Daria

Recension rédigée par Guy Lavorel


C’est un roman de gravité, dans tous les sens de ce terme. C’est une pesanteur, celle d’une douleur partagée entre une mère et sa fille handicapée, tant dans sa motricité que dans sa vue, une mère elle-même atteinte d’un cancer mais qui veut témoigner avant que la mort l’emporte. Mais c’est aussi un roman d’amour qui ne veut pas accepter ce destin tragique. Et c’est là que ressort la puissance du titre Daria, expliqué à la première et dernière ligne : « Tu es Daria. Tu es D’aria, D’air. » « Je serai D’aria, D’air… » Car à la gravité s’oppose l’élévation, le sublime, qui sont les attributs d’une mère danseuse, mère et souveraine d’air…

On est donc dans un échange particulier où l’on veut se substituer à celle qui souffre : « On devient ses mains et ses yeux, ses jambes et sa bouche. On remplace son cerveau. Et l’on se mue un peu en handicapé pour les autres : un handicapé par procuration. » En fait c’est « maman », « et c’est tout » … Une maman confrontée à un rapport exclusif, car entre deux êtres, et donc une solitude : « Avoir un enfant invalide signifie être seul. » Le rapport avec autrui n’est pas nul, car il est nécessaire, mais il reste limité dans le temps, chacun étant happé par sa propre vie. Tout prend un autre sens, chaque geste - et une danseuse sait en saisir les sens, moins la vue que tous les autres, dans une affaire de sensibilité - tout est transformé, même l’approche de la mort… Chaque événement est donc revisité, les heureux et les plus difficiles, on les voit autrement, à travers le prisme de deux êtres qui se savent perdus, mais qui s’aiment…

Comment alors écrire - et l’écriture est un espoir de vivre, ou au moins de transmettre un vécu - d’abord entre mère et fille, mais ensuite entre auteur et lecteur, y compris et d’abord cette fille. On est donc saisi par ce drame et le style qui le transmet. Car il y a toujours difficulté à confier de telles douleurs sans tomber dans le sentimentalisme éploré. Savoir dire, trouver les mots et les renouveler est ce qui étonne dans ce livre : « Les voici, les mots que je cherchais, les seuls qui puissent toucher la pierre de mon cœur, créer un écho, produire une résonance ».

Ce livre est donc un défi à la souffrance, à une vie d’ailleurs, où doit rester un apprentissage, une leçon, un amour, sans oublier le pouvoir de le dire et l’écrire. Et c’est bien ce qu’apporte la danse à travers ce qui donne tout son sens au mot « incorporation » : « Incorporation : un concept central dans les études sur la danse. Il questionne la notion du corps comme lieu de mémoire, la transmission et l’apprentissage, le passage d’informations, de pratiques et de techniques d’un corps à l’autre, donc la capacité du corps à créer de la connaissance. »

Une histoire donc d’accord, mieux de corps à corps…