Un intermède centrafricain. La France en Centrafrique, 2013-2016

Recension rédigée par Yves Boulvert


Le Centrafrique continue de s’enfoncer dans la crise et se laisse ainsi oublier. C’est pourquoi, les témoignages vécus sur place sont les bienvenus, particulièrement celui que lui a consacré Charles Malinas, ambassadeur de France à Bangui de 2013 à 2016, que son ancien ministre Hubert Védrine assure de sa confiance.

 On est surpris d’apprendre que l’auteur, spécialiste de l’Allemagne, a été affecté en quelques jours dans ce pays, n’ayant que le temps de lire quelques fiches Wikipédia à propos de son premier poste de chef de mission diplomatique !

 Les deux croquis de situation de la RCA sont éclairants par leurs manques. Ainsi (p. 12), à l’intérieur du Soudan, indépendant depuis 1956, le Soudan du Sud, christianisé et entré en rébellion dès 1963 contre le Nord islamique, avant d’acquérir son indépendance en 2011, ne figure pas. De même (p.13), la ligne de partage des eaux entre les bassins du fleuve Congo et du lac Tchad ne coupe pas tout le continent d’Ouest en Est. Après l’affaire de Fachoda en 1899, les Anglais obtinrent que l’expansion française n’atteigne pas le bassin du Nil etle Soudan tandis que l’extrémité occidentale du Centrafrique s’arrête aux rivières camerounaises orientées vers l’Atlantique (cf. le Lom). Pour le bassin du Congo, l’Uele etle Mbomou constituent l’Oubangui, tout comme au Sud-Ouest, au Sud de Nola, la Kadei et la Mambéré forment la Sangha. Enfin, au Nord, le Chari (oriental) est constitué du Bamingui, du Gribingui et du somnolent Aouk, frontalier avec le Tchad. J’ai pu montrer[1] que le tributaire le plus important du lac Tchad est le Chari occidental soit l’Ouham-Bahr Sara qui prend sa source près de la frontière camerounaise (tandis que l’Aouk la prend au Soudan !).

Ma vocation est celle d’un Naturaliste en Sciences de la Terre et non d’un politique. Je dois donc préciser qu’en 1927, A. Gide n’a pu voir que la difficile cueillette de lianes à caoutchouc (Funtumia elastica) ou de Landolphia owariensis. L’hévéa, arbre à caoutchouc, provenant d’Amérique, n’a pratiquement pas été planté ici. De même, évoquant plus loin (page 71) le trafic des diamants en Centrafrique dont moins de la moitié est déclarée et donc taxée, l’auteur se laisse aller à écrire : « Une grande partie du sol du pays est diamantifère. Sur le dessus du panier, les commerçants diamantaires musulmans, et, en dessous, les creuseurs et mineurs (dits diamineurs) chrétiens ou animistes ». En réalité, le « pipe » (filon originel) de Kimberlite demeure inconnu dans la cuvette congolaise, mais des sables fluviatiles aujourd’hui indurés en grès se sont répandus vers le Nord, en RCA, constituant les plateaux gréseux de Carnot à l’Ouest et d’Ouadda au Centre-Est. Depuis, ils ont basculé vers le Sud et il faut rechercher l’ancien réseau hydrographique pour en fouiller les terrasses à galets et les « marmites de géant » dans lesquelles les diamants se sont déposés par densité. Cela demeure un rude travail.

Au XIXe siècle, la traite esclavagiste s’opérait à cheval et durant la saison sèche, depuis le Nord-Ouest et les sultanats foulbés du Centre Cameroun jusqu’aux sultanats soudanais du Nord-Est ; le Sud du bassin tchadien fut sous la coupe de Rabah et de son séide Senoussi qui ravagèrent le Centre-Nord autour de Ndélé.

En 1920, les musulmans étaient devenus très minoritaires en Centrafrique, mais dans l’A.E.F. unifiée, ils purent reprendre leur descente vers le Sud en tant que collecteurs miniers ou commerçants dits « Haoussa », à côté d’éleveurs Peul (Mbororos) installés sur les plateaux de Bouar, puis de Bambari, tandis que la majeure partie du pays était christianisée, tout en gardant de profondes traditions animistes.

Le Centrafrique eut le malheur de perdre dans un accident d’avion, le 29 mars 1959, son Président-fondateur Barthélémy Boganda. Cet « accident mystérieux » fut explicité par Jacques Serre dans la Notice qu’il lui a consacrée[2]. Après l’Indépendance en 1960, le pays ne connut pas une vie tranquille mais une succession trop souvent de jeunes gradés incompétents en gestion politique et économique

L’Ambassadeur Charles Malinas arriva à Bangui le 3 décembre 2013 dans le chaos de la première transition, suivi d’une force armée baptisée Sangaris[3] qui réoccupa les principaux postes dont le camp militaire de Bouar évacué en 1998 (Il l’avait déjà été sous Bokassa de 1972 à 1979 !)

