Auteur | Catherine Hodeir, Michel Pierre |
Editeur | André Versaille |
Date | 2021 |
Pages | 293 |
Sujets | Exposition coloniale 1931 Paris |
Cote | In-12 2568 (MSS) |
S’appuyant sur l’histoire des expositions coloniales organisées en France depuis le début du XXe siècle, l’auteur souligne le rôle qui leur était dévolu : mettre en lumière l’importance de l’œuvre coloniale de la France dans le développement des colonies, insistant sur le rôle clé de celle de Marseille en 1906. La liste des expositions citées en fin d’ouvrage est intéressante, mais non exhaustive, notamment pour le continent africain. Ce livre vient à la suite de nombreux autres écrits car l’Exposition coloniale de 1931, tant autour de sa préparation, qu’à sa suite, donna lieu à de nombreuses publications, dont certaines apparaissent dans la bibliographie. Nombre de dossiers ont été déposés dans différents centres d’archives en France et en Afrique. Cette exposition fut aussi l’occasion de mettre en images, à travers des affiches, des guides, des journaux, cette nouvelle France riche de territoires répartis sur cinq continents qui revivifiaient la vieille métropole.
Le commissariat général de cette aventure fut confié à un maître d’œuvre : le maréchal Lyautey, pacificateur de l’ouest algérien, grande figure de Madagascar et du Maroc, qui prônait une politique de coopération avec les « élites indigènes » et une mise en valeur économique des colonies. Il s’entoura des hommes avec lesquels il avait déjà collaboré. A la même époque, le Président de la République, Gaston Doumergue, inaugurait monuments et écoles à travers l’Afrique du Nord.
Vivant, de lecture agréable, ce livre est divisé en huit parties, la première étant consacrée aux édifices qui y furent érigés car tous ne furent pas éphémères et connurent une vie après l’exposition. La troisième partie traite plus particulièrement de la construction de cette ville de quelques mois, apte à accueillir chaque jour des milliers de visiteurs, puis appelée à disparaitre en quelques semaines. On tira partie alors au mieux des lieux offerts par le Bois de Vincennes : bois, lac, un chemin de fer faisant le tour de l’ensemble avec des arrêts prévus à chaque porte. Dans un souci d’harmonie, de recherche d’exotisme, de lumière, on construisit en hauteur, dotant les bâtiments de coupoles, de minarets, de tours. Le Palais permanent des colonies, futur Musée de la Porte Dorée, fut doté de bas-reliefs évoquant la vie coloniale. Le bâtiment de la Cité des Informations accueillit la presse, les scolaires que l’on instruisait et à qui l’on distribuait des prix, la Ligue maritime. Dans ce lieu fut célébrée la maîtrise de l’espace : les conquêtes aériennes, ferroviaires, routières. Les constructeurs automobiles français disposèrent de leur propre pavillon : Citroën autour de la Croisière Noire, Peugeot et sa mission transsaharienne, accompagnée des vestiges des cultures retrouvées en chemin. Les Missions chrétiennes y eurent une place de choix.
Venaient ensuite le temple d’Angkor, reproduit à l’échelle, le pavillon de l’AOF, celui, plus modeste, de l’AEF à l’intérieur desquels étaient exposées les richesses caractéristiques de chaque zone, puis ceux consacrés à Madagascar, au nord de l’Afrique, dont celui du Maroc, fleuron de l’exposition avec la présentation de sa splendeur orientale et l’expression de sa libération de la routine traditionnelle. Le pavillon de l’Algérie prolongeait la célébration de sa conquête, glorifiant son agriculture, son héritage antique, estompant celui de l’Islam. Les pays sous mandat : Togo, Cameroun, Levant, sans oublier la Palestine, avaient également leur place.
Toutes les puissances coloniales ne furent pas représentées : le Japon, l’Espagne refusèrent d’y être ; l’Allemagne était déchue de ses territoires d’outre-mer, l’Empire britannique n’accepta qu’une présence dans la Cité des Informations, de même que la Grèce. Les autres pays colonisateurs disposèrent d’un espace relativement modeste : le pavillon de l’Italie faisait admirer son héritage chrétien de part et d’autre de la Méditerranée, mais étaient aussi présents les Pays-Bas, le Portugal, le Danemark, l’Amérique.
L’Exposition reprit les thèmes et les orientations des expositions précédentes, cherchant à séduire les élites et à se conformer aux goûts du plus grand nombre. En édifiant des temples, les bâtiments des anciennes cultures qui vécurent antérieurement aux territoires colonisés, la France faisait revivre les anciennes civilisations. En plus, on insistait sur les bienfaits sanitaires de la colonisation. Le Palais des Beaux-Arts présenta une sélection de travaux d’artistes, notamment ceux ayant trouvé leur inspiration dans les colonies, tel Gauguin.
Pendant la durée de la manifestation, la fête fut permanente et les spectacles, variés, firent la une des journaux, de nouvelles sonorités musicales furent entendues. La nuit faisait place à l’eau et à la lumière, autour de grandes compositions. On créa un aquarium, un zoo peuplé d’animaux de cirques qui apparaissaient dans une part des spectacles.
