Auteur | Jean Jolly |
Editeur | JJE |
Date | 2024 |
Pages | 296 |
Sujets | Europe-Relations-Afrique-XXe-XXIe siècles Afrique-Relations-Europe-XXe-XXIe siècles |
Cote |
L’auteur, grand reporter, éditorialiste et chroniqueur, a pendant sa longue carrière de journaliste, publié concomitamment de nombreux ouvrages sur l’Afrique. Sa dernière livraison intitulée : « A la découverte de l’Eurafrique perdue : colonisation et intégration, décolonisation, wokisme et immigration » est le fruit de ses réflexions sur cette période qui débute avec les Empires… et se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
Jean Jolly, qui connait bien son sujet, pour être né de l’autre côté de la méditerranée et avoir parcouru le continent pendant plus d’un demi-siècle, nous livre ses réflexions de toute une vie, sur la relation ambiguë et aujourd’hui compliquée entre la France, plus largement l’Europe coloniale, et son Sud.
L’auteur fait ici non seulement œuvre d’historien, d’économiste et de démographe, mais il ajoute une note personnelle et affective inhérente à sa propre expérience. Son appréhension de cette période, relativement courte dans l’histoire des nations, l’amène à la conclusion suivante : la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les anciens colonisateurs n’est que la conséquence de la gestion brouillonne et décousue de leurs politiques outre-méditerranée depuis 150 ans. D’où son rêve brisé d’un « paradis perdu » : l’Eurafrique, seul modèle qui aurait pu aboutir, selon lui, à un grand ensemble harmonieux capable de rivaliser avec des États continents comme les USA, la Chine, potentiellement l’Inde et dans une moindre mesure la Russie.
Dans une première partie, Jean Jolly développe les « Rêves coloniaux européens » et note bien qu’ils furent « très différents et concurrents ». Il reprend, méthodiquement et en détail, toutes les étapes qui ont conduit les Européens en Afrique, contribuant ainsi à la faire entrer dans l’ère moderne : au plan de la gouvernance, avec l’apparition d’un cadre institutionnel, de l’éducation, de la santé et du développement économique.
Ses références historiques, économiques et politiques sont précises, très documentées et constituent un apport important pour tous ceux qui s’intéressent à ce siècle de relations entre les métropoles et leurs possessions africaines. L’originalité de cette étude consiste dans le continuum qui établit un lien entre l’échec de l’Eurafrique, qui n’a jamais vraiment existé, les conditions de l’accession à l’indépendance des territoires sous tutelle sans véritable préparation et les sujets brulants du moment, à savoir : le décolonialisme fondé sur l’anachronisme et la revanche de populations trop jeunes pour avoir connu cette époque, le wokisme , né aux États-Unis, fondé sur une conception raciale des rapports humains et enfin l’immigration qui n’a posé de problème que lorsqu’ elle est devenue massive et dès qu’elle a été récupérée, pour partie, par une religion prosélite.
Dans une seconde partie, plus actuelle, Jean Jolly essaie de démontrer que la plupart des maux qui affectent l’Europe sont une conséquence directe des échecs européens ; qu’il s’agisse des décolonisations bâclées, et pour la France du maintien de sa présence au Sud du Sahara trop prégnante pour les nouveaux États, désireux de passer des indépendances à la souveraineté.
Dans une troisième partie, l’auteur expose l’échec des solutions concrètes appliquées par des acteurs internes : nationales, régionales et continentales, ainsi qu’externes : occidentales, organisations internationales, émergence de nouveaux acteurs et d’un « Sud global ».
Mais l’on peut quand même légitimement se poser la question de savoir si la concrétisation du mythe de l’Eurafrique aurait conduit à une Europe forte, un partenariat équilibré avec « son » Sud et une cohabitation harmonieuse entre des peuples si différents. Visionnaire en la matière, le général De Gaulle avait, en son temps, exprimé son opposition à tout melting pot. Ce qui n’empêcha en rien l’afflux de plusieurs millions d’immigrés en Europe.
D’ailleurs, lorsque le concept d’Eurafrique est né dans l’entre-deux-guerres, il n’était nulle question d’une quelconque intégration ou assimilation. Les puissances de l’Axe qui tentèrent de reprendre ce projet à leur compte, n’étaient absolument pas prêtes à considérer les peuples colonisés comme leurs égaux et encore moins à les intégrer.
Après le second conflit mondial, seul Sir Edward Mosley, ancien leader des Black Shirts, s’était hasardé à réinventer ce serpent de mer géopolitique. Son dessein consistait à bâtir l’Eurafrique, peuplée et mise en valeur par les puissances coloniales, tout en repoussant les Africains hors de cet ensemble. On imagine bien que présentée comme telle, cette entreprise n’était absolument plus en phase avec son temps.
Jean Jolly tire le bilan, somme toute assez triste, de toutes ces occasions manquées, alors qu’à ses yeux, l’Afrique a de nombreux atouts : richesses en termes de matières premières et démographie soutenue, synonyme de main d’œuvre à bas coût abondante. L’Europe qui avait ouvert l’Afrique au monde, n’aura pas vraiment profité de la parenthèse enchantée du début des indépendances. Et la reconfiguration de l’ordre international, avec l’irruption de nouveaux acteurs aura été plus forte que les liens tissés entre Européens et Africains. L’auteur en fait d’ailleurs le constat : « En renonçant dans les années soixante à défendre un monde multicolore et de culture tolérante ou laïcisée, les nations européennes, soumises aux pressions conjointes de l’URSS et des États-Unis et affaiblies par leurs divisions internes et leurs intérêts divergents, ont accéléré leur déclin relatif, favorisé le chaos en Afrique et se trouvent aujourd’hui concurrencées et tétanisées par la montée en puissance du Sud Global… et d’une Russie belliqueuse ».
Chacun se fera son propre avis sur cette relation de cause à effet, mais la lecture de cet ouvrage, sans concession, par les thèses qu’il expose, par ses nombreuses références, souvent ignorées par dogmatisme, permettra au lecteur d’avoir une vision différente de l’évolution de ces deux continents à la fois si proches et pourtant si différents.