Le centenaire des Accords ou plutôt des Désaccords Sykes-Picot (1916) a été marqué par la réalisation d’un certain nombre de documentaires télévisés et la publication de plusieurs livres. La traduction de l’ouvrage du Professeur James Barr, associé au King’s College de Londres, Une Ligne dans le sable (A Line in the Sand)a été commandée par le Ministère français de la Défense dans cette perspective. Tous ceux qui ont servi au Proche-Orient entre 1916 et 1970 ont été confrontés à cette lutte, souvent impitoyable, entre les deux puissances « mésalliées ». L’auteur la résume (p. 422) avec clarté et précision, s’appuyant sur les archives ouvertes récemment aux chercheurs : « La lutte entre le Royaume-Uni et la France pour la maîtrise du Moyen-Orient conduisit les deux nations à dépecer l’Empire ottoman …
Ce fut l’insatisfaction anglaise… qui mena Londres à proclamer son soutien aux ambitions sionistes et la Déclaration Balfour. .. Le soutien des Anglais aux Juifs de Palestine et le favoritisme français à l’égard des Chrétiens du Liban étaient des politiques conçues pour renforcer leurs positions respectives dans la région… Ils contrarièrent vivement la population à dominante arabe musulmane des deux pays et dans le reste de la région, avec des conséquences irréversibles ». Les événements rapportés dans le livre ne vont pas au-delà de 1948 mais la situation actuelle en 2017 dans la région est également décrite dans cette citation d’un spécialiste reconnu, même si d’autres grandes Puissances s’y impliquent désormais, Etats-Unis et Russie ainsi que les Puissances régionales, Turquie, Iran, Arabie Saoudite.
Les signataires qui ont donné leur nom à ce projet sont Mark Sykes, jeune député conservateur devenu diplomate et qui passait à tort pour bien connaître la région et François Georges-Picot, Consul général de France à Beyrouth et qui, fuyant son poste en 1916, négligea d’en brûler les archives livrant ainsi aux Ottomans la liste des nationalistes
libano-syriens, de ce fait, pendus aussitôt après, à Damas et à Beyrouth. Du côté anglais, T.E. Lawrence francophobe contesté par le Bureau de l’Inde qui privilégiait les Saoud aux Hachémites, Gertrude Bell dont l’action en Irak est retracée dans un film récent ; du côté français, le Père Antonin Jaussen, archéologue et remarquable agent de renseignements en Palestine.
La France sera constamment en situation de faiblesse au Proche-Orient ; la première guerre mondiale a épuisé ses ressources : 1,4 million de morts, 3 millions de blessés et d’handicapés, 7 milliards $ d’endettement. Paris déploiera peu de troupes au Levant (en 1945, il y restait 3.200 militaires français) et n’enverra que peu d’administrateurs compétents, contrairement à leurs collègues nommés en Afrique. Londres ne cessera pas, à partir de l’Irak, de la Transjordanie ou de la Palestine de soutenir des révoltes contre le Mandat français.
En Syrie, que les troupes britanniques quittent le 1er Novembre 1918, le roi Fayssal est subventionné par Londres ; le Général Gouraud, Haut-Commissaire l’expulse et les Britanniques le nommeront roi d’Irak en même temps qu’ils soutiennent le projet de « Grande Syrie » de son frère le roi Abdallah qui voulait unifier Transjordanie et Syrie. Le consul britannique à Damas, McKereth, appuie les nationalistes syriens comme Mardam Bey. La révolte druze de 1925 à 1927 ne cessera que lorsque la France aura reconnu l’annexion de Mossoul à l’Irak, région riche en hydrocarbures.
Les luttes entre Français vichystes et Français gaullistes alliés aux Anglais en 1941 et 1942 feront 6.000 morts pour les premiers et 4.500 pour les seconds. Le Général Spears, officier de liaison auprès des Français libres, débarque à Beyrouth le 21 mars 1942. Agissant comme « premier Ambassadeur de Grande-Bretagne » auprès des Etats du Liban et de Syrie, et à la tête de 120 officiers politiques, malgré son soutien au Général de Gaulle, il ne ménagea pas ses efforts pour faire cesser le Mandat français tandis que l’Irak, la Transjordanie et la Palestine bloquaient toute importation en provenance du Liban et de la Syrie. La France évacuera la Syrie en avril 1946 dans des conditions dramatiques et le Liban en août de la même année plus sereinement.
Sous mandat britannique, l’Irak, qui se voit dirigé par un monarque venant du Hijaz en 1921 et déjà chassé de Syrie, va accumuler les révoltes tribales, notamment chiites, contre l’occupation étrangère qui soutenait les Sunnites en minorité ; ce qui allait se reproduire en 2003 avec l’occupation américaine. Le pétrole jaillit en 1927 à Baba Gargour près de Kirkouk, enrichissant les sociétés britanniques et transporté par pipeline à travers la Syrie, le Liban (Tripoli) et la Palestine (Haiffa) ; en 1941, ce sont les Sunnites avec Rachid Ali Gaylani qui se soulèvent, faisant venir des agents allemands à partir de Beyrouth alors « vichyste »..
La Palestine également se rebellera contre le Mandat britannique, divisée entre deux communautés arabe et juive ; en 1930, le Haut-commissaire John Chancellor regrettait déjà que « le soutien aux aspirations sionistes représentait une bourde colossale » ; Eden en 1941 reconnaîtra que « le problème palestinien est la cause principale de l’insatisfaction arabe ». En 1920, les Juifs représentaient 9% de la population, en 1934, 25%.
A partir de 1946, Bidault assure Ben Gourion du soutien français « à la cause sioniste » et affrète des bateaux pour conduire les réfugiés juifs en Palestine ; en 1948, la France enverra des armes aux Mouvements Irgoun et Stern. Pour M. Barr, la France se venge ainsi des agissements de son alliée en Syrie.
L’ouvrage bénéficie de notes détaillées (p. 427 à 474), d’une riche bibliographie en anglais et en français (p. 475 à 493) et d’un index des patronymes, des toponymes et des institutions cités (p. 498 à 506).
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