Comme les Basques, les Bretons et d’autres peuples du littoral atlantique, Aunisiens et Saintongeais (ou Santons, voire Xantons) ont très tôt ressenti l’appel des brises de Noroit. Ils ont sillonné les mers et montré un grand intérêt pour les Amériques. Dans les villes portuaires, La Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente, des maisons d’armement ne tardèrent pas à prospérer et une bourgeoisie marchande cultivée, souvent protestante, encouragea la constitution de sociétés savantes dont la plus célèbre, l’Académie des Belles-Lettres de La Rochelle, vit le jour dès 1732. D’autres suivirent, dont le Muséum d’histoire naturelle en 1808 qui rassembla les collections de plantes et d’objets exotiques rapportés par les navigateurs locaux. Jean Flouret et Guy Matinière évoquent cette tradition scientifique charentaise dans la préface de cet ouvrage qui nous présente dix communications consacrées à des relations de voyageurs saintongeais en Amérique latine.
Céline Ronsseray (Université de La Rochelle), auteure d’une thèse sur l’administration de Cayenne, souligne les relations privilégiées qui se sont très tôt nouées entre Rochefort et Cayenne. Elle s’intéresse au personnel colonial d’Ancien Régime et étudie divers types de carrière d’officiers ayant servi en Guyane en qualité d’ordonnateur ou de gouverneur. Pour un officier de marine du port de Rochefort, une affectation aux colonies, et notamment en France équinoxiale, pouvait offrir de belles perspectives de promotion et accessoirement la possibilité d’un beau mariage. Ce pouvait être aussi une fin de carrière honorable. On lira avec intérêt les pages consacrées à la famille Guillouet d’Orvilliers de même que les tableaux faisant apparaître l’importance de Rochefort dans les carrières des ordonnateurs ou des
gouverneurs : celle de Pierre Victor Malouet, un temps ordonnateur à Cayenne, qui se terminera par la charge de ministre de la Marine est exemplaire à bien des égards.
Cédric Cerruti, (doctorant, université de La Rochelle) retrace l’œuvre du botaniste rochelais Aimé Bonpland (1773-1858). Issu d’une famille de marins et d’apothicaires de sa ville natale, Aimé-Alexandre Goujaud dit Bonpland fut compagnon d’Alexandre de Humboldt dans son voyage en Amérique du Sud (1799-1804). Devenu jardinier du domaine de la Malmaison (1808-1814) et protégé des milieux bonapartistes, il parvint à être renvoyé à La Plata où il poursuivit ses investigations botaniques. Il poursuivait en fait deux buts, l’un scientifique, la constitution d’un herbier, et l’autre économique, tirer des revenus de la production d’un jardin d’acclimatation et d’une ferme modèle. Il ne réussit que partiellement dans ces deux entreprises mais obtint, dans un premier temps, des bénéfices substantiels de ses cultures. Son apport à la science botanique n’est pas, ne doit pas être négligé, mais l’instabilité politique qui régnait alors, notamment au Paraguay, ne lui permit pas de mener toutes ses recherches à bien.
Trois communications sont consacrées au naturaliste et paléontologiste Alcide d’Orbigny (1802-1857). Bien qu’il ne fut pas originaire de l’Aunis ni de la Saintonge, ce dernier vécut longtemps à Esnandes, près de la Rochelle. Il s’était déjà acquis une certaine notoriété par ses travaux sur les foraminifères quand Cuvier le chargea pour le Muséum d’une mission en Amérique du sud (1826-1834). A son retour, il publia son Voyage dans l’Amérique méridionale, œuvre monumentale en sept volumes dont l’apport à la connaissance scientifique du continent est considérable. Katia Clément (Université de La Rochelle) analyse cette somme avec finesse : elle y discerne l’influence du romantisme et met en lumière le souci de l’auteur de complaire à diverses catégories de lecteurs : élite scientifique du Muséum et de l’Académie des Sciences, bourgeoisie cultivée, grand public amateur de récits de voyage. Gilles Béraud, érudit local membre de la société des sciences naturelles de Charente Maritime, nous entretient de la brève rencontre à Buenos Aires en 1827, d’Alcide d’Orbigny et de l’aventurier J.B. Douville, (que Béraud qualifie d’imposteur) auteur d’un rocambolesque Voyage au Congo dans lequel il a laissé libre champ à son imagination débridée.
Guy Martinière (Professeur émérite, université de La Rochelle) brosse un intéressant panorama des réseaux des sociétés savantes de La Rochelle et campe les portraits de leurs principales figures : Louis-Benjamin Fleuriau de Bellevue, Charles Marie d’Orbigny (père d’Alcide), Narcisse Parchappe et Michel-Simon Goujaud-Bonpland mais il s’attarde plus particulièrement sur Alcide d’Orbigny et revient sur Aimé Bonpland.
