Auteur | Jean-Marc Bonnet-Bidaud |
Editeur | Belin |
Date | 2017 |
Pages | 191 |
Sujets | Astronomie chinoise Histoire Astronomie antique Chine |
Cote | 62.113 |
L'auteur, astrophysicien au Commissariat à l'Energie Atomique, nous dévoile dans son Avant-propos, l'origine de sa passion pour l'astronomie chinoise. C'est « la mort des étoiles », objet de ses recherches sur le cosmos qui lui a fait prendre conscience de l'immense capital de connaissances accumulées dans ce domaine par l'Empire du Milieu au cours de son histoire plurimillénaire. L'intérêt pour la Science ? Qu'on lise plutôt… au chapitre 8 « Dynastie des Song ! »
L'ouvrage, organisé dans une perspective diachronique, compte 10 chapitres répartis entre les dynasties de la Chine impériale (présentation simplifiée), le 11e et ultime allant de 1949 à nos jours.
1. « Le royaume des Xià夏»du XXIe au XVIe s. av. J.C. inaugure cette étude en présentant des vestiges d'observatoires, de palais qui par leur orientation, leur géométrie, leur cosmologie témoignent de préoccupations astronomiques dont la Chine ne se départira jamais. Remarquable à ce titre, le site de Taosi au Shanxi, le « Stonehenge chinois », habité vers -2300 à -2000 ; dans sa partie sud, le plus ancien observatoire astronomique chinois. À Xishuipo (Henan) une tombe datée de vers 3000 av. J.C., la plus antique représentation du ciel. Une légende explique l'inclination de l'axe de la terre par la vengeance du monstre Gonggong qui abattit le pilier Nord-Ouest du Ciel. Cette tragédie mythologique, nous signale à sa manière l'importance de l'écliptique qui permettra de déterminer la date des solstices, des équinoxes, etc. Comme toute civilisation agraire, la Chine était attentive aux rythmes de la nature, cette nécessité l'avait conduite à imaginer un mandat céleste rendant son souverain garant de relations harmonieuses avec le Ciel et attestant que l'astronomie était déjà au cœur du pouvoir.
2. Dynastie Shāng商 1600 à 1045 av. J.C. est consacrée aux « os de dragons » dont l'importance est capitale puisqu'ils représentent les formes ancestrales des sinogrammes.[2] Gravés sur des fragments osseux de carapace de tortue, d'omoplate de ruminant, leur nombre dépasse les 160.000 ! Leur motivation oraculaire, n'est pas exclusive, contenant pour certains des informations astronomiques (éclipses, équinoxes, solstices, etc.). Un hommage est rendu à l'invention de l'écriture et de l'imprimerie sans lesquelles l'héritage culturel de la Chine eût été à jamais perdu.
3. Dynastie Zhōu周 1045-220 av. J.C.) « Le livre de soie des comètes » découvert dans la tombe de Măwángduī 馬王堆 (Hunan,1972). Rapportés à la période de 184 à 167 av. J.C., parmi de nombreux traités (Yí Jīng, Dào de Jīng, etc.,) figure l'Astrologie des 5 planètes 五星占wŭ xīng zhān, premier atlas de comètes au monde ! Elles sont 29, toutes différentes, dessinées méticuleusement, nommées selon selon leur morphologie : "étoile-balai", "étoile-longue", etc., les Annales des Printemps et des Automnes en fourniront « la plus ancienne observation chinoise » datée de l'an 612 av. J.C., 7e mois lunaire », les sources babyloniennes ne les ont mentionnées qu'au IIIe s. av. J.C. L'histoire de la comète de Halley a été reconstituée pour une période allant de 239 av. J.C. à 1910 ap. J.C. (Tao Kian, Dansik, 1972, 1982). Dans les mêmes Annales, figure une recension détaillée de 37 éclipses solaires pour la pèriode de -721 à 480, en en précisant la date, l'heure et la magnitude.
