Auteur | Raphaël Cheriau |
Editeur | CNRS |
Date | 2023 |
Pages | 400 |
Sujets | Droit d'ingérence humanitaire Mouvements antiesclavagistes 19e siècle Droit maritime Histoire Relations extérieures France 19e siècle Relations extérieures Grande-Bretagne 19e siècle Révoltes d'esclaves Zanzibar (Tanzanie) Zanzibar Jusqu'à 1890 Esclavage Fonds d'archives 19e siècle |
Cote | 68.130 |
Ce livre constitue la version publiée d’une thèse soutenue en 2017 à Sorbonne université sous la direction des professeurs William Mulligan et Olivier Grenouilleau, une version ayant déjà paru en anglais en2021.
Raphaël Chériau a choisi un sujet d’étude relativement large portant sur près d’un demi-siècle de relations internationales et qui le conduit à croiser véritablement (ce qui est rare) deux politiques, française et britannique (sans oublier, évidemment, le rôle joué par le sultanat de Zanzibar) ; le tout en s’appuyant sur des jeux d’acteurs variés (politiques gouvernementales et ministérielles, relations bilatérales et grandes conférences internationales, mais aussi acteurs de terrain) et évoluant dans le temps. Il en résulte un vrai travail d’histoire globale, fondé sur une très riche documentation, anglaise et française.
L’auteur reprend avec maitrise la question depuis longtemps fort débattue des formes d’expansion, d’ingérence et de colonisation européenne en Afrique à partir du tournant de la seconde moitié du XIXe siècle, ainsi que celle, non moins complexe, des interférences et concurrences se manifestant à cette occasion entre puissances occidentales. Il traite également d’une question d’histoire maritime essentielle, à propos de laquelle se cristallisent la plupart des controverses franco-britanniques : celle des boutres permettant d’alimenter la traite entre le continent et Zanzibar et des pavillons censés la couvrir, qui est étudiée de manière remarquable. Si les Français n’hésitent pas, par exemple, à accorder leur pavillon à des bâtiments dont ils savent qu’ils peuvent pratiquer la traite, R. Cheriau montre qu’ils tendent également à contrôler de plus en plus ce processus. De leur côté, s’empressant de mettre en avant le rôle de la France dans la poursuite du trafic négrier, les Britanniques feignent d’oublier le fait que des boutres transportant des esclaves arborent également leur pavillon.
La question des boutres de négriers peut ensuite être replacée par l’auteur au cœur d’une problématique beaucoup plus large qui est celle de la manière dont Français et Britanniques conçoivent les outils de leur influence dans la région. Non moins éclairante est l’analyse du jeu très habile mené par le Sultanat de Zanzibar qui lui permet de conserver le contrôle d’une flotte elle aussi essentiellement composée de boutres. Par tous ces aspects, Raphaël Cheriau nous renseigne très précisément sur le processus ayant progressivement placé Zanzibar sous contrôle britannique et indirectement Madagascar sous contrôle français, le tout s’inscrivant dans un système plus large de partage d’influence dans l’océan Indien. Il montre que ce processus n’était nullement acquis d’avance et qu’il permit longtemps au Sultanat de Zanzibar de conserver, voire de renforcer, ses propres positions dans la région.
Par ailleurs, l’historien réussit à démontrerque la question zanzibarite (avec ses différents protagonistes, français, britanniques, zanzibarites, mais aussi allemands, italiens et portugais avec le blocus de 1888-1889) a, historiquement, et ceci bien avant le milieu du XIXe siècle, conduit à l’une des phases de cristallisation du principe que nous appelons aujourd’hui ingérence pour raisons humanitaires. Une large place est d’ailleurs faite aux débats intervenus autour de cette notion lors des grandes conférences internationales de la fin du XIXe siècle, Bruxelles et La Haye (chapitres 7 et 8).
Raphaël Cheriau montre ainsi de manière très convaincante comment se rencontrent à Zanzibar l’abolitionnisme né d’une philanthropie humanitaire, sa mise en œuvre par des politiques concrètes de lutte contre la traite et la naissance et le développement d’un nouvel impérialisme. Il souligne bien aussi la forte persistance du thème de la lutte contre la traite durant le second XIXe siècle, alors qu’une historiographie plus classique considère qu’il s’agit là d’une motivation en déclin depuis les années 1840. En fait, jusqu’aux années 1870, les actions humanitaires anti-esclavagistes contribuent involontairement à l’expansion coloniale britannique. Puis, à partir des années 1880, l’action politique brandit l’arme humanitaire pour étendre sa zone d’influence en Afrique. Cette réflexion s’inscrit dans un débat historiographique plus large, celui qui a trait aux liens entre missions religieuses et impérialisme britannique.
Ce travail, accompagné de deux cartes très précises, ainsi que d’illustrations significatives (notamment une reproduction des modèles de boutres négriers), apporte donc une très importante contribution à l’histoire des côtes africaines de l’océan Indien au XIXe siècle. Par son analyse des débuts des interventions humanitaires, il fournit aussi, comme nous invite l’auteur dans sa conclusion, des éléments utiles de réflexion sur les stratégies des actions humanitaires conduites de nos jours.