Auteur | édité par Luc Chantre ; notes de Louis Blin, Luc Chantre et Philippe Pétriat |
Editeur | Presses universitaires de Provence |
Date | 2016 |
Pages | 151 |
Sujets | Pèlerinages musulmans Arabie saoudite La Mecque (Arabie saoudite) 20e siècle Sources Administrateurs coloniaux France |
Cote | 60.966 |
Comme il est dit dans l’introduction, cet ouvrage est issu d’une découverte heureuse et gratifiante au cours d’explorations plus ou moins fastidieuses dans les profondeurs des archives. Celle d’un documentdepuis longtemps enfoui et oublié d’un rapport administratif accompagné d’un album de photos, ici intégralement reproduites, à raison de cent une « dont trois doublons ».
De fait, l’introduction d’une vingtaine de pages retrace d’une part le parcours professionnel agité de l’« administrateur de la commune mixte d’Aïn-Témouchent sur le pèlerinage de la Mecque en 1905 » et le contexte d’autre part dans lequel sont gérés par l’autorité coloniale les pèlerins et les pèlerinages.
Suit la reproduction in extenso du rapport de 1905 et de ses photos récupérées pour présentation et réhabilitées. On notera cependant qu’elles conservent ici le caractère vieillot des cartes postales de l’époque. Enfin viennent quelques pages mentionnant les sources et la bibliographie et un petit nombre d’annexes, dont un certificat d’arabe (« Examens administratifs de Langue Arabe ») de Paul Gillotte, il était donc relativement familier de cette langue dans laquelle, selon le manuscrit reproduit, il pouvait « tenir une conversation et traduire convenablement un texte manuscrit de style simple ».
De très nombreuses notes de bas de pages complètent l’appareil critique.
Sur le fond et en s’inspirant largement de l’introduction à l’ouvrage : comme en témoignent d’autres écrits des trois contributeurs à cet ouvrage, l’Angleterre et la France, principales puissances coloniales de l’époque, se préoccupaient depuis de longues années de l’état de déliquescence de l’empire ottoman et s’étaient plus ou moins substituées à lui pour assurer la sécurité de minorités notamment chrétiennes et, dans le cas particulier, de celle leurs ressortissants musulmans à l’occasion de leur pèlerinage, à Djeddah puis à La Mecque et Médine.
Par « sécurité », il convient d’entendre au premier chef la sécurité sanitaire, le Hedjaz de la seconde moitié du XIXe siècle étant fréquemment victime d’épidémies, de choléra en particulier. Mais ce n’est pas, de loin, la seule préoccupation des autorités coloniales, elles se méfient aussi des pèlerins de leurs territoires et des suites éventuelles de leur retour du Hadj, certains d’entre eux ayant pu être « contaminés » par des idées anti coloniales à base de revendication religieuse.
Elles les encadrent donc autant que faire se peut et cherchent à privilégier les voies maritimes et à décourager les voies terrestres traditionnelles. La sécurité de leurs pèlerins sur place, hors questions sanitaires, venait en troisième rang mais permettait aux « accompagnateurs » désignés par les autorités coloniales, outre d’encadrer leurs pèlerins, d’établir des rapports circonstanciés sur la situation en Arabie centrale sous domination ottomane.
En France et à l’égard des populations algériennes, le prétexte sanitaire permet aux autorités d’interdire le Hadj, interdiction répétée dix-sept fois entre 1880 et 1905. C’est le ministère de l’Intérieur qui autorise ou interdit. Généralement, avant 1902, des « chefs de pèlerinage » sont désignés parmi des notables musulmans et selon la région d’origine.
Divers incidents, parfois anciens ou en relation avec l’établissement du protectorat sur la Tunisie conduisent les autorités, en 1901, à investir les administrateurs des communes mixtes de compétence dans le domaine de la simple police et, pour les pèlerinages et pour certains d’entre eux, de remplir une mission de « commissaire de gouvernement » pour les encadrer, les surveiller et donner des informations sur l’état des lieux en Arabie centrale.
Paul Gillotte est donc l’un des premiers administrateurs de commune mixte à remplir ce rôle de « commissaire de gouvernement » en 2005. Né en 1857 à Constantine, d’une famille déjà implantée en Algérie mais ayant conservé des propriétés en Côte d’Or, aux opinions républicaines, le jeune Paul n’a pas de mal à rentrer dans la carrière de fonctionnaire, d’abord comme secrétaire particulier des préfets Jules Cambon et Gustave Graux avant de se présenter au concours de commis rédacteur. Jugé « bon administrateur » mais victime à la fois de son « autoritarisme » et d’une violente campagne de calomnie animée par les milieux antisémites en raison de ses attaches avec les « gambettistes », il n’est à aucun moment de sa carrière un homme soumis. Son rapport de « commissaire de gouvernement » ici reproduit le démontre.
Ce rapport suit à la lettre les instructions reçues : information sur le pays, comportement des pèlerins… Il reste imprégné d’ethnocentrisme, porte des jugements sévères sur la décadence, l’arriération et la vénalité de l’administration ottomane, l’état misérable de son armée. Et, plus généralement, sur un Orient barbare.
Dans le même temps, Paul Gillotte critique l’organisation par les autorités françaises du pèlerinage et il prône une « organisation du pèlerinage à la française ». Il constate en effet qu’interdiction ou pas, ce pèlerinage existe de toute façon, avec pratiquement les mêmes effectifs. D’autre part, il estime que les risques sanitaires sont désormais bien moindres que quelques décennies plus tôt. Mais, soucieux de sa carrière, il ne va pas jusqu’à mettre en cause les autorités de « l’administration supérieure ». À vrai dire, de tradition républicaine, « il a ainsi du mal à voir dans le pèlerinage à La Mecque autre chose qu’une tradition culturelle ».
Ainsi commenté, le rapport de Paul Gillotte et son album photo méritent la lecture pour tout amateur de monographies sur certains aspects de la période coloniale en Algérie. Mais, notation non péjorative, il s’agit ici d’une sorte de rapport archéologique : après la fouille fastidieuse des archives et sa ou ses bonnes surprises, nous disposons d’une bonne illustration de détail d’une histoire coloniale mais pas de remise en cause des données déjà connues de façon plus générale.
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