Auteur | Ahmed Youssef |
Editeur | Passés composés |
Date | 2024 |
Pages | 149 |
Sujets | Napoléon Ier (1769-1821) empereur des Français Influence Civilisation arabe Égypte 1798-1801 (Occupation française) |
Cote | 68.839 |
L’auteur, historien et membre de l’Institut d’Égypte au Caire, a écrit ce petit livre fort intéressant, qui lie les mémoires de deux peuples, le français et l’égyptien.
La première partie du livre s’intitule « Le témoignage de Gabarti. Pièce à conviction ou à séduction ? ». L’auteur utilise à ce propos les mémoires d’un chroniqueur, historien et savant religieux égyptien, ‘Abd al-Rahmân al-Jabartî (1754-1822), prononcé Gabartî en dialecte égyptien. Parmi ses œuvres : Les événements merveilleux dans les biographies et les récits historiques (en arabe), témoignage de première main de l’expédition de Bonaparte en Égypte dans lequel il montre le fossé existant entre les savoirs occidental et islamique. Cette œuvre a été traduite plusieurs fois en français et on ne sait pas vraiment si la traduction citée par Ahmed Youssef est de lui ou d’un prédécesseur. Cette partie aborde les sujets suivants : un Égyptien chez Bonaparte ; une fête républicaine au Caire ; les cheikhs face à la science française ; la République au contact du monde arabe ; l’affaire des Égyptiennes ; portrait du « prétentieux Bonaparte ». Il va s’en dire, cette partie est fort intéressante même si elle n’est pas réellement neuve.
La deuxième partie s’intitule « Bonaparte dans le miroir d’un chrétien arabe ». Il s’agit de Nicolas Turc (1763-1828), lui aussi traduit en français au XIXe et au XXe siècle. Les sujets traités sont : le Bonaparte de Nicolas Turc ; une sévère critique de Bonaparte aux Égyptiens ; le récit arabe de l’évasion de Bonaparte ; un poème à la gloire de Napoléon. Comme la précédente, cette partie intéressera sans aucun doute le lecteur pour ses informations historiques. Une remarque qui s’applique à la première comme à la deuxième partie et d’ailleurs aussi à la troisième : la translittération n’est pas toujours précise, on note quelques répétitions, et inévitablement de petites coquilles.
La troisième partie se nomme « Napoléon dans la culture arabe aujourd’hui ». C’est en un sens la plus intéressante car la plus novatrice. Les sujets abordés sont : Adieu Bonaparte de Youssef Chahine ; le Napoléon des séries télévisées arabes ; traduire Napoléon, une nouvelle passion arabe ; le mythe de Napoléon, entre nationalisme et islamisme ; ces Arabes qui s’appellent Napoléon et ceux qui rêveraient de l’être ; « Sur la tombe de Napoléon », poème épique du prince des poètes arabes ; un poisson nommé napoléon. L’auteur narre les coulisses culturelles et politiques de la réalisation de ce film, coproduction franco-égyptienne sortie en 1985. Pour la célébration du bicentenaire de la campagne de Bonaparte, l’État égyptien a financé une superproduction de soixante épisodes télévisés diffusés en 1996 et 1998.
Depuis les années 1990, beaucoup de travaux en français ont été traduits en arabe dont ceux de feu l’historien André Raymond comme du professeur Henry Laurens, engouement qui a mené l’Institut d’Égypte à entreprendre la traduction en arabe du deuxième tome de la Correspondance générale de Napoléon, soit quelque 1 266 pages par les soins d’Ahmed Youssef. Concernant le mythe de Napoléon entre nationalisme et islamisme, l’auteur rappelle des événements historiques assez récents (sous Nasser par exemple) de même qu’il propose des analyses politiques stimulantes. Pour les Arabes qui s’appellent Napoléon ou rêveraient de l’être, l’auteur fournit des anecdotes qui mériteraient probablement un plus large développement car elles sont réellement significatives de dynamiques psychologiques particulières. Le poème épique du « prince des poètes arabes », l’Égyptien Ahmad Shawqî (1868-1932), est présenté au lecteur dans une traduction élégante (de l’auteur), même si la mélodie de la langue arabe a inévitablement disparu. Quant au poisson dénommé le napoléon, il s’agit d’un labridé découvert en 2021 dans la mer Rouge, fait divers plaisant qui trouve sa place dans ce livre original.
La conclusion se veut (comme il se doit) synthétique mais aussi optimiste puisque l’auteur rappelle les propos du président Nasser dans sa Philosophie de la révolution, pamphlet pourtant très anti-impérialiste : « Cette conquête a ouvert la voie à la modernité et elle a créé, entre les deux pays, des horizons partagés. » Si toutes les aventures coloniales ou impérialistes pouvaient avoir le même dénouement... Viennent ensuite quelques notes, peut-être pas assez suffisantes pour les spécialistes, puis une bibliographie, peut-être elle aussi trop courte, mais comme il s’agit d’un ouvrage visiblement destiné à un large public, ces remarques ne sont pas essentielles. En un mot : c’est un livre que le rapporteur a eu plaisir à lire, apprenant tout en se distrayant.