Le vêtement des employés originaires des colonies, la mise en scène des troupes coloniales et nord-africaines, sur fond de musique, de danse, tout était fait pour créer une ambiance exotique. On admirait des plantes, on s’enivrait de parfums capiteux, de cuisines étranges et variées. Dans l’exposition mais également en ville, aux terrasses des cafés, la tenue des hommes de couleur faisait fureur. Les clichés retenus expriment les visions racistes de nombre de gens, à une époque où l’anthropologie célébrait la diversité des races humaine et leur évolution. On était à l’époque de l’épanouissement de l’ethnologie, de l’organisation d’expéditions lointaines, de la naissance de galeries et de marchands d’art.
Dans le pavillon de la Cité des informations, Lyautey accueillit des congrès, attirant l’élite savante venue de tous les points de la terre. On y parla énergie, transport, agriculture, littérature, langues et civilisations africaines, justice coloniale, sociétés indigènes, statut des colonisés. Alors, l’Empire colonial apparaissait pacifié. L’histoire coloniale y était miniaturisée et scénarisée.
L’Exposition attira huit millions de visiteurs.
Ici est rappelé que les acteurs placés dans les pavillons étaient des habitants des colonies venus contre rémunération ou des immigrés parisiens. Il n’y eut pas de ‘villages indigènes’. Par contre, au Jardin d’Acclimatation, on fit venir, avec l’autorisation du gouverneur général de la Nouvelle-Calédonie, 111 hommes et femmes. Le contrat stipulait une venue pour une durée de deux ans ; le séjour se prolongea. Cela fut finalement dénoncé par la presse et nombre de français.
Après une longue présentation de la magnificence de l’Exposition, le livre s‘ouvre sur nombre des conséquences de cette exposition à l’époque et jusqu’à maintenant, traite des manifestations anticolonialistes qui se faisaient déjà jour, les reliant avec précaution aux idées et aux manifestations contemporaines, autour des théories développées depuis les années 2000 notamment sur le genre, le débat colonial, la décolonisation, mettant en garde contre le risque de simplification aux dépends d’une lecture historique rigoureuse d’une époque : 1931 correspond à la naissance des nationalismes, avec des mouvements ouvriers en France. Autour du journal l’Huma et de l’URSS, des mouvements de gauche s’élevèrent contre la colonisation et apparut le concept de la négritude. En 1931 s’ouvrit une contre-exposition à caractère anti-impérialiste. Des voix s’élevèrent pour dénoncer les crimes de la colonisation. L’auteur, au final, se pose la question de l’importance du passé colonial sur le présent, en s’appuyant sur le rôle joué par les hommes et les femmes du monde du spectacle, sur les publications des écrivains. Puis la prolonge en se demandant quel est l’impact de cette période sur la politique actuelle de la France. C’est une question très orientée sur les points de vue français, mais quelles sont les opinions des Africains, et des habitants des autres ex-colonies et surtout celles des plus jeunes d’entre eux ? Car il n’est pas certain que les descendants actuels des colonisés les partagent. Et cette exposition n’est que l’une de celles organisées au cours de la période coloniale, même si les années 30 sont considérées comme l’un de tournants d’un certain monde. La documentation qui a permis de composer ce livre, accompagné d’une abondante bibliographie, n’épuise pas les sources d’archives disponibles. Ceci contribue à ne pas étudier en tant que tel l’impact de cette exposition sur la population de la nation française, et même hors des frontières. Quelles catégories sociales, familiales sont venues la visiter, qu’en ont-ils raconté autour d’eux ?
En dehors des employés de couleur présents sur l’exposition, qui étaient les autres ? Quel dynamisme a pu naître des activités propres à l’exposition ? Qu’est-ce qui était exposé dans les pavillons ? Que sont devenus ces produits ? Auprès de qui se sont-ils ensuite retrouvés ? Ainsi, dans l’avant-propos, Michel Pierre traite de la restitution des objets rituels amenés à l’occasion de l’exposition dont certains se retrouvent répartis dans différentes institutions. A la lecture des dossiers d’archives conservant les instructions, envoyées en vue de préparer la manifestation, par le Gouverneur général de l’AOF aux administrateurs répartis sur tout le territoire, on apprend qu’à la suite des ordres transmis par Paris, des commandes d’objets précis étaient réclamés aux différentes régions, accompagnées d’un budget pour les faire réaliser et transporter. Certains chefs de famille firent des prêts de leur propre initiative. Les instructions stipulaient qu’à l’issu de cette manifestation, les biens qui devaient être restitués devaient revenir à leur propriétaire dans les deux mois suivant la fermeture de la manifestation. Les autres pièces étaient vendues, le reliquat versé dans les musées. Une étude de terrain auprès des artisans aide à compléter ce rappel : car le souvenir de ce travail est toujours présent dans les mémoires : il y a distinction entre l’objet fait pour le culte, et celle pour une manifestation d’une autre nature. L’observation du thème traité par l’artiste est éloquente, bien souvent, telle la représentation du colon en situation humoristique. Attention à ne pas confondre objets commandés pour les besoins locaux et les commandes par et pour les étrangers comme cela se produit depuis la plus haute Antiquité, parfois avec art.