Auteur | Antoinette Maux-Robert |
Editeur | Les Presses du Midi |
Date | 2022 |
Pages | 126 |
Sujets | Oran (Algérie) Roman |
Cote | 66.195 |
Ce livre retrace l’histoire d’un jeune couple, Anne et François, installés à Oran durant les derniers mois de la guerre d’Algérie. François, tout juste sorti de l’École polytechnique, a dû effectuer, après une première période de six mois comme officier, un second séjour en Algérie à partir du mois d’août 1961, pour compléter son service militaire par un an de service dans l’administration. Il obtient que sa femme puisse le rejoindre avec leur bébé (octobre 1961) jusqu’en mars 1962, où la dégradation de la situation amène le départ d’Anne et de la petite fille pour la métropole. François, demeuré à Oran, est assassiné lors de la journée tragique du 5 juillet, le jour même où il devait prendre l’avion pour la France. L’appellation de « roman » ne doit pas faire illusion. Il s’agit bien d’un témoignage sur une période qui fut d’abord celle de la réunion d’une famille pleine d’avenir, dans un pays non dépourvu de charme, avant de se terminer sur un deuil irréparable. La survivante a utilisé, outre ses propres souvenirs, la correspondance échangée par les époux durant les périodes de séparation, dont on lit avec intérêt les nombreux extraits, empreints d’une grande pénétration.
Ces pages décrivent une vie quotidienne malgré tout heureuse, avec ses loisirs et notamment la plage, le cinéma, voire l’opéra. L’insécurité n’apparaît d’abord que discrètement, par exemple à travers la nécessité de se déplacer en convois sous protection militaire pour jouir du panorama de la colline de Santa Cruz qui domine Oran. Quelques jours passés à Akbou, en Grande-Kabylie, montrent un pays plutôt paisible, solidement tenu par l’armée, mais dont l’administrateur français, ami du couple, ne cache pas son inquiétude. Ces Français de métropole sentent bien, cependant, la fièvre qui s’empare de la population pied-noir, dont ils comprennent, s’ils ne peuvent la partager, l’angoisse de l’avenir. Après la signature des accords d’Evian (18 mars 1962), ils voient éclater la guerre civile à Oran, entre les commandos de l’OAS et les forces de l’ordre. L’histoire s’achève avec le drame du 5 juillet, et l’assassinat de François, une des 700 victimes européennes de l’épisode, dont le corps a pu au moins être rendu aux siens, ce qui n’a pas été le cas de beaucoup d’autres victimes, dont les restes n’ont jamais été retrouvés.
Ce témoignage d’une vie brisée se termine par un court épilogue, qui nous mène jusqu’à aujourd’hui. Il aura fallu un demi-siècle pour que l’auteur ait décidé de prendre la plume pour évoquer son douloureux passé et permettre à son époux de « retrouver sa place dans la mémoire des siens », mais la volonté de ne pas laisser le désespoir prendre le dessus aboutit ainsi à recouvrir la mémoire des soixante années suivantes d’une chape de silence. Ne peut-on reprocher très respectueusement et très amicalement à l’auteur, comme à tous ceux qui ont vécu la guerre d’Algérie et ont voulu, ce qui est tout à leur honneur, se reconstruire après le conflit, de ne pas montrer à l’ensemble de leurs compatriotes, sans misérabilisme, mais sans complaisance, les traumatismes supplémentaires qu’eux-mêmes et leurs familles ont vécus depuis 1962, sans se contenter de les évoquer en deux pages ?
Ce serait contribuer à fonder une représentation lucide d’un passé qui, on le voit bien à l’occasion des actuelles commémorations de la fin de la guerre, a laissé bien des fractures invisibles.
Aussi peut-on espérer une suite à ce livre émouvant.