Auteur | Émilie Aubry, Frank Tétart ; cartographie, Thomas Ansart |
Editeur | Tallandier, Arte |
Date | 2024 |
Pages | 219 |
Sujets | Politique maritime 2000-.... Ressources marines 2000-.... Puissance maritime 2000-.... -Atlas Mer Géopolitique Relations internationales XXIe siècle |
Cote | In-Folio 532 |
Sous la direction d’Émilie Aubry et de Franck Tétart, ce titre est la déclinaison publiée de l’émission hebdomadaire « Le dessous des cartes », diffusée sur Arte depuis 1990 et animée par Émilie Aubry depuis 2017, qui appréhende, par la cartographie et l’infographie, un thème géopolitique. Après l’Atlas géopolitique (2005), l’Atlas d’un monde qui change (2007), les Itinéraires géopolitiques (2012), Le Monde mis à nu (2021) et Le Retour de la guerre (2022), ce volume porte un éclairage sur les mers et les océans, leur importance géopolitique et stratégique comme routes commerciales, verrous militaires et/ou réservoirs de ressources alimentaires et énergétiques. En vingt et une escales, le lecteur est amené à parcourir les quatre - ou cinq, en comptant l’Austral - océans du monde et quelques-unes des cent treize mers les plus emblématiques du moment.
Un tour du monde que le lecteur peut découvrir dans l’ordre de présentation mais tout autant au gré de ses envies : si les escales suivent symboliquement l’histoire des grandes routes maritimes - de la vieille Europe aux Amériques puis au Pacifique via le cap Horn ; les grands travaux de percement de Suez et de Panama ; les routes des Indes, etc.-, le format du document incite plutôt au cabotage, à mouiller plus ou moins longtemps à un port selon son intérêt. Dans tous les cas, les rappels historiques sont agréablement mis en balance avec l’actualité, permettant de mieux comprendre, de confirmer ou d’infirmer certaines prétentions territoriales.
La guerre déclenchée par la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine est bien évidemment le point central autour duquel les auteurs tissent leurs propos ; chaque lieu stratégique est évoqué à l’aune de cette invasion : « avant » et « après ». D’autant plus logiquement que la globalisation a tissé des liens de dépendance des pays les uns avec les autres. Une guerre entraîne - outre les conflits en eux-mêmes - une cascade de prises de position, mettant face à face, aux bords de certaines mers, les tenants de l’un ou l’autre camp. C’est le cas notamment en mer d’Azov, où l’Ukraine et la Russie s’opposent frontalement, mais aussi en mer Baltique et en mer Noire dans une opposition Otan/Russie, en mer Caspienne… Par effet de domino, d’alliances et d’ententes, il s’avère que ce conflit touche la majorité des mers présentées.
L’affrontement Israël-Hamas est lui aussi évoqué en filigrane puisqu’il ne se limite pas non plus à un secteur borné. Les revendications territoriales, déclinées en revendications culturelles et religieuses, impactent la région immédiate (canal de Suez), mais aussi l’ensemble de la mer Rouge - notamment le détroit de Bab el-Mandeb - et, avec elle, l’intégralité du monde, dépendant de ce haut lieu de passage commercial et énergétique. Il en est de même dans le golfe Persique, où les divergences entre l’Iran et l’Arabie saoudite mettent en péril la libre circulation du pétrole et la sécurité du détroit d’Ormuz. À ces rivalités manifestes, É. Aubry et F. Tétart n’omettent pas d’ajouter les « irritants », objets de frictions entre voisins : la question migratoire dans la région du détroit de Gibraltar, les zones de pêche en mer du Nord, le fantôme de l’unification irlandaise en mer d’Irlande…
Autre fil rouge de ce document : la Chine. Le pays de Xi Jinping est évoqué pratiquement lors de toutes les escales : son impact économique, ses investissements dans les infrastructures, ses velléités territoriales, ses menaces dissuasives ou clairement agressives, ses infractions manifestes aux règles internationales… La Chine est partout, y compris dans des lieux qui n’existent pas encore (route transpolaire). Sans (presque…) aucun parti pris, les auteurs annoncent factuellement les jeux de pouvoir, concentrés autour des États-Unis, de la Chine et de la Russie, dans un équilibre instable et des desseins sécuritaires et/ou économiques.
Le rédactionnel, d’une clarté et d’une concision notables, est habillé d’un ensemble cartographique et infographique exemplaire : en couleurs et magistralement contrastées - à quelques exceptions près - les cartes et infographies soumettent au lecteur, en un seul regard, les verrous et les points de friction, les autoroutes et les volumes, les goulots d’étranglement et les - rares - espaces encore vierges. Elles donnent aussi à voir l’importance des espaces maritimes - grâce, par exemple, à la projection Spilhaus -, des espaces plus que jamais en péril du fait de la pollution de tous ordres, du dérèglement climatique et de la prédation humaine, que ce soit en surface ou dans ses profondeurs.
Cette mise en page aérée, claire et agréable à feuilleter, alliée à des textes concis mais explicites et documentés, font du Dessous des cartes - La puissance et la mer un ouvrage incontournable pour comprendre les enjeux maritimes, et le monde tel qu’il est aujourd’hui.