Auteur | Zakya Daoud |
Editeur | La Croisée des Chemins |
Date | 2017 |
Pages | 565 |
Sujets | Gibraltar Histoire Gibraltar, Détroit de |
Cote | 62.384 |
Sur plus de 500 pages, Zakia Daoud, journaliste marocaine d’origine française, au demeurant très prolixe, déroule l’épopée qui depuis trois millénaires anime le détroit de Gibraltar, un lieu stratégique porteur d’une grande charge symbolique. Tout au long des siècles, elle décrit le cheminement historique fait de flux et de reflux dans ce passage, à la frontière entre les mondes où se croisent de multiples personnages. Tour à tour, elle place chacun de ses chapitres sous le nom de l’un ou l’autre de ces aventuriers, guerriers, rois, marchands, savants ou écrivains qui l’ont emprunté ou l’ont défié. Chacun d’eux donne l’occasion de porter une réflexion sur cette frontière dans sa dimension aussi bien physique que politique, dans son caractère aussi bien réel que mythique.
Son livre, préfacé par Jean-Jacques Gonzalès, est « une machine à remonter le temps. Il brasse les siècles. » Depuis les temps légendaires où Hercule a séparé les deux continents, il mêle l’histoire au présent dans d’incessants allers et retours à l’image des oscillations des hautes vagues du détroit. La route interdite par Hannon le Carthaginois pour préserver les intérêts puniques l’est toujours aux migrants d’aujourd’hui qui se risquent à sauter cette barrière au péril de leur vie. Le détroit est toujours verrouillé à Gibraltar par l’Angleterre et à Ceuta (Sebta) par l’Espagne, deux vestiges d’empire tournant tous les deux le dos à leur environnement naturel. Fermée, la frontière n’empêche pas le passage ; certains y trouvent la mort, mais d’autres la survie. Les trafiquants en forcent la porte. Les dilemmes du présent rejoignent les exclusions du passé. Ce lieu n’a cessé de s’agiter dans la confrontation entre opposition et rapprochement, entre dialogue et rupture. Se réunissent dans la mémoire la quiétude de Juba II, à l’abri du détroit, puis « les ruées des Vandales…, le grand saut de Tarik, préludant à ceux des Almoravides et des Almohades. Et il y a les retours des Omeyyades, les tentatives des Byzantins, des Fatimides, la résistance des Arabes qui durera des siècles. Puis les sauts dans l’autre sens des Portugais… et le reflux de Boabdil… préludant à ceux, pendant des siècles encore, de tous les exilés andalous ». Point névralgique de contact entre Nord et Sud, Islam et Occident, Maghreb et Europe, le détroit résume toutes les tensions qui traversent depuis toujours le monde méditerranéen.
Cet ouvrage a demandé un énorme travail de documentation. Bien écrit et agréable à lire, il fourmille d’informations, il ouvre des échappées dans toutes les directions, l’actualité est sans cesse reliée au passé. On déplore toutefois des coquilles typographiques et une transcription des noms arabes qui ne suit pas toujours la forme habituelle. Cette exploration des dédales du temps et de l’espace s’achève sur une note optimiste. Au bout de son voyage historique dans le détroit, l’auteure garde espoir. Les problèmes tendent aujourd’hui à être abordés davantage en termes de coopération qu’en termes de sécurité. Depuis le processus de Barcelone (1995), l’euro-méditerranée se construit jour après jour et les liaisons se développent depuis l’infrastructure portuaire de Tanger Med. Le retour estival des Marocains de l’extérieur offre un témoignage palpable de coexistence. Pour conclure, souvenons-nous avec Zakia Daoud, de Jacques Berque qui « appelle à des Andalousies toujours recommencées dont nous portons en nous à la fois les décombres accumulés et l’inlassable espérance ».
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