Sa première visite fut pour le Président de transition, Michel Djotodia, dans la citadelle fortifiée du camp de Roux qui surplombe l’Ambassade de France. Il note « Les yeux des sentinelles Séléka sont injectés de Tramadol, la drogue des combattants ». Bria, ville de diamantaires, est le principal point d’appui des « rebelles de la Seleka ». Bambari est tenu par les Peuls. Quant à Obo, à l’extrême Est, les Ougandais de la LRA (« Lord’s Resistance Army ») s’y sont réfugiés, suivis par les Américains. Ndélé demeure le fief familial de l’esclavagiste Senoussi : après 40 ans de pouvoir, Ibrahim Senoussi vient de succéder à son père.

« L’économie est au point mort, les écoles sont fermées, la population vit terrée … les bandes de pillards vivent en maîtres … Seules les religions fonctionnent » avec l’archevêque Mgr Nzapalaïnga, l’Imam Kobiné (qu’il abrite) et le président du consistoire évangélique.

En janvier 2014, le Président tchadien Idriss Deby Itno fait démissionner M. Djotodia et son Premier ministre Nicolas Tiangaye ; à la Présidence de la transition, une femme le remplace : Catherine Samba-Panza, ce qui explique qu’une demi-douzaine de jeunes femmes deviennent ministres, à côté d’ex-rebelles qui occupent une « place non négligeable » dans ce gouvernement de remise en ordre. L’un préconise une partition du pays en deux États. Il est rappelé qu’en RCA, « dès que quelqu’un accède au pouvoir, il est réputé le faire pour aller à la mangeoire ».

L’Ambassadeur qui, écrit-il, « aime le verbe et connaît d’expérience son pouvoir constructeur », multiplie réunions et efforts « pour remettre sur pied des administrations désertées … rebâtir un système scolaire exsangue… ». Dans un premier temps, en 1972, il avait été prévu de répartir par domaine une faculté par État, mais chacun voulut sa propre université. Depuis un demi-siècle, combien cesjeunes universités ont-elles formé de diplômés et que sont-ils devenus ? L’Alliance Française de Bangui, fermée en 2013, fut rouverte en 2014 par un « Homme de théâtre ». En développant les cours de langue (français, sango …), n’aurait-il pas été souhaitable que les étudiants puissent avoir accès aux archives et travaux (rapports, études, cartes) effectués au XXe siècle par les instituts français avant d’être désertés, pillés, fermés, telles les stations agronomiques, l’IGN, l’ORSTOM-IRD, le CNRS et les Universités. Seul l’Institut Pasteur survit !

Il importait également de préparer les élections. Or le Centrafrique a conservé une structure clanique avec des chefs et des luttes d’influences entre les personnes et les groupes. Les élections se passèrent dans le calme, et, le 14 février 2016, le vainqueur en fut Faustin -Ange Touadera, précédemment recteur de l’Université de 2005 à 2008, puis dernier Premier ministre de François Bozizé. Son électorat était réparti sur tout le territoire ; cependant les principales ethnies (d’Ouest en Est : Gbaya, Manza, Banda, Nzakara et Zandé) ne sont pas nommées dans cet ouvrage. Précédemment, le pouvoir fut attribué aux secteurs périphériques :  Mbaka, Yakoma, ou Sara-Kaba, sinon reliques : Goula.

La paix semblait revenue mais la confiance avait disparu. Il y eut, semble-t-il, des divergences d’approche entre les ministères français concernés. La mission Sangaris fut brutalement retirée. Les Nations-Unies et la MINUSCA s’avérèrent incapables de maintenir le calme. Moscou proposa alors de nous remplacer en envoyant les mercenaires de la force Wagner qui « se paiera sur la bête » (diamants et or). Le pays a de nouveau sombré dans le chaos et « l’hostilité à l’égard de la France est à son comble ».

 

En poste à Prague, l’Ambassadeur Malinas fut suspecté d’avoir accordé trop de visas à des Centrafricains (dont 11 000, cadres pour la plupart, vivent en France). Mis à la retraite, il estime que 5 à 7 000 visas ont été accordés en 2015 mais ils sont à comparer à ceux accordés à d’autres pays africains : Algérie (422 684), Maroc (257 049) …


[1] Le Centre Afrique au seuil du troisième millénaire. Essai synthétique de géographie physique, économique et humaine. Bilan (avec bibliographie, p. 49 à 70) in « La Géographie » n°1506, septembre 2002. À compléter par : «  Retour à Bangui, 40 années après. Le Centrafrique après une décennie de crise ». Séance ASOM du 7 janvier 2005in « Mondes et Cultures ». Tome LXV, page 24-46.

[2] P. 89-91in « Hommes et Destins », tome XI, Afrique Noire. Coédition ASOM – L’Harmattan, 2011, 789 p.

[3] du nom d’un papillon centrafricain rouge :  Cymothoe sangaris.