Un imposant volume relié toile de 52 cm. x 35 x 6 d’épaisseur et pesant 7,5 kg, c’est déjà un monument en soi mais qui n’a pu être photographié avant d’être rendu à ses propriétaires et c’est dommage.
Saluons la ténacité, l’obstination, pendant quarante ans, du précieux quatuor togolo-franco-germano-anglais Gayibor-Marguerat-Sebald-Jones qui en a successivement assuré, après découverte et accessibilité, la mise en ordre, la traduction et finalement la publication. Les difficultés qu’ils ont dû surmonter - on s’en doute - ont été multiples : documents rongés par les termites, noms propres écorchés ou mal transcrits, identités à deviner ou à confirmer, mesures et monnaies archaïques ou oubliées, traduction d’un anglais plus ou moins correct, parfois même abâtardi en “afro-anglais” difficile, voire impossible, à interpréter.
Passons vite sur “l’écheveau inextricable des origines” de la famille Lawson. Des immigrants Guin venus d’Accra et menés par un certain Foli Bebe seraient arrivés dans ce curieux dédale géographique de la côte, les Popo, futur Aného, vers 1700. S’imposant à une quinzaine de petites “entités ethniques” d’origine éwé, ils y fondèrent le royaume guerrier de Glidji doté d’un port sur l’océan, ouvert aux contacts avec les Européens mais vite ébranlé par des conflits internes, lorsque la famille Lawson entreprit de surpasser ses voisins tant dans le commerce qu’en politique. Ces fractures sont d’ailleurs encore très sensibles de nos jours.
Le Grand Livre est découpé en quatre périodes de durée et de contenu fort différents, reflétant évidement les conditions historiques qui les marquent.
La première période (1841-1877) illustre la vie quotidienne d’un petit univers encore tranquille de relations politico-commerciales précoloniales où les diverses chefferies et mini-royaumes encore indépendants de cette partie de la côte traitent en toute liberté avec les Européens. Le Livre rassemble donc 300 documents d’une correspondance essentiellement commerciale et comptable, répétitive, assez monotone, mais toujours empreinte d’une surprenante courtoisie. On y parle d’abord et surtout, au jour le jour, d’huile de palme, de cotonnades, de tabac, de sept variétés d’alcool mais aussi de la traite négrière encore pratiquée ici et là sans état d’âme. Car, si Petit-Popo y a à peu près renoncé sous la pression anglaise au milieu du siècle, elle se poursuit quand même là où d’audacieux négriers brésiliens et espagnols savent encore déjouer ou battre de vitesse le blocus britannique. Par ailleurs, les correspondances du Grand Livre comptent les piroguiers et les cauris, chiffrent les dettes et règlent les “palabres” survenues entre commerçants. En somme, on y trouve ‘un remarquable aperçu de la vie quotidienne des gens de l’"époque", presque comme si l’on disposait déjà d’images.
La seconde période (1854-1879) ne compte que 17 documents se réduisant souvent à de longues et fréquentes listes de noms. Puis la politique, prenant nettement le pas sur le commerce, s’impose à partir de 1880 d’abord parce que la pression des Européens s’intensifie. Mais aussi parce que l’ambitieuse famille Lawson, misant sur l’amitié et la protection - même de plus en plus prégnante - des Anglais, a rejeté toute tutelle de Glidji, sa suzeraine historique et très proche voisine. Intronisé en octobre 1883, têtu et actif, le “roi” George Lawson III entend régner désormais depuis son palais de New-London, à Petit Popo. Dès lors, les correspondances de son Grand Livre sont essentiellement politiques, directement marquées par la sérieuse phase historique qui se joue désormais entre Anglais, Allemands et Français sur toute la côte jusqu’à l’imposition, surprenante du “protectorat” allemand en juillet 1884, souhaité par les uns, redouté par les autres. Brutalisés quelques mois plus tôt, les Lawson, privés des Anglais, sont les grands perdants de l’affaire. Désormais, leur Grand Livre n’a plus à consigner que des événements familiaux et ponctuels.
L’ampleur du recours systématique, surtout pendant la première période du recueil, à d’élégantes correspondances malgré la lenteur des relations maritimes, à la voile puis à vapeur, avec l’Europe, ne peut guère surprendre puisqu’on n’avait pas d’autre choix. Mais elle étonne davantage quand il s’agissait de brefs contacts locaux, à très petites distances et presque quotidiens, que les intéressés auraient pu effectuer de vive voix en se rencontrant.
Réjouissons-nous : l’ouvrage consacré au Grand Livre in extenso se relie directement à celui qu’Yves Marguerat a déjà publié dès 1993 à Lomé : “La naissance du Togo”. On peut donc estimer que les circonstances précises de l’apparition dans l’histoire de ce pays, pur produit du hasard, de Lomé à Aného, sont désormais complètement connues, à l’exception d’un ou deux personnages demeurés, conformément aux traditions locales, résolument énigmatiques.
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