Editeur | Agullo |
Date | 2024 |
Pages | 456 |
Sujets | Liban 1975-1990 (Guerre civile) Roman français 2000-.... |
Cote | 69.064 |
L’ouvrage décrit les premières années de la guerre civile libanaise (1975-1989) de 1975 à 1983, rappelant les événements historiques dus à des vengeances inter-fraternelles, auxquelles participent les personnages de ce roman. Ainsi, le diplomate français Philippe Kellerman perdra son fils dans l’attentat du Drakkar tandis que son contact chiite perdra le sien dans un bombardement israélien sur la Bekaa. Le récit en un seul chapitre de 457 pages, passant sans transition du Liban en France selon la localisation des personnages, rend vivante et tragique cette évocation pour ceux qui ont vécu ces moments bouleversants et sensibilisera ceux qui les découvrent.
Au Liban, le pouvoir politique est un héritage qui fait que moins de 30 familles occupent le tiers des sièges de députés (p.35). Il en est ainsi des chrétiens. Les Nada, grande famille maronite, représentent les chrétiens dans la tourmente. Edouard, le fils ainé, est un des leaders de la milice chrétienne phalangiste, seul rempart contre la prise de pouvoir des Palestiniens (p.13), le benjamin Charles, un milicien et le cadet, Michel, juriste émigré en France, deviendra une des plumes du RPR au moment de l’ascension de J. Chirac et de ce fait sera promu défenseur des chrétiens libanais auprès de la droite française. Le 13 avril 1975, des phalangistes tirent contre un car de Palestiniens traversant une localité chrétienne, tuant 22 Palestiniens et chiites (p.20). La guerre civile qui suivra va durer quinze ans faisant 200.000 victimes. Bachir Gemayel devient le symbole de la Résistance chrétienne (p.92). Il a marginalisé Dany Chamoun et fait assassiner Tony Frangié prosyrien par Samir Geagea (p.93). A l’âge de 33 ans, après avoir été élu président de la république, il succombe à un attentat perpétué dans les locaux du siège beyrouthin des Phalanges (p.287). Son enterrement à Bikfaya aura rassemblé le Gouvernement et l’ensemble des députés, y compris musulmans, qui avaient été absents lors de son élection (p.298). Les milices chrétiennes comme toutes celles des communautés religieuses se font la guerre pour contrôler les ports comme à Jounieh (p.415) et bénéficier de tous les trafics dont celui de la drogue (p.294).
Les chiites sont partagés entre partisans de Hussein el Husseini et ceux de Nabih Berri (p.121) qui n’était pas resté insensible en 1980 à la proposition des chrétiens de remplacer le bicéphalisme traditionnel maronito-sunnite par un bicéphalisme maronito-chiite (p.195). De son côté, l’imam chiite Moussa Sadr crée le Mouvement des Déshérités (p.23) secondé par la milice Amal, anagramme en arabe des Bataillons de la Résistance libanaise (p.24). Les nouveaux membres du Bureau Politique d’Amal, Hussein Nasrallah, Imad Mughnieh fonderont le Mouvement du Hezbollah (p.197). La connexion entre les chiites résistant à Beyrouth et ceux du Hezbollah en formation dans la Bekaa, encadrés par les Iraniens, se réalise lors de l’invasion israélienne (p.308).
Dès 1978, un observateur prédit que si l’Iran devient une république islamique, les chiites dans le monde vont acquérir un grand pouvoir (p.74). Un milicien dit à son interlocuteur français : « Les chiites sont plus forts que les sunnites ou les chrétiens. Vous ne réalisez pas ce qui se joue en ce moment » (p.86).
Quant aux Druzes, ils ne représentent que 5% de la population libanaise mais leur poids politique est bien plus important grâce au subtil jeu des Joumblatt (p.187). La guerre civile impitoyable fera que lorsque Kamal Joumblatt aura été assassiné par les Syriens, les Druzes se vengeront hélas en tuant 177 chrétiens du Chouf (p.65).
