Auteur | Jacques Lacarrière ; [ avant-propos de Pascal Charvet ] |
Editeur | R. Laffont |
Date | 2012 |
Pages | XIV-1067 |
Sujets | Méditerranée (région) Récits personnels |
Cote | 58.800 |
Sous le titre Méditerranée, la collection Bouquins publie un recueil des œuvres que Jacques Lacarrière a consacrées à la Grèce.
Dans une lettre écrite en 1976, Claude Levi-Strauss rendait hommage à Jacques Lacarrière en ces termes: « Vous ne pensez ni n'écrivez à la façon de Chateaubriand, mais chaque nouveau livre de vous me convainc davantage que vous êtes de la qualité de Chateaubriand, dût le compliment ne pas vous plaire »" Et l'auteur de Tristes Tropiques, qui ne passait pas pour prodigue de blandices, d'ajouter: « Je vous tiens, cher Monsieur, pour l'un des meilleurs écrivains et penseurs de ce temps ».
Lacarrière fut au long de sa vie un inlassable voyageur : nous avions lu avec agrément le journal de sa traversée pédestre de mille kilomètres de la France en 1971 (Chemins faisant) et la Poussière du Monde, qui retrace le cheminement spirituel d'un soufi bektashi errant de tekke en tekke entre Khorassan et Anatolie.
Lacarrière fut assurément un grand voyageur, mais il ne fut pas un voyageur à la manière d'un Valéry Larbaud, lecteur de guides Baedeker et familier des sleepings et des grands hôtels. À la différence également de quelques chercheurs professionnels, il fut un voyageur libre de toute attache et n'attendait point de prébendes du CNRS ou d'une quelconque fondation étatique ou autre. Il le dit explicitement p. 743. Aussi vécut-il frugalement: l'on peut gager qu'un peu de pain et d'huile, des olives et des tomates, et, les jours d'abondance, du calamar grillé et du vin résiné, firent le plus souvent son ordinaire en Grèce, du moins à ses premiers voyages (de 1950 à 1966).
Il fut l'interlocuteur des humbles rencontrés en toutes pistes de ce monde, mais plus qu'aucun autre pays, Lacarrière a aimé la Grèce. Amiel écrivit jadis que chaque paysage est un état d'âme et le mérite de notre auteur est grand de nous avoir livré ses impressions de voyage dans un épanouissement de lumière et d'harmonie. Il fut, bien sûr, l'ami de Lawrence Durrell qui préfaça un de ses ouvrages, mais il sut aussi reconnaître le talent d'écrivains moins célèbres, tel le bucolique vaudois Gustave Roud ou le poète clandestin Paul Valet à qui il a rendu un bel hommage.
Une première partie En cheminant avec Hérodote (pages 3-269) est consacrée à une traduction commentée des voyages de l'illustre historien et géographe du siècle de Périclès. On trouve une description du canal de Néchao p. 151. On ne peut que s'associer aux réserves de l'auteur sur le tracé du périple d'Hannon pp. 255-256.
Les Promenades dans la Grèce antique (p. 281-520) nous emmènent d'Athènes à Delphes en passant par Corinthe, l'Arcadie, Olympie et Thèbes. Beau récit de voyage, qui évoque un peu ceux de T'Sertevens. La promenade à Corinthe et dans l'Argolide est plaisante. Bonne description du Péloponnèse dont le bon Anaxagore se disait qu'il doit bien être aussi grand que le Soleil… Nous apprenons pp. 508-509 que la Sibylle est un autre nom de la Pythie.
Dans L'été grec (pp.525-867) Lacarrière nous annonce d'emblée qu'on ne trouvera ni monuments, ni statues de marbre, comme aux pages précédentes, mais les Grecs tels qu'ils sont ou tels qu'il les a vus. (Il les a peut-être un peu idéalisés avec le recul du temps…). La relation de ses trois séjours au Mont Athos est donnée aux pages 536-604. Bien qu'agnostique, Lacarrière se plaisait à la compagnie des mystiques, des cénobites, des gyrovagues et des ermites, et il a consacré de très bonnes pages à ce qu'il appelle poétiquement « une saison au pays des vieillards » (mais retirerait-il aujourd'hui une autre impression de bien des monastères plus proches ?) Il donne des richesses des bibliothèques et de la vie spirituelle des caloyers athonites une description très intéressante, sans taire les penchants de certains à l'éthylisme et à l'homosexualité (dont il eut à se défendre). Il n'en fut pas moins émerveillé par sa visite aux ermites établis dans des grottes à flanc de falaise et par le récit de la vie du starets Nikône, anachorète russe de grande culture, issu de la haute société de Saint Petersbourg. Ce dernier avait entrepris de faire le tour du monde, avait vécu en Inde, rencontré Krishnamurti, avant de se fixer à l'Athos où la révolution de 1917 le surprit. Quand Jacques Lacarrière rendit visite à ce merveilleux vieillard, il était âgé de 82 ans. L'auteur n'en a pas moins gardé une vision pessimiste de l'avenir de cette république monastique, pensant que, du fait de sa dépopulation, elle dérive lentement vers la solitude et l'abandon. (p. 585). La chute des régimes communistes pourrait tempérer ce jugement si quelques moines viennent d'Europe orientale.
