Xi-Jinping : l'empereur du silence

Recension rédigée par Yves Boulvert


Éric Meyer, journaliste à Pékin de 1987 à 2019, publie dès 1989 : « Place Tian An Men », sur le drame du Printemps qui fit près de 10 000 victimes (selon le Royaume Uni). Avec l’appui, pour les dessins, d’Aude Massot, il publie en 2021, une bande dessinée originale : « Robinson à Pékin, Journal d’un reporter en Chine ». C’est le même procédé qu’il a repris ici avec le dessinateur italien Gianluca Constantini qui est un véritable artiste, remarquable pour la précision et la finesse de ses dessins, qu’il s’agisse de l’entourage chinois, des portraits, des héros de l’ouvrage, tout particulièrement du Président Xi Jinping : au fil de la lecture, on finirait par se croire en face de lui ! Un regret pour les quelques cartes, elles sont trop fines et parfois difficiles à lire (p. 169). Certaines ne manquent pas d’humour (p. 181). Dans la presse ou à la télévision, le président chinois paraît figé, éternellement souriant, mais inexpressif, impénétrable, d’une froideur étonnante. Cependant, son parcours de vie est pour le moins inhabituel.

            Le petit prince rouge naît le 15 juin 1953, dans une famille de hauts cadres du régime communiste de Mao Zedong. Son père, Xi Zhongsun, est ministre, ami de Zhou Enlai. Le bébé est nommé Jinping : « proche de la paix ». Il a une petite enfance privilégiée. Mais, en 1962, son père, démis de ses fonctions, est exclu du Parti et envoyé en province pour sa rééducation. En 1966, année du grand chaos de la Révolution culturelle, son père est transféré de Luoyang à Xian, vieille capitale du Shansu. En 1969, 14 millions d’« Ados » des villes sont « appelés » par Mao à rejoindre les paysans comme apprentis cultivateurs .

            Agé de 15 ans, Xi Jinping (ayant contrefait un ordre de mission) s’enfuit à Pékin en 1969. Arrêté, il est envoyé en « Laogai » (camp de réforme par le travail). En 1974, il est enfin réadmis au parti et nommé secrétaire local. En octobre 1975 (bien que sans diplôme du secondaire), pistonné, il est admis à l’université Tsinghua, dans la filière physique-chimie.

            Après la mort de Mao en 1976, la famille Xi refait surface sous le régime de Deng Xiaoping. Son père est nommé Secrétaire Provincial à Canton. En 1978, Xi Jinping accompagne son ministre de la Défense en Europe et aux USA. En 1979, il épouse une fille d’ambassadeur et s’initie aux secrets du pouvoir. Ainsi, en 1981, reçoit-il des courtisans venus solliciter des faveurs, offrant de petits cadeaux bourrés de liasses de billets ! Deux règles d’or : « Ne pas se faire d’ennemis, ne jamais se mettre en avant ».

En 1985, Xi Jinping est promu vice-maire de Xiamen, grosse ville portuaire du Fujian (face à Taiwan !). Pour tenir le quota municipal de naissances, « des milliers de jeunes femmes sont stérilisées après leur premier enfant ». En 1987, Xi Jinping épouse Peng Liyuan, « étoile montante de la chanson ». Après l’écrasement de la place Tian An Men, dans la nuit du 3 juin 1989, Xi Jinping, devenu antiréformiste, est promu sous-directeur de Fuzhou au Fujian. Il y entreprend de grands travaux (y compris un grand aéroport faisant une concurrence inutile à celui de Xiamen !).

En 2014, il publie « Le gouvernement de la Chine », tiré à 7 millions d’exemplaires et traduit en 24 langues. Après des « études ultra-légères » (en physique-chimie), il soutient en 2001, une thèse en « droit marxiste » ! Pendant ce temps, au Fujian qu’il dirige, la corruption fait rage, nourrie par la collusion entre cadres et triades, via des ports militaires où les douanes n’entrent pas ! En raison de la pollution croissante, le pays connaît dès 2004, 200 émeutes par jour.

 En 2006, le patron de Shanghai étant limogé pour détournement de fonds, Xi Jinping en devient Secrétaire et Maire.  En 2008, un séisme de force 8, au Sichuan, fait 85 000 morts. Le béton a été coulé sans ferraillage, les fonds ayant été détournés !

Le 28 septembre 2012, Xi Jinping devient numéro 1 du parti. Il fait voter 8 règles de vie des cadres : seront bannis les banquets, les discours creux, les amantes, la corruption et le culte de la personnalité. Il élimine ses concurrents et limoge ou rétrograde 375 « tigres » (très hauts cadres) à côté des 631 000 « mouches » (cadres intermédiaires). Il justifie son pouvoir absolu en prétendant tout savoir : c’est la garantie de diriger sans erreur ainsi que la promesse de produire le bonheur des masses ! Inquiet du réveil des religions, il commence à frapper Islam et christianisme. Il fait recruter 60 000 jeunes internautes « pour nettoyer les réseaux sociaux ».