4. Dynastie Qin: 220-205 av. J.C.[3] «Les officiers célestes » 天官书Tiān guān shū et « Le livre du calendrier » 曆书Lì Shū, deux chapitres majeurs d'astronomie sont tirés des Mémoires historiques 史记Shĭ Jì de Sīmă Qiān司馬遷, « l'Hipparque chinois » (135?-93? av. J.C.) auquel l'auteur rend un hommage mérité. Le Lì Shū pose un problème de taille : l'harmonisation de deux cycles incommensurables : lunaire - les 12 Rameaux terrestres fixant le mois, solaire - les 10 troncs célestes fixant l'année! Problème résolu : il sera luni-solaire en utilisant un cycle sexagésimal résultant du produit des 12 Rameaux par les 10 Troncs (combinés deux à deux), chaque année est représentée par l'un des 12 animaux de ce qu'on appelle communément le " zodiaque chinois." Les officiers ou gouverneurs célestes (Tiān guān) n'ont rien de militaires, représentant l'ensemble des corps célestes : soleil, lune, grandes constellations et les 5 planètes visibles à l'œil nu (Jupiter, Mars, Vénus, Mercure, Saturne). Elles participent du cycle des "Cinq éléments"[4] (wŭ xíng 五行),régi par l'harmonie universelle. La théorie planétaire chinoise est fondée sur une « observation détaillée, précise de leur mouvement complexe. »
5. Dynasties Han Antérieurs - 206 av. J.C. - 8 ap. j.c., - Xin 9-25 - Han Postérieurs 25 - 220 « Les maîtres du temps. » Période charnière de l'histoire de la Chine. Deux principales théories cosmologiques s'opposent: - l'ancienne gài tiān盖天du " ciel couvrant " mentionnée dans le 淮南子Huái nán zĭ parle d'une terre carrée, plate, immobile, surmontée d'un dôme céleste circulaire, mobile en rotation; - la nouvelle, celle de l'astronome et mathématicien Zhāng Héng 張衡(78-139) est appelée hún tiān 浑天du " ciel enveloppant ", la terre est sphérique et « entourée par le ciel comme le jaune de l'œuf l'est par l'albumen. » Inventeur extraordinaire auquel on doit l'idée du sismographe, des clepsydres complexes, d'une horloge astronomique comportant une sphère armillaire qui permet de situer la position d'un astre dans le ciel en fonction d'un plan de référence : l'écliptique, l'horizon ou l'équateur, à titre d'emple : - la tradition grecque s'intéressant surtout aux planètes prit l'écliptique ; - les musulmans recherchant l'orientation vers La Mecque ont préféré les coordonnées horizontales; - la Chine privilégiant le Pôle, l'équateur céleste, les étoiles choisirent l'équateur.
La mesure du temps par des clepsydres plus précises permit de calculer exactement les éclipses. Une théorie intéressante, celle du " vide infini " xuān yè宣夜 (Litt.: "nuit totale"), attribuée à l'astronome Chī Méng 郗萌, des notions propres au taoïsme, s'avèrant proches mutatis mutandis de théories de la physique moderne. Enfin les taches solaires, elles sont signalées en Chine déjà plusieurs siècle avant l'ère chrétienne.
6. Dynastie Tang 618-907) « Les étoiles de Gobi. » en rapport avec le désert où l'ermite Wang Yuanlu vers 1890 remarqua, sur la Route de la soie, à une vingtaine de kilomètres de Dunhuang, une falaise creusée de centaines de cavités, autant de grottes abritant un fabuleux trésor de sculptures, de fresques bouddhiques[5]. C'est là, dans le monastère des Mille Bouddhas qu'on découvrit une carte du Ciel n'ayant retenu l'attention de personne hormis celle du grand spécialiste de l'histoire des sciences en Chine, Joseph Needham, encore fallait-il un astronome pour l'analyser. Jean-Marc Bonnet-Bidaud, fut le premier à avoir la compétence pour nous en révéler les arcanes : « L'atlas céleste de Dunhuang est une carte complète de la partie visible de l'hémisphère nord. Elle compte 1.339 étoiles réparties en 257 astérismes représentés par 12 panneaux centrés sur l'équateur céleste. Elle est complétée par une carte circulaire de la région du pôle Nord. Datée du début de la dynastie Tang (649-684), plusieurs reproductions figurent dans le livre assorties de commentaires passionnants tels que : "l'enquête sur la datation", "l'énigme du zodiaque chinois", "les coordonnées astronomiques chinoises"[6].
