Auteur | [témoignages recueillis] par Emmanuel Derville |
Editeur | Ateliers Henry Dougier |
Date | 2017 |
Pages | 154 |
Sujets | Inde 1947-.... Récits personnels |
Cote | 61.729 |
Emmanuel Derville, journaliste travaillant pour divers journaux dont « Le Figaro », a choisi dix personnalités de divers milieux pour présenter l’Inde. Cet ouvrage de 154 pages analyse essentiellement des événements passés en apportant quelques données nouvelles utiles pour leur compréhension. L’auteur a porté son choix sur des Indiens en retraite, la plupart fort critiques de leur pays. C’est une facette de la réalité qu’il a choisi de décrire. Il se contente de donner quelques avis personnels en introduction et d’apporter des précisions et explications dans des notes de bas de pages.
Parmi les témoignages, mérite d’être signalé celui d’un journaliste fort connu Kuldip Nayar. Selon lui « la partition aurait pu, aurait dû être évitée ». Il considère que pour l’Inde « la fin de la colonisation ne fut pas une libération, ce fut une tragédie ». Mais il admet que la naissance du Pakistan a suscité l’enthousiasme des musulmans ; c’était pour eux la délivrance. Selon lui, une Inde non divisée n’aurait jamais permis l’émergence d’un parti comme le Bharatiya Janata Party, car un tiers de sa population serait musulmane. Ce n’est pas faux. En introduction, Emmanuel Derville, se basant sur des chiffres donnés par des officiers anglais, indique que la partition a fait un million de morts.
Un ancien officier relatant la débandade de l’armée indienne face à l’armée chinoise lors de la guerre de 1962 indique très justement que cet événement traumatise encore l’Inde. La proposition faite par la Chine en 1960 de laisser à l’Inde la North-East Frontier Agency (aujourd’hui Arunachal Pradesh) et de conserver l’Aksai Chin est rappelée ainsi que le refus indien. Nehru préféra adopter une attitude offensive en ordonnant la création de postes avancés dans l’Aksai Chin. Il se préoccupait davantage de l’éventualité d’un coup d’État militaire que du danger chinois.
Un ancien haut fonctionnaire à l’Intelligence Bureau, le service de renseignement intérieur indien, reconnaît que la police pratique parfois la torture. Il dénonce la politisation des administrations provinciales et la corruption.
Un médecin, sociologue, ancien directeur de recherche à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, aborde le thème de la planification familiale. Il décrit sous un jour sombre le service de santé indien. Des vasectomies ont été pratiquées sur des quais de gares à Bombay. Aujourd’hui, des incitations douteuses poussent les femmes à subir une tubectomie. Malgré l’échec de toutes les tentatives de limitations des naissances le pays n’a pas connu de famines depuis l’indépendance et maintenant la natalité diminue, sans contrainte. Il n’en demeure pas moins, cela n’est pas dit, que la sous-alimentation est notoire notamment chez les enfants. Et l’accroissement démographique se poursuit bien qu’à un rythme un peu plus lent. Le médecin ne va pas jusqu’à dire que la population est un atout comme l’affirme, ce qui est fort discutable, Emmanuel Derville dans l’introduction de l’ouvrage.
Une écologiste accuse la révolution verte de tous les maux. Celle-ci devait accroître les rendements agricoles de blé et de riz dont les cultures étaient encouragées mais elle exigeait beaucoup d’engrais, de pesticides et d’eau. Il en résulta que les paysans s’endettèrent. Le Pendjab connut un désastre écologique. Les grandes firmes américaines sont accusées de vouloir vendre à tout prix leurs variétés hybrides de maïs, de riz et de moutarde. La situation se dégrade dans diverses provinces. Des paysans continuent de se suicider.
Un ancien haut fonctionnaire traite de la discrimination positive. En décembre 1978, une commission présidée par B. P. Mandal est créée pour promouvoir les
« backward classes »(classes arriérées). En décembre 1980, elle remet son rapport préconisant la réservation de postes dans l’administration fédérale, les universités et de manière générale dans le secteur public. Peu des recommandations furent mises en pratique, malgré les efforts déployés par certains partis régionaux. Le Bharatiya Janata Party, aujourd’hui au pouvoir à New Delhi, n’est pas favorable au rapport Mandal.
Un conseiller économique du Premier ministre Narasimha Rao en 1991 lors de la libéralisation des échanges commerciaux mettant fin à la licence Raj indique que les inégalités demeurent. L’éducation et la santé n’ont pas été réformées comme il aurait fallu. Et le nombre d’emplois créés reste insuffisant.
Un scientifique fournit ensuite des précisions intéressantes sur le déroulement du programme nucléaire indien. C’est l’essai chinois de 1964 qui pousse l’Inde à se doter d’une force de frappe. L’explosion de 1974 fut qualifiée de pacifique par New Delhi. Malgré le désintérêt ultérieur des autorités politiques, des scientifiques continuent leurs recherches dans le secret. L’Inde, partie non prenante aux traités de non prolifération, effectua des essais nucléaires les 11 et 13 mai 1998. L’un, présenté comme thermonucléaire (bombe H), semble avoir échoué. Seulement quelques militaires avaient été informés préalablement de ces essais. Face à la Chine, la dissuasion reste insuffisante sans bombe H. Mais elle fonctionne entre l’Inde et le Pakistan qui lui aussi a procédé à des essais nucléaires les 28 et 30 mai 1998. Néanmoins, précise le scientifique, cela n’empêche pas le Pakistan de continuer à aider des groupes terroristes frappant le territoire indien. L’Inde devrait, ajoute-t-il, réagir militairement sans craindre de représailles nucléaires pakistanaises.
Une journaliste dénonce la violence intercommunautaire en Inde. La responsabilité de la formation ultranationaliste hindoue, le Bharatiya Janata Party, lui paraît grande.
Un cofondateur de la société d’informatique Infosys, est un exemple de réussite. En 2009, quittant Infosys il participa à la mise au point d’une carte d’identité biométrique Aadhar (ce qui veut dire fondation en hindi) à usages multiples, y compris le versement d’aides sociales. Celle-ci suscita des critiques car on craignait des dérives que le gouvernement aurait justifiées par des nécessités de sécurité nationale. Aujourd’hui, 1,1 milliard d’Indiens la possède.
L’ouvrage aborde des thèmes importants dont certains toujours d’actualité mériteraient d’être actualisés. La traduction en français (par son auteur ?) des écrits originaux en anglais est dans l’ensemble correcte, sauf pour le chapitre consacré à la guerre sino-indienne de 1962.
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