Dès 2009, des moines et des nonnes s’immolent par le feu. Officiellement territoire autonome, le Tibet est en réalité la région la moins autonome. Xi Jinping convainc les Tibétains de donner une goutte de leur salive. Ceci lui permet de ficher chacun d’entre eux avec son ADN ! Au Xinjiang, pays des Ouïghours (rêvant d’un Turkestan oriental), il fait « installer des millions de caméras pour identifier les passants ». Dans chaque foyer pieux, un « oncle » Han est installé : espion à charge pour la famille. Début 2023, 230 camps détiennent un million et demi de Ouïghours.

 Le premier juillet 1997, les Britanniques quittent Hong Kong. Après une succession de manifestations, le 1er juillet 2019, la foule saccage le Parlement. En novembre, les démocrates autonomistes remportent 90% des voix !

En mer de Chine, les incidents se multiplient entre pêcheurs Chinois et Philippins. En 2019, 6 atolls sont pris et convertis en bases armées. L’un d’eux est transformé en ville artificielle et, à l’ONU, la Chine revendique les 200 milles marins autour de cette récente implantation, en vertu du traité international du droit de la mer (qu’elle récuse pourtant !). En avril 2023, une armada chinoise manœuvre dans le détroit qui sépare la Chine de Taïwan.

Dès 2013, Xi Jinping veut renforcer l’expansion chinoise avec l’ouverture de « nouvelles routes de la soie ». Il se dit ami de Poutine ; néanmoins, en octobre 2022, le Conseil de Sécurité condamne l’agression russe en Ukraine par 143 voix contre 5 et 35 abstentions dont la Chine qui rappelle : « Il y a 170 ans, la Russie nous a avalé la Sibérie » (traité d’Aigun en 1858).

Obsédé par la discipline, Xi Jinping s’enfonce toujours plus dans la répression.  Il lance une campagne antipollution et impose la fermeture des usines chimiques le long du fleuve Yang Tsé.  En 2019, la Chine pose une capsule et un véhicule spatial sur la face cachée de la Lune. Xi Jinping s’enorgueillit : « J’ai foulé le tapis rouge de 69 pays ». « Avec les Big data collectés par notre sécurité publique, « l’œuf pourri » (le mauvais élément) « perd toute chance d’emploi dans l’État ».

 Le 29 décembre 2019, le ministère de la santé lui annonce : « Un virus du monde animal vient de percer les défenses de l’organisme humain à Wuhan ». Sur ordre de Xi Jinping, on commence par nier ce problème, avant de déclarer le 23 janvier, l’interdiction générale de sortie, sauf 1h00 pour une personne par foyer, afin d’acheter les repas du jour. Selon la théorie, « le COVID vient d’ailleurs ». En avril 2022, portée par une variante, une nouvelle vague incontrôlable du virus déferle. Shanghaï, poumon industriel du pays, se referme pour d’interminables mois. Le 27, c’est l’émeute. Tout Shanghai est dans la rue : « Xi démission ». En deux mois c’est une hécatombe. La Chine ne parvient pas à faire face à l’épidémie.

 En avril 2020, au bureau politique, éclate la guerre interne : pour ou contre un troisième quinquennat. Une purge d’ampleur inégalée éclate : 21 ministres et 1237 hauts cadres perdent leur poste. « En échange, vous avez ma promesse : une fois Taïwan repris, je me retirerai ! ». Le 22 octobre 2022, au 20e congrès, le vote électronique donne 2296 voix « pour, aucune abstention au centre » ! Selon Xi : « Mon père symbolique est Gengis Khan (1215) et son petit-fils Kubilaï Khan ».  La Chine continue à se recroqueviller sur elle-même.

 Il est vrai que le visage de Xi Jinping est impénétrable et identique à lui-même comme le montrent ces remarquables dessins (tout à l’opposé des actualités des années 30 montrant Mussolini haranguant la foule romaine). Après une petite enfance heureuse, il connut une adolescence difficile.  Petit à petit, en trichant plus ou moins, il réussit à réapparaître. Il ne renia jamais la Révolution maoïste mais au contraire, s’en inspire sans pitié aucune. Pour certains commentateurs, « il ressemble bien plus à Staline qu’à Mao Zedong ». Parvenu au sommet, il poursuit sa route qui n’est réjouissante ni pour son propre pays, ni pour le Monde actuel.