Auteur | sous la direction de François Burgat et Matthieu Rey |
Editeur | CNRS |
Date | 2022 |
Pages | 442 |
Sujets | Aspect religieux Islam Histoire Islamisme Aspect social 1800-.... Islam et politique 1800-.... Religion et politique 1800-.... |
Cote | 66.696 |
Pour F. Burgat et M.Rey, le champ de l’islamisme d’État couvre en 2012 l’espace considérable qui sépare le Tunisien Ghannouchi de Daech. La poussée islamiste est plurielle (p.307). Pour comprendre l’islamisme, c’est vers le politique qu’il faut se tourner (p.399). Selon les situations locales et selon le comportement des interlocuteurs, les islamistes se sont révélés aussi légalistes que révolutionnaires, littéralistes que réformateurs, conservateurs que modernisateurs, démocrates qu’autoritaires. Leurs discours et les pratiques légitimées sont diversifiés, voire contradictoires, mais évolutifs (p.22). Les auteurs mettent en avant la plasticité extrême du lexique islamique et le comportement des interlocuteurs étatiques des islamistes dans chacun des contextes politiques locaux (Burgat 287). L’opposition islamiste se déploie dans un système associatif social, caritatif et autre (Burgat 301).
Au sujet desFrères Musulmans,B. Lia rappelle la fondation de la confrérie en 1928 par Hassan Al Banna (p.95), mouvement dénonçant la corruption des dirigeants et qui, en se diffusant hors d’Égypte va faire de l’islam le fondement de l’activisme politique moderne (p.105). M.Rey estime qu’en 1949, la Confrérie compte un million d’adhérents intégrés au jeu politique (p.153). La tentative d’assassinat de Nasser en 1954 (p.168) conduira les fréristes vers le caritatif, l’universitaire le culturel ou le socialisme de Mustafa Siba’i en Syrie (p.169). Pour B.Zollner, Al Gamaa Al Islamiyya recrutera les étudiants de Haute Égypte, témoins des écarts entre régions et qui contestent aux Frères l’usage de l’islam politique tandis que Tanzim Al Jihad avec Al Jawahiri cherche à pénétrer l’armée (p.234).
Pour T.Pierret, le salafisme désigne depuis les années 1920 l’appréhension littéraliste des attributs divins d’Ibn Hanbal et la supériorité du hadith sur l’imitation des 4 écoles (p.355). Le wahhabisme a adopté la méthodologie juridique du salafisme en mettant à son service la puissance financière saoudienne (p.356). La politisation des salafistes quiétistes répond à des considérations contextuelles et non au seul prisme des doctrines religieuses. Les Fréristes pour les salafistes sont un danger plus grand que des acteurs sans identité religieuse définie comme les militaires Sissi et Haftar (p.361).
M. Ould Mohamedou estime que jusqu’à Al Qaïda (1988) tout terrorisme était local (p.386) et que Daech représente la militarisation de l’islamisme, la transnationalisation du terrorisme et une violence politique postmoderne. C’est une organisation hybride qui tente une avancée mondiale en restant liée aux territoires syrien et irakien où elle opère (p.387). Aujourd’hui le terrorisme débouche sur la question migratoire, les inégalités sociales et politiques (p.390).
P.J.Luizard rappelle qu’en Iran, le clergé chiite légitime la dynastie safavide et l’imamat (p.52) ; il devient une force majeure des sociétés iranienne et irakienne. Au XVIIIe siècle, Behbahani, soutient que les mujtahid peuvent faire appliquer leurs propres jugements. Nouvelle institution la Marja’iyyah devient prépondérante par sa richesse (p.53). Le clergé en 1906 soutient la première révolution constitutionnelle. En 1909, les constitutionnalistes prennent Téhéran (p.58). La Première Guerre mondiale rapproche religieux chiites et Jeunes Turcs qui proclament le djihad ; les Britanniques débarqués à Fao en novembre 1914 n’atteignent Bagdad qu’en 1917, Mossoul en 1918 (p.62).
