Géopolitique de la puissance américaine : quel rôle pour les États-Unis dans le monde ?

Auteur Laurence Nardon
Editeur PUF
Date 2024
Pages 205
Sujets Géopolitique
États-Unis

19e siècle

20e siècle

21e siècle
Cote 69.060
Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


Laurence Nardon, docteur en science politique, dirige le programme Amériques de l’Institut français des relations internationales et étudie les enjeux de la politique américaine au quotidien.

Son analyse débute par une interrogation : « Les États-Unis ont-ils renoncé au leadership ? » Car c’est à l’évidence la question que se pose avec raison tout observateur des relations internationales, surtout depuis la fin de la guerre froide. Si depuis 1992, les USA avaient bien individualisé la Chine comme le prochain compétiteur majeur, ils n’avaient pas envisagé la multiplication des zones de conflit, du « terrorisme », pas plus que l’émergence d’un « Sud global » dont l’influence dans le monde est croissante. De surcroit, les États-Unis hésitent depuis longtemps entre des courants de pensée opposés : principes moraux ou réalisme ; interventionnisme à l’étranger, seuls ou avec des partenaires ou isolationnisme, libre-échangisme ou protectionnisme ? Enfin, si la thèse de Francis Fukuyama de la « Fin de l’histoire » semblait aller de soi jusqu’à il y a quelques années, c’est plutôt celle de Samuel Huntington du « Choc des civilisations » qui apparait aujourd’hui comme la plus pertinente.

La première partie de l’ouvrage passe en revue les « Trois étapes de la géopolitique américaine ». D’abord, ‘La naissance d’une puissance’ relate comment, devenus indépendants, les Américains vont consolider leur territoire et délimiter leur zone d’influence aux Amériques avec la doctrine Monroe. Pendant tout le XIXe siècle, la politique commerciale fit l’objet de nombreux débats entre les tenants de l’industrie naissante et ceux favorables à l’exportation. Au plan militaire, on vit dès 1890, les débuts de la puissance navale américaine et en réaction, une certaine opposition au « Modèle impérial ». Après l’armistice de 1918, le Président Wilson fut un des principaux tenants de la création de la Société des Nations, ce qui lui donna l’occasion de mettre en œuvre sa vision d’une diplomatie morale et interventionniste. Mais l’isolationnisme fit son retour avec le refus du Congrès de ratifier le traité de Versailles et d’adhérer à la SDN.

Rattrapée par sa prise de conscience d’être devenue une puissance majeure depuis 1945, l’Amérique devenue leader du « monde libre », fit primer son anticommunisme sur toute autre considération et se livra à une course aux armements, notamment nucléaires, qui conduira à l’effondrement de l’URSS, incapable de produire à la fois « du beurre et des canons ».

Mais l’illusion de la « pax americana » fut de courte durée, puisqu’à partir de 2001 la compétition entre les grandes puissances fit un retour inattendu et l’on assiste à présent à l’émergence d’un « monde multipolaire ». Parmi les compétiteurs, la Chine surprit les Américains par la rapidité de sa montée en puissance tant économique que militaire, alors qu’elle était envisagée à plus long terme, ce qui justifia le « pivot vers l’Asie ». Toutefois, cette accélération ne s’est pas révélée linéaire, puisque la Chine est affaiblie depuis le Covid 19 et une bulle immobilière menace d’éclater.

Chronologiquement, le 11 septembre 2001 est considérée aux États-Unis comme une date aussi importante que Pearl Harbour. L’attentat contre les Twin Towers a fait prendre conscience aux Américains qu’ils n’étaient pas à l’abri sur leur propre sol. Les guerres en Irak, l’irruption d’Al-Quaïda au Maghreb et au Moyen-Orient mirent en évidence la menace diffuse qui risquait également de battre en brèche leur suprématie. Enfin, la volonté de revanche de la Russie la conduisit à contester à nouveau le leadership américain, en occupant une partie de l’Ukraine et en s’opposant à l’élargissement de l’OTAN.

Dans la seconde partie de son ouvrage, l’auteur passe en revue les moyens de la puissance américaine, tant économique que militaire et technologique, qui semble encore avoir une longueur d’avance sur ses concurrents, mais pour combien de temps encore ?

L’évolution du soft power américain depuis 30 ans est également évoquée, ainsi que l’arme de prédilection américaine, qui réside dans l’adoption de sanctions économiques, puisqu’elles font maintenant partie d’un de ses vecteurs de hard power.

Laurence Nardon termine son ouvrage sur un questionnement : quelle marge de manœuvre y a-t-il pour les Européens, alors que l’Amérique se cherche : au plan intérieur elle apparait de plus en plus désunie, quant à sa politique étrangère, elle est en gestation depuis la victoire récente de Donald Trump à l’élection présidentielle.

En moins de 200 pages, l’auteur a réussi à dresser un panorama du rôle des États-Unis dans le monde de manière claire, intelligible, avec de nombreuses statistiques et références bibliographiques, majoritairement anglo-saxonnes. Ce travail de recherche sans parti pris ni complaisance, atteste bien s’il en était besoin, de l’opportunité d’une telle étude, sur un pays qui n’a pas dit son dernier mot.