Auteur | Julie d'Andurain |
Editeur | Passés composés |
Date | 2024 |
Pages | 394 |
Sujets | France. Armée. Troupes coloniales 1800-.... Colonies françaises Histoire militaire -1800-.... |
Cote | 68.531 |
En novembre 2024, les troupes françaises sont priées de quitter le Tchad et le Sénégal : les seules garnisons qui restent dans cette région africaine sont en Côte d’Ivoire et au Gabon. Ces événements se déroulent au moment de la commémoration du massacre de Thiaroye du 1er décembre 1944 (p.285). Cette coïncidence est analysée en profondeur et lucidité par notre Consœur dans cet ouvrage, l’ancien « marsouin » que l’auteur de cette recension a eu l’honneur d’être jadis en Guyane sous le commandement du général Nemo (p.321), père de notre regretté Confrère, y est particulièrement sensible.
Les troupes de marine, ancêtres des troupes coloniales, composées de fantassins ou « marsouins » et d’artilleurs ou « bigors » (p.22) remonteraient à 1622 ou 1625 avec l’installation de Français aux Antilles, dans les îles de France, de Bourbon et aux Indes (p.17). La loi du 7 juillet 1900 qui donne naissance aux troupes coloniales, les rattache à une Direction du Ministère de la Guerre, leur reconnaissant un esprit de corps spécifique et la possibilité pour les brevetés d’intégrer le service d’état-major (p.77). Les régiments sont destinés à la garde des arsenaux et à la relève des troupes détachées aux colonies (p.81) mais le soldat colonial a beaucoup de mal à s’acclimater aux pays tropicaux où sévit la fièvre jaune (p.88). Néanmoins, faire carrière aux colonies devient possible ; les anciens militaires pourront servir dans l’administration coloniale ou pénitentiaire, les travaux publics, l’enseignement (p.86), etjouer un rôle d’intermédiaire entre Européens et chefs de villages (p.231). Mais le gouvernement radical-socialiste critique le coût de cette armée et sa fonction au sein de la société française.
La loi des « deux ans » de 1905 en refusant le format de l’armée, pose des problèmes de relève aux colonies au moment où l‘on parle de « péril jaune » à l’occasion de la guerre russo-japonaise (p.113). D’où l’idée ancienne en Asie de la formation d’une armée locale autonome (p.117) : un soldat annamite coûte un quart de moins qu’un soldat européen (p.122). En Afrique, les responsables coloniaux craignant toujours que l’islam soit un élément fédérateur capable de les gêner (p.232) utilisent des troupes noires fétichistes au début de la pénétration française en 1907 (p.133). En Algérie, l’appel à la conscription des indigènes est impopulaire. En 1914, 4000 Algériens sont sous les drapeaux, ils seront 80.000 en 1918 (p.136).
La Grande Guerre enrôle 600.000 combattants et 200.000 travailleurs des colonies pour 7 millions 800.000 métropolitains, entrainant un immense brassage de peuples (p.138). Les travailleurs participent aux industries de l’armement, à l’entretien des voies ferrées et à la réorganisation des régions libérées (p.146). Les troupes coloniales au début de l’expédition des Dardanelles, entraient pour la moitié du corps expéditionnaire français et en formèrent la presque totalité à la fin (p.155). En ce qui concerne les Sénégalais, on s’aperçut de leur fragilité sur le front européen où ils souffraient du froid et devaient hiverner dans des camps du Sud de la France (p.159).
Le Grande Guerre aura montré les limites de la domination coloniale et de sa justification. Cependant les amalgames des troupes blanches et noires dans les tranchées et les casernes auront été une véritable avancée sociale (p.162). En 1922, l’armée coloniale compte 132.250 hommes dont 34% d’Européens et 66% d’Africains (p.191). La guerre se poursuivant sur les marges européennes, on décide d’affecter essentiellement la composante indigène des troupes coloniales dans ce qu’on appelle désormais les « Théâtres d’opérations extérieures » ou « TOE » (p174). L’envoi de tirailleurs sénégalais sur le Rhin correspond à une nécessité militaire et politique ; ils sont en butte à une propagande anti-africaine (p.176) qui repose sur quelques cas avérés de viols (p.177). Ces tirailleurs seront également envoyés, après le Maroc, au Liban, en Syrie (p.179) comme ils représentent la force militaire la plus économique (p.182). Le Haut-Commissariat en Syrie recrutera également des Arméniens et des Alaouites dans les troupes spéciales du Levant (p.184).
La Loi de 1923 place en France la plus grande part de l’armée coloniale, laminée par les réductions budgétaires (p.219) et vide l’Afrique de ses cadres compétents. La façon dont la révolte druze en Syrie et celle d’Abdelkrim au Maroc en 1925 sont appréhendées par les états-majors parisiens est symptomatique ; on remplace un officier connu pour sa compétence coloniale par un métropolitain qui recourt à un usage massif d’armes récupérées de la grande guerre, déchainant une violence accrue (p.208). De fait, les timides évolutions en faveur d’une technicisation masquent la réduction drastique du budget de la guerre (p.217). La Loi du 28 mars 1928 réduit les effectifs pour le temps de paix à 524.000 hommes dont 170.000 pour les troupes indigènes, établissant un équilibre de 45% d’indigènes contre 54% de Français (p.224). D’autre part, la dispersion en colonies, protectorats, mandats, et la répartition entre Ministères de la Guerre, des Colonies, des Affaires Etrangères ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble (p.228). C’est pourquoi La Revue des Troupes coloniales, publiée sous le patronage du Ministère de la Guerre, a pour objectif de compenser le manque de connaissance des officiers isolés dans des postes, de créer un esprit de cohésion entre marsouins et bigors (p.101).
