Le nègre de Napoléon : Joseph Serrant, seul général noir de l'Empire

Recension rédigée par Michel David


            On n’a pas encore épuisé les innombrables sources de l’histoire napoléonienne, l’ouvrage de Raymond Chabaud nous en apporte la confirmation. C’est la biographie de Joseph Serrant, personnage étonnant qui parti de sa Martinique natale devint général de l’Empire. Elle s’appuie sur ses notes manuscrites miraculeusement retrouvées dans un coffre de famille et abondamment reproduites tout au long de l’ouvrage, lui conférant ainsi une forte authenticité.

            D’emblée on se trouve plongé au cœur de la Martinique du XVIIIe siècle finissant, dans la petite ville de St Pierre, alors port principal de l’île, où Joseph Serrant naît en 1767. Fils d’un colon blanc et d’une mulâtresse, Joseph est « libre de couleur », statut qui le fait échapper à la condition d’esclave. En fait il est de peau si claire qu’il passera plus tard pour un Blanc. A douze ans son père disparaît ; Joseph devient apprenti chez un cordonnier. A seize ans il s’engage dans le régiment du marquis de Bouillé  et part faire  la guerre contre les Anglais sur l’île voisine de la Dominique.

            Quand il en revient la Martinique est en pleine effervescence ; les nouvelles venues de France font état de la nuit du 4 août 1789 et de l’abolition des privilèges. Un immense espoir surgit pour le petit peuple et les esclaves, tandis que les planteurs s’insurgent contre ce qu’ils considèrent comme une grave menace pour leurs intérêts. Cette partie de l’ouvrage est assurément la plus passionnante parce qu’elle fait revivre avec une précision remarquable la succession d’évènements confus qui ont secoué la Martinique et les Antilles pendant toute la période de la Révolution.

 Joseph  se montre particulièrement actif dans l’organisation anti esclavagiste à laquelle il a adhéré avec Delgrès, autre libre de couleur très engagé dans la lutte pour la liberté des esclaves. Il devient franc-maçon et épouse une jeune métisse « libre » comme lui,
« de complexion claire » et partageant ses idées républicaines. Il accompagne Delgrès en Guadeloupe pour y proclamer l’abolition de l’esclavage. Lorsque les troupes républicaines débarquent à St Pierre fin 1792 et début 1793 il rejoint l’armée de Rochambeau pour réprimer la résistance des planteurs restés fidèles au roi et lutter contre les tentatives de débarquement des Anglais. Il gagne des galons mais en février 1794 les Anglais réussissent à débarquer, Joseph est blessé et fait prisonnier ; il est transporté à la Dominique puis en Angleterre.

Après un an de captivité, joseph bénéficie d’un échange de prisonniers et débarque à Cherbourg en mai 1795. Il commence alors une nouvelle carrière militaire comme officier dans un régiment appelé à lutter contre les Chouans révoltés de Vendée. Il se distingue très vite par ses qualités de chef et par son courage au feu. A la fin de 1795 il se fait rejoindre par sa femme qu’il installe à Cherbourg. Rien dans ses titres officiels ni dans sa couleur de peau n’indiquant son origine de Noir martiniquais il est désormais considéré comme un Blanc.

La suite de sa vie sous les armes se déroule au hasard des affectations successives et de sa participation à la longue série de campagnes qui s’étalent de 1796 à 1814. Ne pouvant ici les évoquer en détail, on se contentera d’en donner les étapes principales. Ce sont d’abord des guerres en Suisse pendant la Convention puis le Directoire. Avec le Consulat puis l’Empire, Joseph se trouve mêlé aux guerres napoléoniennes. Il raconte lui-même dans ses nombreuses notes la réorganisation des armées, sa proximité avec les généraux de Bonaparte, Masséna, Jourdan etc., ses blessures, son avancement dans la hiérarchie militaire jusqu’au grade de colonel.

            Aux garnisons italiennes de 1801 à 1804 succèdent les épisodes de la campagne de Dalmatie de 1805 à 1809. Suivent les expéditions vers les pays Baltes et la Russie  Joseph est dans la Grande Armée, côtoie les maréchaux, Murat, Bertrand, le Prince Eugène ; il est maintenant général ; Napoléon en personne le nomme officier de la Légion d’honneur et Baron d’Empire. Il entre dans Moscou et assiste à l’incendie de la ville. C’est ensuite la fameuse et terrible retraite de Russie. Joseph est blessé et fait preuve d’un courage exceptionnel. Fait prisonnier par les Russes à Vilna, il réussit à s’évader et rejoint en Allemagne l’armée du prince Eugène. De nouveau il repart pour reprendre Berlin sous les ordres de Soult mais les troupes françaises arrivées à Postdam sont contraintes de reculer. Ney commande le repli sur Leipzig ; c’est la défaite, le retour par Francfort et le passage du Rhin. Joseph retrouve enfin sa famille à Paris fin 1813.

            Ultime combat, à l’issue de son congé Joseph est rappelé sous les ordres de Desaix pour aller attaquer les Autrichiens qui menacent les Alpes ; il reprend Annecy, c’est son dernier fait d’armes. L’abdication de Napoléon en avril 1814 met un terme à la guerre ; Joseph reçoit des commandements divers en province. Lors des Cent Jours il se rallie à l’Empereur mais celui-ci ne le reprend plus auprès de lui. La Restauration lui fait alors payer cher ce ralliement en le mettant d’office à la retraite. Joseph termine sa vie avec sa famille à Clermont-Ferrand où il meurt en 1827.

            Ainsi s’achève ce récit qui nous fait revivre des heures sombres ou glorieuses à travers la vie mouvementée de ce petit cordonnier martiniquais qui s’étant illustré dans les guerres de la Révolution et de l’Empire est devenu le seul général métis de Napoléon. On sait gré à Raymond Chabaud d’avoir tiré de l’oubli cette belle aventure humaine.

                                                                                                                  



 
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