Auteur | Jacques Weber |
Editeur | Les Indes savantes |
Date | 2020 |
Pages | 829 |
Sujets | Compagnie des Indes Compagnie royale des Indes Orientales France Français Inde Histoire |
Cote | 62.806 (vol 2) |
On retrouve dans ce tome 2 de l’historien Jacques Weber les caractéristiques du tome 1 avec le même ordonnancement des chapitres (notes de bas de pages, illustrations en noir et blanc dans le texte, illustrations en couleur à la fin de chaque chapitre). Le champ d’investigation de ce tome est différent puisqu’il concerne le gouvernement des Établissements français de l’Inde et la politique d’assimilation par les institutions de la République.
Comme pour le tome 1, l’auteur a consulté de très nombreuses sources. Il mentionne de nouveau, en introduction, l’apport de ses étudiants et les cite à chaque fois que nécessaire, faisant ainsi connaître des mémoires et des thèses dont la plupart n’ont pas été publiés. Ses sources incluent des travaux de chercheurs français dont certains furent des acteurs politiques, au plan national comme au niveau local. L’auteur a puisé largement dans les archives nationales d’outre-mer, dans les archives diplomatiques, dans les archives du service historique de la Défense et à la Bibliothèque nationale de France. Il a également utilisé les lettres du Centre d’Information et de Documentation de l’Inde Francophone (CIDIF) et Mondes et cultures, la revue de l’Académie des sciences d’outre-mer dont il est membre. À l’étranger, il a consulté les archives britanniques et indiennes. En fin d’ouvrage, l’auteur donne une liste fort utile de toutes les archives. Par ailleurs, une bibliographie abondante satisfera les lecteurs avides d’informations complémentaires.
L’auteur nous montre que des auteurs célèbres, français et étrangers, se sont intéressés à l’Inde. Il dévoile le fond de leurs pensées, parfois surprenantes, qu’il utilise, au besoin, pour renforcer sa propre argumentation. Montaigne avant bien d’autres écrivains dénonce la pratique de la satî, sacrifice des veuves sur le bûcher de leur mari. L’abbé Raynal affirme que les Brahmanes ont imposé cette coutume car ils craignaient d’être assassinés par leurs épouses. Voltaire, dans son Précis du Siècle de Louis XV, défend l’hindouisme qui, débarrassé de ses superstitions, reconnaît un seul dieu créateur. Diderot et d’Alembert, eux aussi, considèrent que l’hindouisme, sous des apparences polythéistes, admet un Dieu unique. Montesquieu accepte la polyandrie pratiquée parfois sur la côte de Malabar. Dans son ouvrage Les civilisations de l’Inde, paru en 1887, Gustave Le Bon critique la politique d’assimilation de la France, mentionne l’indifférence voire l’hostilité des hindous à l’égard des Français qui pourtant leur ont accordé le suffrage universel et le respect que ces mêmes hindous portent aux Britanniques.
Au début du tome, d’emblée, l’auteur nous plonge dans la complexité de l’Inde, dans les arcanes de son système de castes, sous-castes, sans castes, avec des interdits de toutes sortes, qui déroutent les Européens. Il précise les spécificités de l’hindouisme à Pondichéry et mentionne d’une part les tentatives de certaines castes de s’élever dans la hiérarchie par l’imitation du modèle brahmanique, processus que le sociologue M. N. Srinivas a appelé sanskritisation et d’autre part le pouvoir de l’argent qui permet de s’affranchir de bien des obstacles.
Décrivant la religion des hindous et leurs us et coutumes, dont certains nous répugnent comme la satî, la fête des crochets et la fête du feu, l’auteur mentionne leur tolérance par les Français, mais en précisant qu’elle leur est imposée par l’intransigeance des hindous arc-boutés dans la défense de leur civilisation. Si les hindous se soumettent aux détenteurs du pouvoir, ils ne renoncent jamais à leur foi. Peu se convertissent au christianisme, davantage rejoignent l’islam. En réalité, les convertis au christianisme et à l’islam conservent certaines pratiques ancestrales. C’est ce qu’affirme l’auteur en nous livrant de très intéressantes pages sur l’influence de l’hindouisme dans ces deux religions.
L’auteur aborde ensuite, de manière chronologique la politique républicaine d’assimilation appliquée aux Établissements français de l’Inde, en distinguant les périodes 1870-1881, 1881-1906, 1906-1914, 1914-1940, 1940-1947, 1948-1952, 1953-1963. La politique politicienne règne en maître, tout particulièrement à Pondichéry même.
