Conquêtes antarctiques

Recension rédigée par Patrick Forestier


Ce livre historique, de découverte et d’exploration du continent antarctique est tout simplement passionnant. Même ceux qui ont roulé leur bosse sur la planète trouveront dans le récit de ces deux océanographes émérites de quoi s’étonner. D’abord parce que séjourner sur ce continent de glace, battue par les vents, et situé à plusieurs milliers de kilomètres de la « civilisation », n’est possible que pour les chercheurs issus de vingt-neuf pays signataires de plusieurs traités internationaux.

Quarante stations polaires y ont vu le jour. La Russie en possède onze et l’Argentine quatorze. Dumont d’Urville, Charcot et Concordia, partagée avec l’Italie, sont françaises. L’Antarctique est en effet un immense laboratoire naturel peuplé de 1000 scientifiques l’hiver et de 7000 l’été. Une tour de Babel consacrée à la science où chaque équipe étudie dans sa spécialité l’histoire de notre planète, grâce à des prélèvements de glace à plusieurs milliers de mètres de profondeur. Ces savants travaillent bien entendu sur les maux dont souffre la Terre aujourd’hui. Mais au dôme C, on recueille des précipitations qui datent de 800 000 ans. De quoi comparer les périodes.

Les auteurs qui ont eux- mêmes participé à plusieurs campagnes, sept pour Paul Tréguer, nous font vivre les conquêtes successives de l’Antarctiques en narrant les exploits et les découvertes de ces explorateurs du froid qui affrontent des vents de 100 km/h et des températures jusqu’à -60 degrés. En 2014, des chercheurs ont annoncé que les vents n’avaient jamais soufflé aussi fort depuis mille ans dans l’océan Austral, dont les quarantièmes rugissants. A la fin des années cinquante, le glaciologue Claude Lorius et son équipe mettent trois semaines pour parcourir trois cent quinze kilomètres avec trois chenillettes - dont une américaine qui a servi en Indochine et en Algérie - pour atteindre la station Charcot, une baraque enfouie dans la neige, avec une trappe sur le haut, des antennes radio, deux cheminées et un poêle à mazout qui manque d’intoxiquer les Français.

 En fait, Guy Jacques et Paul Tréguer nous livrent le roman de l’Antarctique. Ils rappellent que depuis l’antiquité « existe une croyance en une terre immense dans l’hémisphère Sud pour équilibrer la planète ». L’astronome Ptolémée représente un Océan Indien bordé au sud par une Terra incognita pour maintenir le monde en équilibre. Les deux écrivains nous racontent l’âge héroïque de l’exploration (1895-1922) avec les premiers hivernages et les sauvetages de ces expéditions périlleuses qui, parfois, tournent mal. La course au pôle Sud passionne les gazettes et l’opinion. Le britannique Scott pensait arriver le premier. Mais il découvre en arrivant que le norvégien Amundsen est là depuis deux jours. Plus tard, en 1989, ce sera le médecin Jean Louis Étienne, son compagnon Will Steger, des scientifiques russes, chinois, britanniques et japonais, qui réalisent un exploit en traversant le continent. A Vostok, ils passent par l’endroit le plus froid du monde.

Sont aussi contées les circumnavigations de James Cook dans les mers australes. Elles l’emmènent jusqu’à l’archipel des Kerguelen qu’il qualifie « d’îles de la Désolation » avec son arche, présente jadis sur un timbre au nom des Terres Australes et Antarctiques françaises, avant qu’elle s’effondre vers 1910.

La science n’est pas oubliée par les auteurs qui nous révèlent avec pédagogie l’étude des températures, la bascule climatique bipolaire et l’influence des variations périodiques des paramètres de l’orbite que décrit la Terre autour du Soleil. Le comportement des manchots et des éléphants de mer est raconté avec une approche à la fois vivante et informative, illustrée de magnifiques dessins animaliers. La vie sous les glaces est, elle, accompagnée de photographies, comme tous les chapitres de cet ouvrage destiné aux lecteurs de 7 à 77 ans !