À l'épreuve de la possession : chronique d'une innovation rituelle dans le Vietnam contemporain

Recension rédigée par Jean Nemo


« Avant d’être un livre, cet ouvrage a eu une première vie, celle d’une thèse… ». Telle est l’annonce de l’auteur dans ses « remerciements ». Lequel, auteur, dont la bibliographie est encore courte, anime à l’EHESS des séminaires à propos des questions religieuses au Vietnam, moderne et de nos jours. On précisera pour le lecteur, « généraliste » mais intéressé, que cet ouvrage ne se trouve évidemment pas dans les kiosques de gare ni dans les librairies de quartier. Il lui faudra consulter des librairies plus universitaires et spécialisées. En outre, il lui faudra se familiariser avec un certain nombre de vocables vietnamiens car la riche bibliographie qui accompagne l’ouvrage en cite de nombreux livres ou articles écrits dans cette langue.

L’auteur se qualifie d’ethnographe, ici et là dans l’ouvrage. Comme tel, son récit est celui d’un témoin attentif aux démarches de familles à la recherche de tombes ou des restes de parents disparus notamment au combat. « Corps égarés », comme le dit le titre du premier des six chapitres de l’ouvrage. Attentif au point d’accompagner personnellement ces familles et leurs modalités de mise en œuvre de la possession qui leur permettra de retrouver la tombe et de s’assurer que son contenu est bien celui du parent recherché.

On ne rappellera pas ici que depuis près de trois quarts de siècle, les Vietnamiens ont payé de lourds tributs à une série de conflits entre eux, avec les Français puis les Américains, de temps à autres avec les Chinois, les Cambodgiens de Pol Pot…

Il est très surprenant qu’un régime “marxiste”, autoritaire, tolère des évocations par « morts interposés ». Mais l’auteur cite un Centre de recherche sur les potentiels humains à trois départements, celui des Bioénergies, celui de l’Informations et de la Prévision, celui enfin de la Parapsychologie, soit des « capacités spéciales »…Les fondateurs de ce centre sont tous des notabilités universitaires et militaires bien insérées dans l’État-Parti.

Suivent des chapitres destinés à retracer les modalités de détermination des personnes qui seront « possédées », des questions qu’elles devront poser aux disparus, la sortie de la possession…On ne peut ici rentrer dans le détail d’une thèse qui obéit aux lois du genre mais aussi retrace des témoignages de phénomènes vécus par le thésard, bon observateur ethnographe.

Dans sa conclusion, l’auteur rappelle « la violence inouïe des guerres qu’a traversées le Vietnam au XXe siècle [qui] a profondément bouleversé les relations entre les vivants et les morts ». Il rappelle également l’environnement psychosociologique de la société traditionnelle et du culte des ancêtres. Il resitue la possession, fruit de cet environnement traditionnel dans un ensemble plus vaste, celui des « hystériques » de Charcot, des possédées de Loudun, des apparitions de la Vierge en Bosnie-Herzégovine, en Italie, en France…

« Il est probablement encore trop tôt pour affirmer qu’un tel changement d’épistémè est à l’œuvre au Vietnam… Craignant de devoir répondre du sacrifice de centaines de milliers de jeunes hommes et femmes dans une stratégie de guerre totale, certes victorieuse, mais meurtrière et traumatisante, l’État vietnamien a occulté la dimension proprement pathétique du destin de ces soldats tombés au combat ». D’où l’indulgence aux évocations des morts via des possessions tolérées.

Mais l’auteur se pose une autre question, celle du témoin attentif des séances de possessions : « La possession n’existe que lorsqu’elle est culturellement et socialement élaborée, collectivement construite en situation par le biais menant à attribuer au corps du possédé l’agence de l’entité possédante ».

Comme il est d’usage dans la plupart des thèses doctorales, les démonstrations, les références sont difficiles, voire ardues à suivre. Le lecteur intéressé, s’il réussit à mettre la main sur l’ouvrage, pourra se contenter ici des remerciements cités plus haut, et de la conclusion. Non pas que l’enquête relatée tout au long de la thèse soit inintéressante en soi. Mais, c’est la règle, elle est parfois difficile à suivre, érudition oblige.

On retiendra de cette lecture, partielle ou en totalité, les arrangements entre la ou les modernités (ici un communisme à l’ancienne encore officiellement revendiqué, incarné par un État-Parti), les traditions culturelles et les phénomènes ésotériques qui servent de soupapes de sécurité aux individus et aux institutions.