7 Dynastie Tang «La méridienne des Tang.» Période de la Chine propice aux contacts avec l'Asie centrale, l'Inde, religieux pour le bouddhisme, mais aussi scientifiques, avec les travaux du célèbre mathématicien et astronome indien Aryabatha (v. 470-510), inventeur de la notion de "0" et de la trigonométrie. Dans le passage « Maîtriser l'ombre du gnomon », apparaît Yí Xìng 一行(683-727) astronome calendériste et bonze, il organisa une expédition (721-725) du centre du Vietnam aux confins mongols, afin de mesurer l'ombre du gnomon aux solstices d'été et d'hiver. Il conclut que la longueur de l'ombre portée (L) d'un gnomon de hauteur H variait en fonction de la hauteur du soleil au-dessus de l'horizon, des saisons (plus longue l'hiver que l'été) et de la latitude.
8. Dynastie Song 960-1279. « L'étoile invitée des Song. kèxīng客星» Agée de plusieurs milliards d'années, à bout de combustible, l'étoile meurt en une fraction de seconde. Il s'ensuit une explosion brillante dont la clarté restera visible pendant près d'un mois : « la supernova. » Un astre minuscule lui succède « toupie frénétique entourée de gaz », appelée pulsar, intéressant par les atomes qu'il libère dans l'espace et les renseignements qu'il recèle sur l'étoile défunte. Pour en arriver là, il a fallu remonter à Charles Messier qui découvrit une « nébuleuse » dans la constellation du Taureau (1758), sa forme modifiée l'a fait nommer « nébuleuse du Crabe » (Lord Rosse, 1844) plusieurs astronomes se succèderont. En 1968 David Staelin et Edward Reifenstein publient leur découverte d'un signal radio émis périodiquement en provenance du centre de la nébuleuse du crabe qu'ils appelèrent pulsar (pulsating star).On put établir la date exacte de l'explosion ayant précédé son apparition grâce une observation chinoise,[7] celle que fit l'astronome Yang Weide le 4 juillet 1054, soit 914 ans plus tôt ![8] En effet, selon la Chronique des Zhou (IIIe s. av. J. C.), depuis des temps immémoriaux, des astronomes étaient chargés par le Ministère des rites d'observer quotidiennement le ciel, d'en noter avec précision les moindres changements. L'admiration croît encore lorsqu'on apprend dans le passage « Les registres du Ciel », le travail effectué en 1966 par deux astronomes chinois Xi Zezong et Bo Shuren, qui consultèrent quatre-vingt-dix textes relatant l'apparition d'étoiles nouvelles de 1400 av. J.C. à 1700 ap. J.C. Autre fait remarquable, l'horloge astronomique de Sū sòng 苏颂(1020-1101», fruit du perfectionnement des clepsydres et des sphères armillaires, elle reproduisait à merveille les mouvements du ciel. Démontée par les envahisseurs Jin du nord (1115-1234) qui furent incapables de la remonter, depuis, nul ne parvint à la remettre en marche !
9. Dynastie Yuan 1271-1368. «Observatoires à la cour des Mongols.» Alors qu'on redoutait la dévastation de la Chine, la transition se fit sans trop de heurts. Le centre de gravité du pays change, la capitale va se déplacer vers le Nord d'où le nom Bĕi jīng北京mongolisé en Khanbaliq qui devient ville des Khans. L'astronomie chinoise va s'en trouver renforcée par les échanges et les compétitions avec la Perse islamisée et toute l'Asie centrale. « La tour de l'ombre. » illustre un double phénomène, la nécessité de revoir les mesures plus fiables du calendrier en les reprenant avec un gnomon beaucoup plus grand (une erreur d'une heure par an aboutissait à un jour en vingt-quatre ans), de plus la durée de l'année diminuait en raison de la variation de l'obliquité de l'écliptique et de l'excentricité de l'orbe terrestre, Guō Shŏujìng 郭守敬 (1231-1316), surnommé le «Tycho Brahé chinois » put ainsi établir un nouveau calendrier le Shòu shí lì 授時曆 promulgué en 1281 (Calendrier de l'allocation de saisons) pour l'empereur Kubilaï Khan.