Les Libanais reprochent aux Palestiniens d’acheter illégalement des terrains au Liban en utilisant des prête-noms (p.132). La population chiite commence à considérerles Palestiniens et Arafat en particulier comme responsables du chaos (p.67), ce qui entraine des affrontements entre Amal et les Palestiniens de l’OLP (p.131). Seule, la France acceptera d’exfiltrer Arafat et une partie de ses troupes par le port de Beyrouth (p.279) tandis que Abou Jihad et Salah Khalef auront passé la frontière syrienne à la tête du reste des fedayin (p.277). Le 16 septembre 1982, des phalangistes pénètrent dans les camps palestiniens de Sabra et de Chatila complètement isolés ; le massacre des habitants peut s’accomplir (p.311).
La France perdra un certain nombre de ses ressortissants dans cette guerre, ainsi l’ambassadeur Delamare, tué à quelques mètres d’un barrage syrien (p.158). Les Syriens, qui ont toujours eu pour objectif la destruction du Liban chrétien (p.88),n’avaient pas apprécié l’entretien entre Cheysson et Arafat. Delamare était trop actif, encourageant l’armée libanaise à se reconstituer, rencontrant les leaders des communautés, ce qui gênait des acteurs étrangers (p.170). Sa mort restera un sujet tabou (p.174). Les services syriens commettent également à Beyrouth un attentat contre les locaux de l’ambassade de France, qui fera 11 morts et des dizaines de blessés (p.220). Paris n’est pas épargné comme le montre l’attentat commis par les Palestiniens contre le restaurant Goldenberg qui aura fait six morts et vingt blessés (p.250). Ce livre montre combien les intérêts de la France au Liban étaient fragiles dans la mesure où la position pro-palestinienne de Mitterrand ne les protégeait plus (p.346). La présence de la Force Multinationale ne plaira pas non plus aux Syriens ni aux Iraniens (p.357) mais la Direction de la DGSE n’acceptera pas l’idée que les Français étaient en sursis à Beyrouth, où l’Iran frappait par procuration de ses marionnettes, Amal et le Hezbollah (p.423) comme le montra l’attentat contre l’ambassade américaine à Beyrouth par l’explosion d’un camion chargé de 400 kilos d’explosifs, faisant une centaine de victimes (p.407). L’irrémédiable se produisit en 1983 avec deux attentats gigantesques au camion piégé décimant les soldats américains dans leur caserne près de l’aéroport et les militaires français dans l’immeuble baptisé Drakkar du centre-ville (p.456).
Nabih Berri, au nom d’Amal avait envoyé ses proches en Iran pour féliciter Khomeini de son retour (p.107). Les Iraniens voudront en effet constituer un axe chiite au Moyen-Orient (p.117) en s’appuyant sur la Syrie, seul pays arabe à avoir soutenu Téhéran contre Bagdad lors de la guerre entre ces deux pays (p.273). L’auteur fait remarquer avec justesse qu’une militante d’Amal voudrait que le Liban reste libanais sans les Palestiniens et sans les Iraniens (p.118).
En 1976, les Israéliens arment les chrétiens qui reconquièrent leurs places-fortes (p.61). L’Opération Paix en Galilée (p.227) entraîne une violence sans commune mesure avec ce qu’elle était jusqu’alors. Les troupes israéliennes s’emparent du Sud, puis du Chouf et de la Bekaa où ils anéantissent les batteries de missiles syriennes (p.228). Tout Beyrouth Ouest s’embrase sous les bombardements aériens. Les camps palestiniens se font réduire en miettes (p.230). La mission de la FINUL avait été de neutraliser les Fedayin et d’assurer le départ des Israéliens, mais rien ne se passa comme prévu (p.87).
Si cette terre prospère a accueilli depuis l’Antiquité les peuples persécutés, l’auteur se demande qui le sait encore (p.11). Le lecteur appréciera ses réflexions qu’il prête parfois à ses personnages. Ainsi, on a du mal à croire que le Liban soit passé si vite de ce pays riche où il faisait bon vivre à ce tragique capharnaüm (p.82). Tout le monde se bat avec tout le monde (p.159) mais sont nombreux ceux qui font la guerre pour assumer leurs pulsions sanguinaires (p.234). Les bombardements israéliens qui ont repris en 2025, dévastant les bastions chiites, confirment ce que pense l’auteur qui fait dire à Michel : « la violence au Liban ne cessera qu’avec un règlement global du conflit entre Israéliens et Palestiniens » (p.182).