Voyage dans le temps … au Sud-Soudan, 1977-1984

Recension rédigée par Yves Boulvert


Pédiatre et président de l’Association européenne pour l’étude de l’alimentation et du développement de l’enfant (ADE), le docteur Zygmunt L. Ostrowski, mena, de 1977 à 1984 avec une équipe franco-soudanaise, une étude scientifiquedans le secteur du canal de Jongleï, au Sud-Soudan. Comme les populations voisines du Sud de l’Éthiopie, celles du Sud Soudan (644 000 km2) sont restées marginalisées par les Britanniques, véritables maîtres du pays de 1899 jusqu’à l’Indépendance accordée aux Musulmans de Khartoum, le 1er janvier 1956. Dès 1955, un premier conflit avait éclaté avant que la partition en deux États ne fût admise, en juillet 2011. Ce ne fut pas, hélas, la fin des combats.

            Pour étayer son propre témoignage sur ces populations, l’auteur, diplômé à Varsovie en « Sciences africaines », a regroupé 176 photographies qui rendent compte de leur diversité : le Sud-Soudan est en effet habité par une mosaïque d’ethnies. Dans son ouvrage, l’auteur dévoile quelques photos d’ethnies vivant plus au Sud (Latouka, Toposa, Turkana…), mais s’intéresse essentiellement aux Nilotiques du Nord. Ces derniers se partagent en trois grandes ethnies. Deux sont constituées de pasteurs semi-nomades dont les territoires sont imbriqués au sein et autour du grand marécage du Sudd : les Dinka dont chaque tribu élit son chef, et les Nuer, communautés sans autorité politique. Enfin les Shillouk (une royauté) vivent sédentaires et pêchent sur les rives du Nil Blanc et de la Sobat de part et d’autre de Kodok (ex Fachoda !).

            Très traditionnelles, les coutumes diffèrent d’une ethnie à l’autre. L’habillement de cette population dont la stature est grande et mince, est restreint. Marqueurs de socialisation, les rites d’initiation sont souvent douloureux (par exemple, ablation des dents inférieures). Les scarifications sont des marqueurs d’identité essentiels qui se transforment parfois en chéloïdes monstrueux.

            La polygamie est largement répandue chez ces animistes. Leur animal fétiche est le bovidé (bœuf ou zébu) qui, outre sa production de fromage caillé, constitue surtout la dot scellant les mariages.  Réduite en cendres, la bouse de vache sert à décorer les corps, à colorer les cheveux, à fournir un dentifrice … Les lances sont des outils de chasse ou de combats. Pour ces trois ethnies, l’autruche est un tabou alimentaire, de même que le singe qui ressemble trop aux humains. (En Centrafrique, c’est un mets apprécié !).

Animistes avant tout, les Nilotiques croient aux idoles, aux sacrifices, à la magie. À noter toutefois (photo 35), un enfant portant une croix à son cou.

            Cet ouvrage comporte, outre le corpus de 176 photographies d’un réalisme bouleversant, 6 cartes et des arbres généalogiques plus complexes qu’on ne pourrait le penser, sans oublier quatre résumés en anglais, allemand, polonais et arabe.

Dans sa préface, Marie-Christine Josse, qui a travaillé depuis 1977 au Soudan en tant que directeur scientifique de l’ADE et collaboré au texte de l’ouvrage, insiste sur l’objectif de la mission : l’étude prospective sur l’amélioration de l’état de santé de ces populations, générant en surplomb une étude complémentaire sociologique sur « les modes de vie traditionnels, les coutumes, les croyances, la perception de la mort et de la maladie ».

En 2007, pour « Soudan, À l’aube de la paix, Combat de John Garang », ces auteurs ont partagé le prix H. Duveyrier de la Société de Géographie. Hélas, les guerres civiles se sont poursuivies avec famines et souffrances.

Puissent leurs responsables méditer sur la tristesse qui émane de la photo 37, « L’enfant sans espoir ».