Comment la Palestine fut perdue : et pourquoi Israël n'a pas gagné : histoire d'un conflit ...

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur, enseignant à Sciences Po après avoir été diplomate, utilise des procédés didactiques thématiques qui permettent au lecteur par des renvois signalés en bas de page de s’initier aux différentes étapes de la conquête israélienne du sol palestinien. Cette histoire parallèle d’événements vécus différemment par les deux belligérants souligne les mécanismes de cette tragédie de la confrontation de deux peuples, l’un comme l’autre perdants (p.378).    

Theodor Herzl dans son Etat des Juifs (1896)est considéré comme le fondateur du sionisme politique (p.42). La Déclaration Balfour de 1917 « envisage favorablement l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine » ; de ce fait, les 90% d’Arabes palestiniens seront réduits à n’être que des communautés non juives (p.49). En 1922, la SDN attribue à la Grande-Bretagne le mandat de l’ancien territoire de Palestine.A partir de 1948, l’État juif ne lutte plus pour sa survie mais pour obtenir un territoire le plus étendu possible pour accueillir une immigration juive massive (p.167). En 1950, la Knesset adopte la loi sur le « Retour » qui garantit la nationalité israélienne à tout Juif qui effectue son « aliya ». Le service militaire pour hommes et femmes est réservé aux citoyens juifs et druzes. Le mouvement sioniste longtemps minoritaire n’avait pu se développer qu’en accueillant des tendances contradictoires (p.91). Chez les pionniers sionistes, les préjugés laïcs dominaient (p.95). En 1973, le Likoud, en s’alliant aux sionistes du Mafdal et d’Agoudat Israel, va désormais conserver le pouvoir (p.121).

Avec Netanyahu, premier ministre de 1996 à 1999 (p.185) revenu au pouvoir en 2009, la majorité gouvernementale se déplace d’un scrutin à l’autre vers l’extrême droite (p.153). En 2018, Netanyahu fait adopter par 62 voix sur 120 la loi fondamentale proclamant Israël État-Nation du Peuple juif. La minorité arabe, 1/5e de la population, se mobilise contre ce texte qualifié de raciste (p.146). En 2019, un nombre équivalent de Juifs et d’Arabes résident en Israël qui s’étend sur 77% du territoire, l’Autorité palestinienne n’ayant que la Cisjordanie morcelée et le Hamas, la bande de Gaza, sur 1% du territoire (p.12).

Soutien d’Israël, le courant évangélique protestant anglo-saxon considère la Palestine vide de nation tant que le peuple juif n’aura pas accompli son supposé destin de l’établissement du Royaume de Dieu (p.31). Les fouilles de la Palestine Exploration Fund apportent une caution « scientifique » à cette vision biblique (p.38). En 2017, le Président Trump, élu avec 82% du vote évangélique blanc (p.85), reconnait Jérusalem capitale d’Israël (p.88).