C. Hassabo, H Laurens, M. Roy évoquent le tournant de 1979 ; de 1970 à 1990, a lieu une rencontre inédite entre régimes militaires et forces islamistes montantes (p.206). Riyad se pose en dirigeant du camp musulman conservateur (p.210). Sadate inaugure l’infitah, privatisation partielle de la propriété d’État et libéralisation des échanges, enrichissant des segments de la société (p.213). Le Chah part en exil en 1979 remplacé par le Guide Suprême (p.215). Les Baath syrien militaire et irakien civil se battent pour imposer leur hégémonie régionale (p.216). Le 20 novembre 1979, des militants occupent la Grande Mosquée de La Mecque ; en décembre 1979, les Soviétiques entrent en Afghanistan (p.217). Gamaat al Islamiyya tue en octobre 1981 Anouar Al Sadate ; pour l’Occident, les fondamentalistes menacent la région que défendent les dictateurs (p.219).
Dans l’espace ottoman, explique H.Laurens, le clergé d’État est fonctionnarisé (p.30). Le régime ottoman envoie de jeunes boursiers en Europe et fonde des écoles pour les cadres de l’֤État (p.35). D’ailleurs l’émancipation des chrétiens, les ingérences étrangères et les réformes sont vues par la population comme une trahison de l’islam (p.36). La presse et l’édition permettent l’émergence d’une opinion publique et d’intellectuels liés à l’appareil d’État (p.36). Les Jeunes Ottomans veulent islamiser les réformes en conciliant le libéralisme européen avec les principes de la religion (p.38).
O. Saaidia évoque les débuts de la colonisation en Algérie, le démantèlement des habous (p.75), l’action des Bureaux arabes (p.68), les confréries foyers de la résistance (p.67), mais en 1914, les Tijaniyya, Qadiriyya, Mourides sont favorables au Pouvoir (p.79). C.Courreye estime que l’Association des Oulémas défend l’identité musulmane et arabe de l’Algérie par des journaux arabophones, 61 écoles et des mosquées libres (p.180). Mais le FLN s’arroge une légitimité révolutionnaire (p.192). Analysant les premières élections ouvertes remportées (54% des suffrages) par le FIS, F.Burgat constate le rejet du régime en 1992 (Pierret p.359). Les GIA radicaux opposés au FIS se lancent dans la guérilla, utilisés par le Pouvoir comme arme de terreur contre les populations civiles (p.292).
Pour A. Jomier, les Maghrébins mobilisés se familiarisent à la vie partisane et syndicale française et font l’expérience d’une égalité civique inconnue dans les colonies (p.111) de même qu’en contexte colonial, une société civile émerge, les associations, les cercles et la presse concurrençant les mosquées qui restent des lieux de socialisation majeurs et des espaces politisés (p.114). Ibn Badis, en 1937, distingue la nationalité politique de la nationalité identitaire (qawmiyya) définie par la langue arabe, l’islam et le partage d’une histoire et de valeurs (p.115).
W. Liman présente la biographie du Libyen Abdelhakim Belhaj qui combat en Afghanistan et en Libye, puis gagne le Soudan, l’Irak, l’Iran, la Chine, est arrêté par la CIA en 2004 et remis à Kaddhafi ; il négocie avec Saif al islam et est libéré. Pour lui, « dans un État islamique, les gens choisissent leurs dirigeants, leurs libertés sont respectées dans la non-violence ». Il devient gouverneur militaire de Tripoli. Depuis 2014, les salafistes quiétistes soutenus par Emiriens et Saoudiens soutiennent le Maréchal Haftar contre les factions islamistes de Cyrénaïque et de Tripoli (Pierret p.359).
Dans la péninsule arabique, le wahhabisme surgit au XVIIIe siècle alors que le soufisme prolifère (Burgat p.31). Pour S.Lacroix, l’enjeu pétrolier et l’économie mondiale amènent les princes à soustraire des pans entiers du droit commercial à l’emprise des Oulémas. De plus, les normes de la vie sociale et la politique étrangère appartiennent à deux sphères distinctes qui ne relèvent pas des mêmes élites. L’Arabie devient le centre de la plupart des mouvements se réclamant de l’islam politique (p.311). Les universités enseignent la doctrine religieuse d’Abdelwahhab et les théories de Sayyid Qutb. (p.312) ; la présence militaire américaine est cautionnée par les oulémas. (p.313).
