Auteur | Pauline Monginot |
Editeur | Maisonneuve&Larose, nouvelles éditions |
Date | 2022 |
Pages | 362 |
Sujets | Peinture Société Madagascar 1800-.... Peinture coloniale Madagascar Thèses et écrits académiques Échanges culturels européens Madagascar (île) Colonisation Madagascar (île) Histoire sociale Madagascar (île) XIXe-XXe siècles |
Cote | 67.075 |
Peintres de Tananarive. Palettes malgaches, cadres coloniaux de Pauline Monginot est un ouvrage issu d’un travail de recherche en thèse. Il propose une étude de la peinture malgache sur près d’un siècle, de 1888 à 1975, 1888 correspondant au voyage de l’artiste malgache Philippe Ramanankirahina à Paris, qui étudia aux Beaux-arts et après son retour à Madagascar, il réalisa une galerie de portraits des souverains de merina, marquant les débuts de la peinture de cour malgache, et 1975 correspondant au début de la Seconde République malgache, après le renversement de la Première République en 1972.
La période couverte prend en compte le contexte historique de Madagascar marqué par les rivalités entre puissances française et britannique à l’époque du royaume de Madagascar (1817-1895), la montée en puissance de l’influence française qui conduit au protectorat en 1885 puis à l’annexion de l’île en 1896, la colonisation française (1896-1956), la proclamation de l’indépendance en 1960 et l’établissement d’un régime républicain, cette toile de fond permettant de comprendre les enjeux de l’introduction de la peinture de style occidental à Madagascar et son développement.
A la suite des travaux de Hemerson Andrianetrazafy, seul historien de l’art à s’être intéressé à la peinture malgache, cet ouvrage analyse l’histoire de la peinture malgache selon une perspective nouvelle en refusant la vision habituelle consistant à opposer l’art traditionnel malgache et l’art colonial, et il remet en question l’idée selon laquelle la peinture étant une technique occidentale importée ne peut être malgache. En effet, l’art traditionnel de Madagascar était représenté par la sculpture décorative ou funéraire, l’orfèvrerie et le tissage des lamba, et l’évocation de la peinture est rarissime au point que cette dernière est « considérée comme une pratique étrangère » (p.27). Contrairement à cette vision, la démarche de Pauline Monginot consiste à « concevoir la peinture malgache comme un révélateur de la mutation d’une société sur près d’un siècle » et à proposer « une relecture des rapports coloniaux » (p.27).
Parce que la peinture est difficilement considérée comme l’expression culturelle du pays, ce travail de recherche s’impose comme une exploration de sa nature complexe. L’étude tient compte de l’historiographie et de l’appréhension de la peinture malgache selon des critères occidentaux au temps de la colonisation au point qu’à partir des années 1950 et surtout après l’indépendance, la peinture sera exclue des études anthropologiques car jugée trop occidentale à l’heure où l’authenticité est recherchée dans la culture malgache.
L’auteure renouvelle l’approche à nouveaux frais par l’exploration et la mobilisation de nombreuses archives administratives (archives nationales, archives nationales d’outre-mer, archives nationales malgaches, Archives nationales du Sénégal, Archives départementales de Saint-Denis de la Réunion, celles des centres spécialisés tels que l’Agence Nationale Taratra de Madagascar, et celles des missionnaires, des musées tels que le musée Léon Dierx, le musée du Conseil Régional de la Réunion et le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, les articles dans la presse, des archives privées à Tananarive, Paris, Aix-en-Provence, Dakar, auxquels s’ajoutent des sources orales (des témoignages recueillis dans le cadre d’entretiens menés avec des descendants d’artistes, des contemporains, des collectionneurs) sans oublier les témoins matériels, les œuvres dont une part importante a été détruite dans l’incendie du Musée National du Rova en 1995, mais malgré ces obstacles, l’auteure a pu retrouver un ensemble iconographique significatif, ce dont témoignent les illustrations en noir et blanc qui accompagnent le texte ainsi que l’ensemble des reproductions en couleurs et noir et blanc (pages I à XXXII) qui figure vers la fin de l’ouvrage.
L’examen de toutes ces sources conduit l’auteure à retracer une histoire bien plus complexe et paradoxale, parvenant à montrer comment la peinture importée, notamment l’art du portrait, a été un moyen privilégié et choisi par le pouvoir malgache pour représenter le pouvoir politique et construire une identité. Le premier portrait du roi Radama fut réalisé par un peintre français, André Coppalle en 1826, ce qui inaugure une période de diffusion des techniques de la peinture occidentale à Madagascar où les écoles fondées par des missionnaires ont joué un rôle et la transposition des cadres institutionnels tels que ceux qui existaient en France au XIXe siècle aboutit à la fondation d’une école des beaux-arts en 1922, avec un enseignement basé sur les méthodes françaises. Cependant, la réalité est plus complexe qu’une simple importation et à la même époque se met en place une école des arts appliqués qui tient à souligner les spécificités malgaches.
