Haïti, l'éternelle révolution : histoire de sa décolonisation, 1789-1804

Auteur Jacques de Cauna
Editeur PRNG
Date 2017
Pages 249
Sujets Haïti
1791-1804 (Révolution)
Cote 61.940
Recension rédigée par Jean-Marie Breton


L’auteur de cet ouvrage, Jacques de Cauna, professeur des universités, a longtemps travaillé dans la Caraïbe comme professeur et diplomate. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire antillaise, récompensés pour leur qualité, dont le présent titre, primé par la Société Haïtienne d’Histoire, lors de sa première publication.

L’étude s’attache avec rigueur à éclairer la quinzaine d’années des troubles révolutionnaires dans la partie française de Saint Domingue en procédant, à la fois, à une présentation chronologique des événements et à des chapitres de réflexion sur leur portée.

L’ouvrage commence par retracer la spécificité des événements de Saint-Domingue  qui était, à la veille de la Révolution de 89, « la perle des Antilles », alimentant un tiers du commerce extérieur français, par rapport à ceux de la Martinique et de la Guadeloupe où la faiblesse et l’échec de la subversion des populations opprimées ont conduit à un maintien de l’esclavage jusqu’en 1848.

Saint-Domingue marqua en revanche l’histoire du monde en devenant le modèle, et le premier exemple, de la lutte victorieuse des esclaves noirs et des gens de couleur et affranchis contre les colons blancs, aboutissant à l’indépendance du pays proclamée en 1804, sous lenom taïno d'origine, « République d’Haïti », en honneur de  ce peuple amérindien. La longue guerre civile meurtrière et les combats contre les troupes de Napoléon la laissèrent ravagée mais débarrassée de l’esclavage et de la tutelle coloniale.

Les faits sont connus mais, ce qui l’est moins, et est largement documenté par l’auteur, c’est la complexité et les paradoxes de cette insurrection dont l’ambiguïté des articulations avec la révolution française est mise en relief. Il estime, néanmoins, que l’armement des esclaves par les diverses factions possédantes dans leur lutte, les divisions et les erreurs du pouvoir blanc local ont été des facteurs plus déterminants de l’insurrection qu’une hypothétique contagion révolutionnaire française.

Dans la galerie des personnages-clés impliqués dans cette histoire s’affirme le face-à- face des deux acteurs principaux : Bonaparte, dont la politique guerrière d’expédition militaire (finalement vaincue) précipita la bascule de la guerre révolutionnaire « dominguoise » dans la guerre d’indépendance ; et le Général Toussaint Louverture, d’abord allié providentiel de la cause républicaine française, qui avait réussi à étendre son pouvoir sur toute l’île, à la pacifier, à l’organiser par la constitution de 1801, avant d’être capturé par les Français, en 1802, et déporté.

Jacques de Cauna évoque largement les questions restées obscures pour comprendre les ressorts et les intrications de cette période bouleversée. Il consacre deux annexes au « Soulèvement des esclaves » et à « Toussaint Louverture et la Franc-maçonnerie », évoquant la thèse du complot qui accuse les grands blancs royalistes coalisés avec les Francs-maçons, nombreux et influents dans la colonie, d’avoir tenté de remettre le roi sur son trône en provoquant la révolte des gens de couleur pour ravager l’île et empêcher la poursuite du commerce colonial avec la France et, par- là, saboter la Révolution.

L’ouvrage ne tranche pas vraiment sur la véracité de ce scénario. Et pas davantage sur l’appartenance de Toussaint Louverture à la Franc-Maçonnerie. Mais l’auteur estime qu’il en était proche, et que le rôle qu’elle aurait pu jouer dans le déclenchement des événements n’est pas à négliger.

Dans l’espoir d’approfondir et d’améliorer la compréhension de ces quinze années,  Jacques de Cauna consacre un chapitre à la recherche de nouvelles pistes d’étude, par une utilisation plus systématique des sources archivistiques qui, selon lui, sont encore incomplètement exploitées, et des correspondances, dont celles de Toussaint Louverture. Il préconise aussi une analyse approfondie des discours prononcés à l’époque pour y déceler les attitudes mentales sous-jacentes, et recommande enfin  une collecte de la tradition orale en Haïti.

L’impact  économique, politique et symbolique de la révolution « dominguoise » a été, selon lui, considérable, les séquelles en pesant jusqu’à nos jours sur l’histoire contemporaine d’Haïti (les origines et l’exercice militaires du pouvoir ayant sans cesse contrarié l’évolution vers la démocratie). L’impact de ces événements n’a pas été moindre dans l’histoire mondia-le, tant en matière d’exportation des idées révolutionnaires dans la Caraïbe et jusqu’en Amérique du Sud, qu’en matière d’effets de la fuite des colons blancs de Saint Domingue vers la Jamaïque, Cuba et la Louisiane, sur le développement de l’industrie sucrière dont ils maîtrisaient la meilleure efficacité technique.

Le dernier chapitre de l’ouvrage, intitulé « Dans les oubliettes de l’Histoire », rejoint l’introduction, « Une révolution occultée », dans le regret que l’on n’ait pas davantage tiré les leçons de la révolution de Saint-Domingue pour la France et pour le monde. Jacques de Cauna esime qu’il serait impératif de lui voir occuper la place qu’elle mérite dans les manuels scolaires et les programmes officiels.