexte précapitaliste, elles sécurisaient de manière satisfaisante et on peut poser en postulat que la question de la propriété privée de la terre ne se posait pas car le rapport de l’homme à la terre était gouverné par d’autres principes. C’est la colonisation française qui s’est donné pour mission de l’introduire puis de la généraliser pour diffuser parallèlement le marché capitaliste et sa conception de la civilisation. Si la propriété est la condition du marché, la propriété privée est la condition du marché capitaliste et de ce qu’on entend par « société moderne ». L’État malien, en prolongeant maladroitement cette politique dans les années 1980, s’est proclamé propriétaire de toutes les terres non titrées, au nom, dit ici Me Sow, d’un prétendu « domaine éminent », en forçant le vocabulaire, les intentions et les exigences de la législation coloniale. L’Etat malien continue donc à détenir un monopole foncier qui l’autorise à contrôler la transformation des droits d’usages coutumiers en droits de propriété privée, ce qui aboutit en pratique à une démultiplication  exponentielle  des actes de corruptions, de concussions et autres  détournements des procédures sans être « parvenu, à l’évidence, à généraliser la propriété privée au sein de la majorité de la population » (p. 31).  Me Sow  considère « la notion de   (comme) handicap à l’avènement de la propriété privée » (p. 33). Il se propose donc de la voir disparaître.

            Il a sans doute raison, comme mon collègue Jean-François Tribillon, de considérer  la notion de mise en valeur puis la procédure de sa constatation par l’administration domaniale comme « un monstre juridique ». Mais cette procédure avait sa raison d’être selon une cohérence logique d’accroissement de la richesse de la nation, de stimulation économique et de maîtrise d’enjeux urbains auxquels il faudra alors apporter une réponse non seulement originale mais si possible plus efficace. Car invoquer la seule incompétence des fonctionnaires est un argument insuffisant. Par ailleurs, et surtout,  il semble que Me Sow n’aborde que la moitié du problème, qui est globalement de lutter contre les opportunités de corruptions et les risques d’insécurisations des détenteurs de droits précaires.  Il faut remonter à la racine du problème qui est le monopole foncier de l’État malien, un monopole auquel le Sénégal avait renoncé dès 1964 et que d’autres pays de la galaxie francophone abolissent, à Madagascar  ou au Bénin  ces dernières années.

            Il n’appartient qu’aux Maliens  de jauger et juger des arguments avancés. Je partage quant à moi totalement cette citation de Nangourou Sanou parlant «  d’un Etat poltron, bref d’un Etat soliveau. La capacité d’un tel Etat à entreprendre et à conduire à bon port une politique de bonne gouvernance est extrêmement faible ». Et Me Sow, d’ajouter : «  Il ressort de ces analyses une incapacité fonctionnelle de l’État malien et de son bras séculier qu’est l’administration publique minée par la corruption, le clientélisme, le népotisme… Ce qui induit indubitablement non seulement son rejet en tant qu’institution mais aussi sa décrédibilisation ainsi que celle des dirigeants auprès des citoyens » (p. 236-237). Par ailleurs,  dans la politique foncière actuelle,  «  l’idée qui se profilerait  (…) serait que le cadastre seul apporterait  la sécurité juridique miracle aux transactions foncières : il serait la panacée. Or, il n’en est rien » (p. 273)  La solution serait (p. 276-277) de privilégier la preuve des droits fonciers, le recours à l’informatique et à un système d’informations foncières (SIF). Et l’auteur y ajoute  la possibilité « d’initier, pendant un certain délai à définir, une action réelle en annulation contre un titre foncier illégalement ou frauduleusement créé » (p. 285). Ceci exige, selon notre auteur, une administration domaniale réhabilitée (p. 279) et des acteurs professionnels libéraux du foncier engagés et responsables (p. 281). Sans doute mais cette invocation de la vertu réhabilitée affronte-t-elle la cause profonde, celle qui met à la disposition de chaque détenteur d’une parcelle de pouvoir la tentation d’en abuser pour soi ou ses clients, donc de détourner la lettre et l’esprit des réformes préconisées ? On doit constater que la vraie raison est occultée ou oubliée !

            Alors, faut-il, ou non, renoncer au monopole foncier de l’État malien sur les terres non titrées ? L’État propriétaire éminent, totem ou tabou ?                                                                                                 



 
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