Cette littérature pour coloniaux constitue un assez juste reflet de leurs préoccupations (p.103) dans la mesure où les troupes coloniales sont chargées de prendre en main des territoires immenses sans en avoir les moyens (p.106). Le Manuel à l’usage des troupes coloniales constitue une vraie somme des connaissances accumulées depuis la fin du XIXe siècle et annonce la répartition des tâches entre troupes coloniales et métropolitaines en désignant comme marqueur l’islam plus discriminant que la race (p.193). En Afrique, les responsables coloniaux craignent toujours que l’islam soit un élément fédérateur capable de les gêner (p.232). La formation des sous-officiers africains progresse à cause du reflux des troupes coloniales blanches (p.194). De très nombreux officiers, comme Charles Mangin, pensent qu’il faut utiliser l’armée comme « ascenseur social » (p.195).
Les troupes coloniales qui ont intégré les troupes paras et la Légion Etrangère font figure des derniers défenseurs de l’Empire lors de la guerre d’Indochine (p.310). La guerre d’Algérie impose de nouvelles structures de formation comme le Centre Militaire d’information et de Spécialisation sur l’Outre-Mer (CMISOM) qui s’ouvre à l’enseignement sur l’Afrique du Nord (p.318). Il deviendra le CMIDOM en 1965, localisé à Versailles et dirigé de 1995 à 1998 par notre confrère André Ronde. Après les indépendances africaines, des accords d’assistance militaire opérationnelle et technique sont signés à partir de 1960. (p.324). Dans les anciennes colonies, l’association Le Souvenir Français, fondé en 1873 a joué un rôle fédérateur ; disposant de délégations à l’étranger transmettant aux jeunes générations un héritage mémoriel (p.332). Dans les années 1920, des membres du « Parti Colonial » au Sénat et à la Chambre des Députés créent l’Académie des sciences coloniales pour mettre en lumière la part d’intellectualité que comporte la colonisation française. Paul Bourdarie, G. Hanotaux, P. Doumer, E. Roume, le Général Archinard, Pavie, la feront reconnaître comme Institution d’État le 26 janvier 1926 (p.168).
La mise en valeur des colonies est intégrée par les militaires sans déboucher sur des avancées, tant l’investissement apparaît comme un tonneau des Danaïdes, qu’on craint de forger un prolétariat dangereux pour la souveraineté française (p.235) et que les civils et les militaires ont de la difficulté à travailler ensemble (p.242). Néanmoins le programme de renforcement de la défense dans les possessions d’outre-mer entraîne une timide industrialisation (p.251). Pourtant en septembre 1939, les troupes coloniales qui comptent 65.265 hommes dont 43.000 en Europe (p.261) entrent dans la guerre en 1939 avec leurs seules poitrines pour défendre l’Empire (p.257). En 1940, l’effort de mobilisation a pu réunir 180.000 hommes pour l’Afrique et 90.000 pour l’Asie. 29 régiments prennent part à la campagne de France (p.264) : 17 sont capturés et 12 retraitent dans le Sud-Ouest. Les soldats allemands se livrent d’abord à une chasse « aux Noirs » puis développent auprès d’eux une propagande pro-islamique et anticoloniale qui influenceront les tirailleurs sénégalais (p.268). Le ralliement de Félix Eboué au Tchad, des gouverneurs du Cameroun et de l’AEF modifieront la donne (p.269) avec la formation d’une « Armée de Gaulle » conduite par le Général Leclerc. En 1942, avec le débarquement américain en Afrique du Nord, les troupes coloniales se mêlent aux troupes nord-africaines, ce qui aboutit en 1943 à la création du Comité français de Libération nationale (p.279). Les troupes coloniales se trouveront répartis dans les camps vichyste et gaulliste (p.282). En 1961, un nouveau corps de troupe, le régiment mixte des Antilles-Guyane (1) est créé dont les travaux d’équipement conduiront à la formation professionnelle des jeunes gens dans le cadre du Service Militaire Adapté (p.322) ou SMA (1).
L’auteure estime que la dimension politique de l’Empire reste encore mal connue (p.339). Les troupes coloniales pourraient-elles devenir une troupe d’élite envoyée en mission au titre de l’OTAN ou de l’ONU sur des théâtres d’opérations extérieures ? (p.340).
Le chercheur appréciera les tableaux décrivant les soldes (p.46,47,51,183), les effectifs (p.143 à 146, 224, 225), la participation aux batailles (p.148,149), la mobilisation aux colonies en 1940 (p.263,264), la liste des sigles et acronymes (p.341 à 343), toutes les précieuses notes (p.345 à 375), les sources et la bibliographie (p.377 à 385), l’index des personnes citées (p.387 à 392).
(1) Nos consoeurs et confrères ont en mémoire le très bel ouvrage, dirigé par Max Dubois,60 ans de Service Militaire Adapté, Dijon ICO Imprimerie 2021, qui nous a été offert à l’occasion de la tenue du Colloque qui avait été consacré à cette Institution.