Israël a aussi bénéficié des faiblesses structurelles (p.192) du nationalisme palestinien qui souffre de la polarisation entre les partisans des familles rivales de Jérusalem, les Husseini et les Hashashibi (p.261). Cette société traditionnelle est structurée par les clans, hamoula (p.258). En 1949, la Palestine a disparu, englobée dans les États israélien, jordanien, égyptien pour Gaza (p.169). Les Fédayins, armés par l’Égypte en 1955 (p.172), se constitueront dans l’exil contre les notables traditionnels (p.15). En 1964, le Conseil National Palestinien réuni à Jérusalem-Est, crée l’OLP, dont la charte stipule l’arabité de la Palestine mais sans mentionner un éventuel État palestinien (p.226). La direction de l’OLP résidera à Amman, à Beyrouth, à Tunis loin des nationalistes cisjordaniens (p.287). En 1971, les fedayin, écrasés en Jordanie, fuient au Liban, que l’Accord du Caire entre Nasser et Arafat a livré à l’OLP (p.231). Arafat et 4000 combattants en seront expulsés en 1983 sous la protection de la France qui les fera conduire en Tunisie (p.242). En 1974, au Sommet de Rabat, l’OLP avait été reconnue comme seul représentant du peuple palestinien (p.178). La solution de deux États avait été acceptée par le Parlement palestinien à Alger en 1988 (p.83), mais, en signant les Accords d’Oslo de 1993 (p.75), Arafat avait accepté de n‘exercer qu’un pouvoir délégué par Israël sur ¾ de Gaza et l’enclave autour de Jéricho (p.296) ; Israël détiendra ainsi 73% des territoires, 97% de la sécurité et 80% de l’eau (p.345). Arafat aura évité la guerre civile mais en 2004, après sa mort, le Hamas s’impose à Gaza, le Fatah en Cisjordanie (p.16) et cette hostilité pèse lourdement dans l’impasse durable du projet national (p.257). En 2000, la provocation de Sharon de se rendre sur l’Esplanade des Mosquées déclenche l’Intifada d’Al Aqsa multipliant les attentats-suicides (p.136). A partir de 2001, les travaux du Mur de séparation sur la ligne verte de 1949 prolongent le grignotage de la Cisjordanie malgré la condamnation de la Cour Internationale de Justice de 2004 (p.139). L’évacuation de Gaza par l’armée israélienne en 2005 offre au Hamas le contrôle du territoire à la place de l’OLP (p.141), niant toute légitimité à l’entité sioniste (p.311). Les Palestiniens subissent donc 4 statuts différents (p.190) comme citoyens israéliens (1,7 million), résidants de Jérusalem Est (300.000), résidants en Cisjordanie (2,8 millions) ou à Gaza (2,2 millions). En 2021, Mahmoud Abbas ajourne les élections, en Cisjordanie, prolongeant son mandat présidentiel déjà long de 16 ans (p.313). Sur le plan international, l’UNESCO en 2011 accueille la Palestine comme membre de plein droit. A l’ONU, elle doit se contenter du statut d’État non membre observateur à cause de l’opposition des États-Unis (p.356) tandis que l’Assemblée Nationale française aura voté en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine (p.358).

Les ingérences arabes ont été aussi la cause de la faillite palestinienne (p.16). Pendant le Mandat, les souverains arabes font taire les Palestiniens. La fin du Mandat marque la première guerre israélo-arabe (p.110). Les Régimes arabes, humiliés par leur défaite contre Israël, parlent au nom de la Palestine qui est au cœur de leurs rivalités (p.223). Les Chefs d’État arabes excluent toute représentation palestinienne des armistices conclus avec Israël en 1949. Ce n’est qu’après la défaite de 1967 que la résistance palestinienne trouvera une visibilité propre lorsque les Fedayin auront pris le contrôle de l’O.L.P. En 1982, lors du siège de Beyrouth, l’OLP combat seule avant d’être évacuée. L’illusion arabe d’un soutien purement déclamatoire s’accompagne une fois encore de l’abandon effectif de la population palestinienne (p.373). L’Intifada de 1987 les obligera à adopter seulement en 2002 la solution à deux États. Un consensus de façade masque mal le malaise des dirigeants arabes face au Hamas qu’ils souhaiteraient voir affaibli (p.374). Depuis septembre 2020 les Émirats, Bahreïn, Soudan, Maroc, en négociant avec Israël, ont passé sous silence la question palestinienne (p.87) tandis que le Qatar, soutien des Frères Musulmans et du Hamas, s’oppose aux Émirats qui mènent une politique antiterroriste et soutiennent Dahlan. La solidarité islamique aura été également inefficace (p.15).

Israël avait cru construire son avenir sur le refus d’accorder au peuple dominé aucun horizon politique mais cette illusion vola en éclats le 7 octobre 2023. Puis le siège de Gaza s’est refermé sur Israël comme sur les Palestiniens (p.17). C’est que l’arabisation de la question palestinienne avait fourni à la propagande israélienne les arguments pour nier l’existence même du peuple palestinien (p.255). Cependant, les destins des peuples israélien et palestinien sont liés pour le meilleur et malheureusement pour le pire (p.18). La solution à deux États constitue le seul horizon d’avenir pour la coexistence de deux peuples sur la même terre (p.377). Ce drame en cours d’une ampleur sans précédent devra provoquer le sursaut nécessaire pour y parvenir (p.378).

Le lecteur appréciera les dix cartes régionales depuis l’antiquité jusqu’à 2020 (p.19ss), la sélection bibliographique (p.379), les index des personnes (p.409), des lieux (p.415) et des organisations et institutions (p.423).