10. Dynasties Ming et Qing 1368-1644-1912. « La providence de l'éclipse. » Deux dynasties, la première Han, la seconde Mandchoue vont voir leur culture chinoise commune ancienne ou d'adoption, possédant une tradition astronomique riche, confrontée à une élite de missionnaires européens férus de mathématique et d'astronomie. L'Occident bénéficiant des avancées de la science grâce à Képler et à Neper, possède une arme redoutable : les Tables rudolphines de Képler (1627) faisant l'usage des logarithmes inconnus des Chinois qui facilitent considérablement les calculs portant sur les grands nombres. Il ne faut pas oublier que les jésuites sont venus en Chine à la suite Matteo Ricci pour convertir les âmes, qu'ils sont animés d'une foi sans partage (perinde ac cadaver), la Compagnie de Jésus ayant de surcroit une tradition pédagogique bien ancrée.
Le choc qui n'est pas des cultures, mais des personnes avec leur vérité, leur sensibilité finit par tout compromettre. Impossible d'exposer ici l'argumentaire de chaque camp, plus sage est de les ranger dans Les malentendus « Chine-Europe » qui concluront la partie 1 à 10 dont chacun des 5 intitulés pourrait donner matière à un colloque : «Quatre occasions ratées», «La Chine précurseur de la science moderne», «Une autre histoire de l'astronomie», « Le paradoxe de Needham », «Deux visions complémentaires du monde.»
11. République populaire de Chine 1949-aujourd'hui) «Un téléscope au pays de Mao.» Ce sous-titre pourrait surprendre, mais c'est en 1957 sous sa présidence que le gouvernement chinois a décidé d'acquérir un grand téléscope astronomique. Il ne verra le jour qu'en 1989, les aléas de la politique expliquant cela. L'élan est donné, en 1997 le projet d'un téléscope Lamost (Large Sky Area Muti-Object Spectroscopic Telescope " le plus grand du monde " est accepté, réalisé en 2008, mis en service en 2009. En juin 2016, "Fast" ou Tiān yăn 天眼 "l'œil du Ciel" le plus grand radiotélescope du monde (Æ: 500m.) détecte des signaux de galaxies distantes de 8 milliards d'années-lumière ! Et les missions futures s'enchaînent 2018, 2020, 2030…
L'auteur conclut sur une note d'espoir : «Après plus de deux mille ans d'échanges avortés, la rencontre entre l'Orient et l'Occident pourrait enfin avoir lieu.»
Dans tous les cas le livre de Jean-Marc Bonnet-Bidaud par sa richesse, sa clarté et sa superbe présentation, en faisant mieux connaître la Chine et son immense culture ne peut que servir la cause d'une Science désormais sans frontière œuvrant pour la Terre et pour l'Humanité.
Christian Malet
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Basé(e) sur une œuvre à www.academieoutremer.fr.
[2]Il est désormais convenu de remplacer les termes "idéogramme" et "caractère chinois" par "sinogramme".
[3]Petite entorse à la diachronie, en fait, bref rappel du Ier empereur et de ses autodafés de documents qui seront encore pratiqués au tout début de la dynastie des Han antérieurs, puis abolis.
[4]"Élément" étant trop imprécis pour représenter des phénomène dynamiques, est souvent remplacé selon les auteurs par agents, fonctions, forces. Il n'a, de toutes façons, aucun rapport avec 4 qualités élémentaires d'Empédocle.
[5]Aurel Stein en fera les premières études en 1907
[6]Le travail de J.-M. Bonnet-Bidaud a déjà fait l'objet de deux publications en 2004 et 2009 précisées dans l'ouvrage.
[7]En fait cinq sources chinoises et deux sources japonaises noteront l'apparition de cette "supernova", en chinois « étoile invitée », kèxīng.
[8] Nous avons donné, faute de place, un rapide survol de cette épopée cosmique, il faut lire le passionnant cheminement décrit par l'auteur pour en apprécier la valeur scientifique. " La supernova du Crabe " est une véritable pierre de Rosette pour la compréhension des supernovae. » p. 124.