L'écologie des autres : l'anthropologie et la question de la nature : conférences-débats

Recension rédigée par Bernard Dupaigne


 Philippe Descola a dirigé le laboratoire d’anthropologie sociale, fondé par Claude Lévi-Stauss au Collège de France, mais l’intitulé de la chaire à laquelle il a été élu avait été changé en sa faveur en « chaire d’anthropologie de la nature ». Descola est un philosophe tourné anthropologue qui s’est fait connaître après avoir étudié les Achar d’Amazonie en Équateur. Cet opuscule se présente comme le texte, amélioré vu sa longueur, de deux conférences prononcées en 2007 et 2008 à l’INRA.

Descola pose en hypothèse « que la question du rapport des humains à la nature sera très probablement la plus cruciale du présent siècle » : il cite « les bouleversements climatiques, l’érosion de la biodiversité, la multiplication des organismes transgéniques, l’épuisement des énergies fossiles, la pollution des milieux fragiles et des mégapoles, la disparition des forêts de la zone intertropicale ».

La première partie du texte analyse les conceptions de ses prédécesseurs, britanniques et américains du Nord en anthropologie, sur les différences entre Nature et Culture : se spécialisant, ils n’auraient pas su percevoir les relations indissolubles entre les deux données. « L’ambition initiale d’appréhender l’unité de l’homme dans la diversité de ses expressions a fini par disparaître ». Les contraintes exercées sur une société par son environnement physique entrainent-elles ses spécificités culturelles ? Or, la fonction symbolique donnée aux mêmes animaux et plantes peut se révéler largement différente dans des cultures qui semblent voisines.

La démonstration se trouve détaillée mais également un peu aride. Descola oppose les tenants du marxisme ou du « matérialisme culturel » aux penseurs moins systématiques, moins persuadés de la supériorité du genre humain et de la volonté de celui-ci de s’opposer à la Nature, à la soumettre à son profit. « Si l’anthropologie a pu conquérir son autonomie, c’est qu’elle a su défendre l’idée que toutes les sociétés constituent des compromis entre la nature et la culture, et qu’il était donc impératif qu’une discipline spécialisée puisse examiner les variétés d’expression de ce compromis afin d’en proposer les lois d’engendrement et la grammaire des combinaisons ». La distinction entre Nature et Culture que gardent les Occidentaux ne serait pas partagée ailleurs, chez d’autres peuples.

Chez les Achuar, pas de distinction de cette sorte : les hommes ne sont qu’une part de la nature, et la séparation entre les espèces humaines, animales et végétales n’est pas de mise. Chacun, chaque être, peut changer de nature et se retrouver sous d’autres formes : une plante est vivante et peut devenir autre.

Le texte étudie les diverses réactions des intellectuels à cette volonté de considérer le Monde comme un tout, sans distinction entre les Humains et les Non-Humains. La démonstration est un peu compliquée et les longues phrases réclament, pour être vraiment comprises, une solide formation philosophique.

Mais surtout, l’idée que la non-distinction entre les Humains et les éléments de la Nature est largement partagée dans le monde et n’est pas démontrée de façon suffisamment convaincante. Dans nos sociétés industrialisées, chaque élément est à sa place, et doit le rester. La grande symbiose entre les choses et les êtres dépasse-t-elle les forêts tropicales ?

Descola précise qu’il s’est détourné des études sur la philosophie, parce que, selon lui, elles se suffisaient des commentaires sur les grands noms du passé. Mais, ici, il fait de même, consacrant l’essentiel de sa conférence à l’analyse des positions des uns et des autres.

 J’aurais souhaité lire plus d’exemples concrets de peuples considérant que Nature et Organisations et Croyances sociales n’étaient pas dissociés.