Pour N. Dot-Pouillard, au Liban, l’occupation de la Palestine depuis 1967, les invasions israéliennes depuis 1970 du Sud Liban, la révolution iranienne de 1979 ont soudé les islamistes libanais et palestiniens (p.257). En avril 1975, une coalition Jama’a Islamiyya, Mouvement National libanais, Fatah, se dresse contre Phalanges et PNL (p.259). Hussein Fadlallah, Libano-iranien, en 1966, prêche l’islam, le nationalisme, l’anti-impérialisme » (p.261). En 1969, Moussa Sadr, Libano-iranien, président du Conseil Supérieur Chiite, fonde le Mouvement des Déshérités dont la branche armée « Amal » est entraînée par le Fatah ; le Hezbollah apparu en1984, héritier de la révolution iranienne, (p.267) soutient les Palestiniens attaqués par Amal pour le compte des Syriens ; Hassan Nasrallah (32 ans) en 1992 remplace Abbas Al Mousawi assassiné par Israël ; en 1989, aux Accords de Taëf, Hezbollah s’inscrit dans la légalité libanaise (p.269).
En Palestine, Cheikh Ahmed Yassine (1937) fonde Al Mujamaa (Complexe) Al Islami. Les Fréristes palestiniens exigent l’islamisation avant la palestinisation. (p.263) ; les maos du Fatah se convertissent à l’islamisme après 1979 ; Arafat se rend à Téhéran (p.264). En décembre 1987 le Hamas refuse la sortie de l’Intifada de l’OLP et la conférence de Madrid de 1991 (p.269). Les islamo-nationalismes libanais et palestinien, reliés avec Damas et Téhéran, sont solidaires (p.271).
En Inde, les Britanniques imposent à l’Inde un vice-roi de 1858 à 1947 et l’Anglo Mohammedan Law à base de Common Law (Laurens p. 43). Sayyid Ahmed Khan impressionné par Oxford et Cambridge crée en 1875 à Aligarh, à 80 km de Delhi le Muhammedan Anglo-Oriental College avec des enseignants britanniques dans ce « Cambridge indien » (Laurens p.47).
Au Pakistan,A. Philippon se penche sur la crise identitaire entre les dirigeants séculiers et les islamistes, chefs soufis, oulémas (p.175), qui appartiennent aux partis islamistes, Jamaat-e-islami, (1941), Jamiyat Ulema-e-islam (1945), Jamiyat Ulema-e-Pakistan (1948) ; ils veulent islamiser l’État par des moyens constitutionnels (178). Le Pakistan est une République islamique dont aucune loi ne peut entrer en conflit avec la charia et dont le Président est musulman.
De 1945 à 1960, l’Indonésie a vécu, selon H Madinier l’expérience islamiste du Parti Masyumi fondée sur l’adhésion à une démocratie parlementaire (p.138) et à une quasi-sécularisation (p.139) ; le Parti accepte le Pancasila de 1945 (p.143), inspiré de la plasticité spirituelle javanaise et de l’indo-bouddhisme (p.353), nationalisme, sens de l’humanité, démocratie dans le consensus, prospérité sociale, foi en un Dieu unique. 88% des 230 millions d’Indonésiens sont musulmans ; 6% protestants, 3% catholiques, 1,5% Hindous, 0,5% Bouddhistes (p.137). Après l’éviction des communistes (p.145), Dar Ul Islam, entre 1949 et 1963, tente d’imposer l’État islamique (p. 150) puis Nahdatul Ulema devient la caution religieuse du régime Soekarno (p.151). En mai 1998, des milices radicales suivent 300 Indonésiens de retour d’Afghanistan et commettent l’attentat de Bali du 12 octobre 2002 (p.349). Des municipalités adoptent la charia (p.353). Le président Jokowi, en 2019, multiplie les démonstrations de piété et choisit comme vice-président un religieux du Nadhatul Ulema (p.352).
El.Apard traite du Nord Cameroun, héritier du théocratique Califat du Borno (p. 317), de la méfiance pour le modèle culturel éducatif (« boko ») étranger, accusé, « haram » (p.319). Mohamed Yusuf, jeune imam prêcheur salafi sera tué par la police quelques jours après avoir prononcé le prêche résumé sur « L’objectif des mécréants de détruire l’islam dans le monde » (p.325).
On appréciera la copieuse bibliographie (p.403 à 431), l’index des noms cités (p.433 à 438) mais on regrettera l’absence de notices biographiques des auteurs et de cartes régionales.