On lira avec ravissement (pp. 742-809) le chapitre intitulé: Les îles nues et consacré à ses navigations dans les archipels Il y a 1360 îles en Grèce dit-il p. 960. Dans La Jeune Parque, Valéry les invoquait ainsi : « Salut, divinités par la rose et le sel et les premiers jouets de la jeune lumière, Iles ». Lacarrière était atteint de nésophilie (ou tropisme insulaire) et nous ne saurions l'en blâmer. Il énumère les "bateaux des îles", ces rafiots en état de délabrement avancé dont on pouvait redouter que la machine ne passât au travers de la coque, qui cabotaient d'île en île dans les Cyclades, les Sporades ou le Dodécanèse, avec leur ineffable cargaison et leur odeur de mazout, de vomissures et d'huile chaude. Lacarrière prévoyait leur fin prochaine, mais nous pouvons dire, pour les avoir empruntés, que quelques uns d'entre eux étaient encore à flot dix ans plus tard et qu'ils affrontaient encore les coups de vent de la Mer Egée : M.S. Despoina, M.S.. Pandelis, M.S. Angelika. Enchantement de ces îles, toutes semblables vues du large et dont chacune a pourtant son charme propre avec le dédale de ses venelles et ses moulins à vent aux allures de fille mal coiffée : Paros, Naxos, Amorgos, Ios, Cos, Astipalea et tant d'autres…Le tout est de savoir trouver celles, de plus en plus rares, qui ne sont point encore envahies par les touristes et les complexes hôteliers. Une plaisante anecdote nous est contée p. 769: L'île de Sérifos avait été occupée par les Russes en 1770, à la suite d'une victoire de la marine russe sur les Turcs. Les Sérifiotes n'eurent pas à se réjouir de ce changement de maîtres et les nouveaux se révélèrent pires que les anciens. Les insulaires envoyèrent vers le pacha de Chio, et à la suite d'un nouvel accord en 1774, l'île put être rétrocédée à l'Empire Ottoman, à leur grande satisfaction.
Lacarrière se tint huit ans éloigné de la Grèce, huit années qui correspondent à la dictature militaire que connut le pays de 1967 à 1974. Il les mit à profit pour publier L’été grec dans la belle collection Terre Humaine de Jean Malaurie et pour redécouvrir la France. Puis ce furent en 1976 les retrouvailles avec la Grèce qu'il nous décrit au chapitre Retours en Grèce 1976-1982. Mais le pays modernisé qu'il découvrit alors n'était plus celui qu'il avait quitté en 1966. Car les pouvoirs politiques, même despotiques, ne peuvent entraver les évolutions des mentalités, des mœurs et de la société. Il fit un séjour à Chypre (p. 876) mais, emporté par ses sentiments philhellènes, il nous donne une analyse biaisée de la question chypriote, ne voulant pas voir que les agressions sont dans la logique des dictatures (Hitler et le couloir de Dantzig, les généraux argentins et les Malouines) et que ce sont les colonels grecs qui ont cherché à renverser le régime de l'archevêque Makarios pour réaliser l' Enosis en violation du pacte de garantie. C'est à l'intervention turque que la Grèce doit la chute de ces colonels.
Le dernier chapitre intitulé Le buveur d'horizon est un recueil de pages inédites laissées par Lacarrière. On lira de beaux textes sur la Cappadoce (p. 931) et on appréciera plus encore cette réflexion en guise de conclusion « Heureux qui comme Ulysse » (p. 902). Mais le voyage du sage héros de l'Odyssée fut-il vraiment idyllique ? Il connut maintes avanies (qui sont évoquées pp. 914-920) avant de retrouver sa fidèle épouse qui, près d'un métier de haute lisse, attendait qu'il revint….
Thierry Maulnier intitula jadis une de ses œuvres : Cette Grèce où nous sommes nés. Jacqueline de Romilly lui a fait écho. Ne sommes nous pas tous enfants de Platon Ouled Aflatoun comme disent les Arabes ? Et que serions-nous sans Aristote ? Sans ces grands penseurs de race homérique qui ont fait la gloire de la Hellas ?
Il existe à Sacy ou à Vermenton, villages morvandiaux où vécurent ses ancêtres, et où il passa lui-même une grande partie de sa vie, une association « Chemins Faisant » qui rassemble les amis de Jacques Lacarrière. Nous ne saurions mieux conclure qu'en émettant le vœu de la voir obtenir de cet éditeur la publication d'un prochain volume qui regroupera ses autres œuvres, celles qui n'ont pu trouver place dans celui-ci.
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