King Kasaï

Recension rédigée par Nathalie Cassou-Geay


Initiée en 2018 par les éditions Stock, la collection « Ma nuit au musée » invite le lecteur à veiller en compagnie d’un auteur dans les galeries nocturnes d’un musée. Après, notamment, Christophe Ono-dit-Biot et Adel Abdessemed, Léonor de Récondo, Enki Bilal, Leïla Slimani ou Éric Chevillard, c’est au tour de Christophe Boltanski de se prêter au jeu de la nuit blanche.

Direction la banlieue de Bruxelles ; Tervuren plus précisément. C’est là qu’en 1897 sont posées les premières pierres d’un « Palais des Colonies », la vitrine personnelle de Léopold II qui y expose ses « curiosités » en provenance du Congo : plantes, animaux vivants ou empaillés, cacao, café… ainsi qu’un zoo humain de près de 300 Congolais, déracinés de leur terre natale et obligés de simuler leur vie quotidienne.
Le rédacteur en chef de la très bonne revue XXI profitera de sa présence dans les murs de ce Musée royal de l’Afrique centrale (appelé aussi Africa Museum), pour évoquer l’histoire de la colonisation du Congo par Léopold II, roi des Belges : une possession personnelle, gérée avec violence dans une course effrénée à l’extraction de l’ivoire et du caoutchouc. Des atrocités commises envers les Congolais - tortures et mutilations -, des agissements des mercenaires avides de chasse, Christophe Boltanski parle en mots simples, sans euphémismes. Un style qui ne rend que plus crue la réalité de ce passé colonial : de Léon Rom, commandement du district des Stanley Falls, il dit : « Il attrape des papillons avec un filet et les épingle sur du liège, de la même façon qu’il empale des têtes sur des piquets. Il traite les populations dont il a la charge comme des insectes. »

L’auteur aborde également la vie des fils de la famille de Boekhat, partis chercher fortune outre-mer, en termes d’autant plus brutaux qu’ils sont simples : « Il franchit les rivières en pirogue, parcourt des centaines de kilomètres à pied et remporte maintes batailles. À chaque fois, c’est la même chose. Il assiège des villages, affronte des ennemis supérieurs en nombre, mais qui ne peuvent opposer que des lances, des arcs, quelques mousquets et de la poudre généralement mouillée à ses carabines à répétition et son canon Krupp. Il les bombarde, il leur tire dessus. Les toits en chaume prennent feu. La panique s’empare de la population. Ses soldats exécutent les fuyards. Sur un tas de cendres encore fumant, il hisse un drapeau, érige un comptoir et repart incendier d’autres hameaux. Il doit se dire que c’est ainsi qu’on libère les peuples. Au Congo, la civilisation annonce son arrivée par un mur de flammes au-dessus de la canopée. »

Avec comme livre de chevet Tintin au Congo et Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, C. Boltanski révèle aussi la difficile transition du musée : fermé pendant cinq ans - officiellement pour des travaux de rénovation -, le site a surtout cherché à changer de narration, a fait le tri de ses collections et remisé les objets les plus polémiques. Reste qu’en tant que patrimoine historique, certaines statues n’ont pu être déplacées ; à charge pour les directeurs successifs d’amoindrir leur impact. D’où l’apparition d’œuvres congolaises en surimpression, voix africaine en contrepoint de la voix belge.

À défaut d’apporter une possible piste de réconciliation historique - mais est-elle possible ? -, King Kasaï donne le visage d’un éléphant triste à cette période violente, et rappelle sept prénoms : Sambo, Zao, Ekia, Pemba, Kitoukwa, Mibange, Mpeia. Sept Congolais morts loin de leur terre, pour les caprices d’un « petit roi » imbu.