Tous ces savants rochelais ont mis en place en Argentine d’importants réseaux scientifiques qui ont contribué au rayonnement de la France, toujours perceptible dans ce pays.
L’école du service de santé de marine de Rochefort fut une pépinière de voyageurs, de chercheurs et de savants. Grégory Beriet, doctorant à l’université de la Rochelle, s’intéresse aux recherches scientifiques de plusieurs d’entre eux, dans le domaine de l’histoire naturelle, de 1817 à 1851. Il s’attarde particulièrement sur les officiers de Santé Lesson, Quoy et Gaudichaud, dont les travaux ont considérablement fait progresser les connaissances en histoire naturelle, avec un intérêt pour la botanique, spécialement enseignée et étudiée à Rochefort. Leurs travaux retinrent l’attention de l’Académie des Sciences et du Muséum d’Histoire naturelle.
C’est également Jean-René Quoy (1790-1869) et Pierre-Adolphe Lesson (1805-1888) qui ont inspiré la communication de l’anthropologue Elise Patole-Edoumba, conservateur du patrimoine en service au Muséum de La Rochelle, communication qui complète la précédente. Quoy accompagna Louis Claude de Freycinet dans son tour du monde à bord de l’Uranie tandis que Lesson servit sous les ordres de Dumont d’Urville. En dépit de leur différence d’âge, les deux hommes furent embarqués ensemble en qualité de chirurgiens à bord de l’« Astrolabe ». Quoy exerça pendant cinq ans la médecine à Tahiti (1845-1848). Si leurs relations de voyage ne sont pas exemptes de préjugés raciaux et culturels et sont largement influencées par le naturalisme du XVIIIe siècle, elles n’en sont pas moins fort intéressantes et s’inscrivent dans la perspective d’une remise en cause du mythe du « Bon sauvage ».
Deux communications sont consacrées au géographe Henri Coudreau (1859-1899) originaire de Sonnac (Charente Maritime). Sébastien Benoit (Université de Cergy Pontoise) relate la vie et l’œuvre de ce professeur au collège de Cayenne, aujourd’hui fort oublié, (sinon des lecteurs du Tour du Monde) qui explora pendant quatre années l’intérieur de la Guyane, vécut parmi les Indiens dont il étudia les mœurs et apprit les langues puis gagna l’Amazonie brésilienne. Il a laissé d’intéressants récits ethnographiques. Jean-Yves Puyo (Université de Pau) nous montre Coudreau s’efforçant de jouer un rôle d’arbitre dans le « Contesté »
franco-brésilien, ce territoire guyanais disputé entre les deux puissances et devenu un repaire d’apatrides, de parias, de pistoleros et de forbans au milieu desquels il faisait figure de « chien dans un jeu de quilles ». Certains aventuriers y fondèrent une éphémère « République de Counani ». Coudreau fut-il un agent secret du gouvernement français ? La question reste posée.
La dernière communication, celle de Jean-Bernard Vaultier, (Université de La Rochelle), retrace la destinée d’Elisée Trivier, capitaine au long cours rochefortais
(1842-1912). Après un bref passage au collège de Rochefort, où il précéda Loti, ce dernier navigua au cabotage puis au long cours, fit son service dans la marine nationale en 1862, suivit les cours d’hydrographie et obtint son brevet de capacité à St Nazaire en mars 1864. Il parcourut le vaste monde, comme second capitaine de navires marchands puis comme capitaine en titre. Affilié à la loge maçonnique de sa ville natale et correspondant de la société de géographie locale, il a adressé à celle-ci d’assez nombreuses missives décrivant les contrées qu’il avait parcourues. Il avait séjourné en Guyane, au Brésil, en Argentine, traversé le continent africain par le bassin du Congo. Ses explorations lui valurent une médaille d’or de la société de géographie, mais ne l’empêchèrent pas de finir ses jours dans l’oubli et la pauvreté.
Le temps marche. La Saintonge évoque pour nous le souvenir de notre maître Hubert Deschamps qui parlait toujours avec nostalgie de sa province natale. La Rochelle est dotée depuis 1993 d’une université qui entretient les meilleures relations avec les sociétés savantes de la Charente Maritime et avec la maison d’édition « Les Indes Savantes » qui, depuis 2000, notamment par sa belle collection Rivages des Xantons, maintient vivant l’intérêt pour le passé maritime et scientifique de cette aimable province.
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