Auteur | Sylvie Crogiez-Pétrequin et Anna Heller (dir.) |
Editeur | Peter Lang |
Date | 2018 |
Pages | 165 |
Sujets | Transports et communications Histoire Actes de congrès Communication et géographie Histoire Actes de congrès |
Cote | 62.286 |
Cet ouvrage regroupe sept communications présentées à la journée d’études qui s’est tenue à Blois, dans le cadre des 18 emes rendez-vous de l’histoire, le 10 octobre 2015.
Tout empire périra. Comme J.B. Duroselle l’avait bien vu, il s’agit là d’une constante de l’histoire. Les organisatrices de cette rencontre, professeures à l’Université de Tours, ont souhaité revenir sur le thème de la connexion des empires avec un intérêt particulier pour la transmission des informations, des instructions et des nouvelles à travers ces très vastes étendues où cohabitaient des peuples différents par la langue, la culture et les aspirations et en outre parfois séparés les uns des autres par des barrières naturelles : chaines de montagnes, fleuves, mers. Dans son introduction en forme de présentation d’ensemble de ce volume de la collection Histoire de la Poste et des communications, Anna Heller (Université de Tours François Rabelais) s’interroge sur la notion d’empire dont la définition est relativement aisée mais celle de connexion pose plus de difficultés. Il est évident que la gestion de la distance est l’un des défis majeurs que doit affronter tout système d’organisation des postes impériales.
L’ouvrage est organisé en trois parties dont la première est consacrée aux infrastructures : elle regroupe deux communications : celle de Sylvie Grogiez-Pétrequin (Université de Tours) qui étudie les postes impériales de l’Antiquité et du Moyen-Age et nous apporte de précieux éclairages sur le système postal des empires chinois, perse, romain, omeyade, et même une brève allusion (pp34-35) à la poste de l’Empire Inca (XVeme siècle).
Sophie Dulucq (Université de Toulouse Jean Jaurès) s’intéresse à la transmission des informations dans l’Afrique française subsaharienne au XIX eme siècle et aux débuts du XX eme.. Elle introduit très heureusement sa communication par une citation de Kipling extraite de la nouvelle « The overland mail » (1886). Pour les fonctionnaires et les gérants de factorerie isolés dans les postes lointains de l’intérieur de l’AOF et plus encore de l’AEF, l’attente du « courrier de France » était une espérance, un soutien, et peut être même pour certains, une raison de vivre. Les sacs postaux étaient acheminés par les moyens les plus divers : la voie fluviale, les cavaliers, les pistes chamelières, voire de simples porteurs. La construction des lignes télégraphiques à partir de l’ouverture de la liaison Dakar-Brest en 1902, changea sensiblement la donne : en 1905 18. 626 kilomètres de lignes desservaient 160 bureaux dans la seule AOF. Mais le télégraphe était un instrument de l’administration et de l’armée et ne rendait qu’exceptionnellement service aux particuliers. Son usage imposait un style particulier, le style télégraphique (« de nouvelles expériences d’écriture » p.60). Il en alla de même du téléphone à ses débuts. Il était essentiellement à usage militaire ou administratif et les abonnés privés, quand il y en eut, étaient très peu nombreux. Seuls les centres les plus importants, chefs-lieux de colonies ou de grandes subdivisions, étaient desservis.
Une deuxième partie rassemble trois contributions sous le titre : « acteurs et enjeux de la communication ». Celle de Bruno Judic (Université de Tours) nous a paru présenter un intérêt tout particulier puisqu’elle s’inscrit pleinement dans le champ de la connexion des empires. Cet auteur nous entretient des échanges maritimes qui, à travers l’Océan Indien, ont mis en communication du X au XVème siècle, les empires Abbasside, Chola (sud de l’Inde) et Ming. On lira une intéressante allusion à la découverte à Galle (côte sud de Ceylan) d’une inscription trilingue commémorant le passage vers 1409, de la flotte de l’amiral chinois Zheng He, un eunuque musulman de la cour de l’empereur Jong Lê (dynastie des Ming). L’inscription contient une invocation à Bouddha (en chinois) à Allah (en persan) et à Vichnou (en tamoul). On sait que cette escadre cabota sur la côte orientale d’Afrique et que le sultan de Malindi fit don d’une girafe pour l’empereur de Chine. Mais peu après le règne de Jong Lê, la Chine, qui avait transféré sa capitale de Nankin à Pékin, renonça à ses navigations lointaines.