Une approche sociologique prenant en compte l’histoire institutionnelle et les réseaux professionnels, se référant aux « mondes de l’art » du sociologue américain Howard Becker et à une micro-histoire de la création artistique permet d’analyser les parcours et les stratégies des peintres de la formation à l’insertion professionnelle et la recherche de visibilité et de reconnaissance à travers le système importé des Salons. Ainsi, le livre comprend trois parties qui abordent successivement « L’émergence de la figure de l’artiste peintre : de l’introduction de la peinture à son institutionnalisation (1826-1914) », « La Formation des peintres malgaches : discours et réalités de l’enseignement artistique, de la colonisation à la construction d’une nation », puis une dernière partie est consacrée à « Faire carrière : vivre de son art, affirmer sa réputation ». Une réflexion conduite en trois temps fait interagir acteurs et mondes de l’art, selon H. Becker : études des œuvres, puis présentation des artistes et ensuite du milieu socio-culturel où ces derniers sont à la recherche d’une identité qui se construit à la fois par les héritages traditionnels et par la rencontre avec une autre culture en prenant en compte une pluralité des mondes de l’art qui se superposent.
L’ensemble est accompagné d’une bibliographie fournie et d’annexes où l’on trouve un tableau synoptique de repères chronologiques et un tableau des peintres ayant exposé au Salon et classés en catégories.
L’étude menée est d’envergure puisqu’elle parvient, malgré certaines archives restées inaccessibles en certains lieux et la disparition de nombre de témoins matériels, à réunir un corpus de 300 peintres dont 137 participèrent aux Salons de Madagascar entre 1830 et 1838. Elle prend aussi en compte la place des femmes telles que Victoire Ravelonanosy même si ces dernières demeurent très minoritaires.
L’ouvrage montre qu’entre 1855 et 1870, c’est plutôt la pratique du dessin qui est prépondérante avec un pouvoir symbolique attaché à la peinture comme moyen de représentation, ce dont témoigne la première œuvre connue de peintres malgaches, le décor du Tranovola, le palais d’argent réalisé vers 1850. À partir de 1867, l’introduction d’un enseignement du dessin par l’intermédiaire des missionnaires britanniques s’accompagne d’une prise de conscience des individualités créatrices et de l’usage des signatures. Puis entre 1913 et 1922, on assiste à l’institutionnalisation et la professionnalisation des peintres par les écoles, ateliers, lieux d’exposition et de vente des œuvres. À partir de la colonisation en 1896, une forte empreinte française se répand dans des choix iconographiques orientés (portraits ethniques et paysages), il s’agit de représenter la richesse et la diversité des possessions. Paradoxalement, c’est aussi dans ce courant que sont réalisées les toiles qui sont porteuses d’une revendication de l’identité malgache dès les années 1930, toiles produites pour des étrangers.
Prenant le contre-pied de l’opposition traditionnelle artistes / artisans dans les cadre occidental, l’ouvrage montre que cette dernière n’est pas aussi marquée pour les peintres malgaches qui se forment dans les écoles relevant des deux sphères. Les circulations, les voyages sont également pris en compte, comme celui que permet l’obtention du prix de Madagascar. Une histoire de la constitution du patrimoine muséal malgache est également abordée grâce à l’étude des Salons dont des œuvres ont pu enrichir le fonds du musée de Tananarive entre 1930 et 1938.
L’ouvrage montre bien comment le paradoxe de représenter Madagascar à l’aide de moyens d’expression occidentaux est constitutif de la genèse d’une approche synthétique qui procède par emprunts choisis en fonction des besoins de la culture cible. Dès les débuts de l’introduction de la peinture de style européen, soit dans les années 1820, ce moyen d’expression est utilisé pour définir sa place et son identité dans la société, ce qui perdure durant la période de la colonisation qui voit la chute de la monarchie locale, avec l’avènement de la Première République, la nécessité de faire nation conduit au besoin de fédérer les différentes populations de Madagascar et se traduit en peinture par l’élaboration d’identités nationales. Si des études d’œuvres viennent étayer le propos, on suppose que certaines auraient pu être plus développées, comme y inviterait la peinture reproduite en couverture, une aquarelle sur coton de 101 cm x 78 cm, réalisée en 1899 par Louis Raoelina (illustration III-14, pl.VI), présentée comme la reproduction d’un procédé photographique. Or, ce portrait de plein pied, d’une qualité technique manifeste, semble être aussi l’affirmation intéressante d’une recherche d’identité, la jeune femme se tenant debout avec une certaine dignité se détache de manière monumentale, drapée d’un lamba traditionnel enveloppant une robe à la mode européenne. Le cadre choisi avec la maison traditionnelle à gauche et le paysage où travaillent deux personnages vêtus selon la mode locale renforcent encore cette affirmation d’un ancrage et d’un attachement à la terre malgache et à ses traditions ancestrales.
Malgré l’approche plus sociologique et historique que picturale que l’ouvrage privilégie, il a le mérite indéniable de prendre en considération la peinture malgache dans sa diversité et complexité sans se référer à un modèle ou une grille de lecture qui serait la norme occidentale, en tenant compte des porosités à l’œuvre dans une histoire où les circulations, les interactions ont contribué à la construction d’une peinture dont les liens entre le local et le global sont aussi à considérer. En ce sens, cet ouvrage apporte une contribution très précieuse à la connaissance de la peinture malgache dont il renouvelle les perspectives de lecture et d’appréciation.
L’effort de synthèse entrepris par Pauline Monginot rend ainsi plus claires les dynamiques à l’œuvre et la construction de ce qui fait la spécificité et la « singularité » de la peinture malgache plurielle et constitué de rencontres, d’hybridation, de métissages.
Elle montre bien comment la question de la construction d’une identité de la peinture malgache est en jeu dans un contexte particulier, celui de la colonisation et de ses héritages.