Antiquisant, Jean-François Claudon s’applique à reconstituer les réseaux de circulation de l’information qui existaient entre les cités grecques et Rome, centre de l’Empire. Ces communautés assujetties envoyaient des ambassades auprès de l’Empereur et du Sénat afin de leur transmettre des informations ou des requêtes. Mais ces messages faisaient souvent double emploi avec les rapports des gouverneurs de province, pour la plupart sénateurs de l’Empire.
Sous le titre : « La manne du ciel » Etienne Bourdeu (Centre d’études de la Renaissance, Tours) étudie les mécanismes de circulation de l’information et la collecte des données locales dans l’Empire hispanique aux XVIeme et XVIIeme siècles. Pour contrôler le fonctionnement des divers rouages locaux de l’Empire, la monarchie espagnole envoyait sur place des « visiteurs », sorte de Missi dominici, chargés de s’assurer du comportement des officiers royaux dans les divers territoires et de remettre des questionnaires aux villes et villages d’Amérique et d’autres lieux. (Les traditions de l’inquisition ne se perdent pas). La masse d’informations ainsi recueillies contribue à orienter la politique coloniale de la monarchie, nous avons là une illustration de l’influence du colonisé sur le pouvoir colonial, un aspect des choses trop souvent négligé.
La troisième partie « une communication entravée » est consacrée aux difficultés qui grèvent la circulation des informations dans les empires. Daniel Baric (Université de Tours, François Rabelais) a consacré sa communication aux problèmes de la communication dans la monarchie danubienne. Il a présenté son texte sous une forme régressive (1918-1705). Il est permis de se demander si cet empire des Habsbourg n’était pas dès le départ condamné à la dislocation par le pluralisme linguistique. Ainsi que l’auteur l’observe p.143 le conflit linguistique ne put jamais être réglé de manière satisfaisante. Sans doute la navigation à vapeur sur le Danube, les voies ferrées, le télégraphe et le téléphone ont-ils œuvré à sa sauvegarde et retardé la dislocation finale. La politique des compromis, le plus connu étant l’Ausgleich de 1867, a permis aux Habsbourg de venir à bout des révoltes hongroises et tchèques. Mais cette politique n’était qu’un palliatif et l’on ne peut que déplorer l’incapacité des dirigeants de l’Empire à doter celui-ci de véritables institutions fédérales qui auraient peut-être (ce n’est pas sûr) permis sa survie. Le fédéralisme à deux est la pire forme de fédéralisme qui soit puisqu’il existe fatalement un peuple dominant et un peuple dominé. La condition des minorités linguistiques soumises à l’hégémonie des Magyars était particulièrement pénible.
L’Union soviétique est le dernier exemple retenu pour cette journée d’études. Léonid Haller (Université de Lausanne) étudie la communication de l’information dans ce pays. Il part du postulat que l’URSS était un empire, ce qu’il nous semble difficile de contester. Ce n’était qu’une transformation, un nouvel habillage de l’empire des Romanov. Par une campagne d’alphabétisation menée tambour battant (ce fut souvent le cas), qui s’est étendue sur un peu plus de quinze ans, le régime soviétique a transformé le visage de la société russe : le taux d’analphabétisme qui était de 75% en 1920 (90% pour les femmes) passait à moins de 15% en 1938. La propagation de l’écrit eut pour conséquence une prolifération des bibliothèques et des organes de presse et bien entendu, sous le régime de la dictature du prolétariat la mise en place d’une censure efficace. Dans les premières années, Nadedja Kroupskaia, compagne de Lénine, supervisa les activités de la direction de la propagande et de l’instruction. Les services de la censure, qui veillaient à l’observance de la ligne générale élaboraient des listes d’ouvrages ou d’auteurs proscrits : souvent des palmarès de prix d’excellence puisqu’on y trouve les œuvres de Platon, Kant, Taine, Proust, Tolstoï etc… En somme beaucoup d’analogie avec un autre index, longtemps publié à Rome mais dont les auteurs avaient négligé Marx et Hitler…
Des documents en annexe montrent le fonctionnement de cette censure : procédure de saisie de livres dans les librairies (toutes librairies d’Etat). Des milliers d’ouvrages furent ainsi envoyés à l’incinération ou emmagasinés dans « l’enfer » des grandes bibliothèques.
De l’Antiquité à l’époque contemporaine, les empires ont-ils été des mondes connectés ? Cette question posée en p.4 de couverture ouvre bien des pistes de réflexion.