Tout en décrivant les conditions de vie précaires des Indiens des comptoirs, l’auteur montre fort bien et dans des analyses très détaillées mais sans lasser le lecteur comment, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les membres des hautes castes, les traditionalistes radicaux hindous, s’arrogent le pouvoir par des moyens frauduleux, les intouchables ne profitant nullement du droit de vote qui leur a été accordé comme à tous. Citoyens français, les Indiens votent mais les élections sont truquées. Dans cette lutte pour le pouvoir, se distingue un personnage machiavélique, brillant, hors du commun, Chanemougam, dont l’auteur dénonce les méfaits de même que ceux de ses complices locaux et métropolitains. La politique d’assimilation est un échec. L’attribution du suffrage universel aboutit à la prédominance du parti conservateur antifrançais.
L’auteur n’oublie pas de décrire les engagements, pendant la Première Guerre mondiale, du contingent britannique indien, dans lequel sont intégrés les quelques centaines de volontaires des comptoirs français. Il mentionne également qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, un millier de Pondichériens ont rejoint les Forces françaises libres.
La période postérieure à l’indépendance de l’Inde se caractérise par des discussions tatillonnes à Paris, imposées par le respect dû à la constitution française et par la crainte de s’engager dans un effilochage de l’empire alors que des combats s’engagent en Indochine. La France retarde la cession de nos territoires à l’Inde. Elle lui remet cependant les loges dès octobre 1947. L’auteur relève à ce sujet une anomalie puisque certaines d’entre elles se trouvent au Pakistan oriental. Mais est-ce vraiment une erreur juridique ? L’auteur ne mentionne pas l’existence de 111 enclaves indiennes au Pakistan oriental. Or, il se peut que les loges cédées soient incluses dans quelques-unes de ces enclaves. Le juriste français cité par l’auteur à propos de la cession des loges, Hugues-Jean de Dianoux qui était membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, n’avait, semble-t-il, pas connaissance de l’existence de ces enclaves.
La France accepte d’organiser un référendum à Chandernagor car la situation est intenable à cause de la force des nationalistes. Il a lieu le 15 juin 1949. Le vote consacre le rattachement à l’Inde à une très large majorité. L’auteur souligne que c’est le seul cas de décolonisation par voie de référendum.
La France veut conserver ses quatre autres territoires. L’auteur ne tarit pas d’éloges sur Nehru, mentionnant son attitude conciliante envers la France qu’il estime et dont il a besoin à l’ONU. Certes, le Premier ministre indien manifeste clairement sa volonté d’intégrer les territoires français dans l’Inde indépendante mais préfère le dialogue à l’emploi de la force. Tel n’est pas l’avis du ministre de l’Intérieur, Patel. Ni des Congressistes locaux, tout particulièrement au Kerala dans lequel est inséré Mahé, qui, faisant fi du concept de non- violence, recourent à l’agressivité contre la France sans en référer à Nehru qui se trouve débordé. Finalement, le Premier ministre indien s’en prend à la France pour ne pas mécontenter l’opposition. Des réseaux de barbelés encerclent Pondichéry et Karikal qui sont par ailleurs privés d’électricité. Yanaon et Mahé subissent des blocus. L’auteur ne condamne pas explicitement Nehru qui a obéi à la raison d’État faisant fi au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est une constante des décolonisations. Il estime que l’engagement du gouvernement indien reste flou. ll loue la loyauté de Nehru qui a maintenu la spécificité des anciens Établissements français. De fait, les anciennes possessions françaises, jamais incorporées dans les provinces où elles sont insérées géographiquement, forment toujours un Territoire de l’Union indienne, jouissant d’une relative autonomie.
L’auteur dresse un sombre tableau des dernières années de nos territoires. Il dénonce la politique incohérente de la France et critique ses dirigeants qui ont abandonné des populations restées fidèles et calmes jusqu’au bout malgré les souffrances endurées. Selon lui, la cession de nos territoires sans consultation des populations constitue une violation de la constitution de la IVe République. À défaut de consultation populaire, l’auteur aurait préféré, comme l’avait suggéré Maurice Schumann, un condominium ou une double nationalité. Une option exclue par l’Inde.
Parmi les œuvres littéraires inspirées par le désengagement de la France, l’auteur retient un roman dont il cite des extraits à plusieurs reprises, celui de M. Mukundan, Sur les rives du fleuve Mahé.
L’accord de cession des Établissements français de l’Inde est conclu le 21 octobre 1954, mais le traité officiel n’est signé que le 28 mai 1956. Il sera ratifié par l’Inde le 30 mai 1956 et par la France seulement le 29 juillet 1962. L’échange des instruments de ratification a lieu le 16 août 1962. L’auteur souligne la patience de Nehru, son acceptation des contraintes imposées par la Constitution française et sa prise en considération de la période difficile traversée par la France.
Au fil des pages apparaissent des noms de responsables des Établissements français de l’Inde. Des éléments biographiques figurent dans les notes de bas de page et dans les illustrations. Certains gouverneurs ne semblent avoir aucune connaissance de l’Inde, d’autres au contraire sont des érudits. La plupart ont exercé des responsabilités importantes dans diverses colonies françaises, passant de l’une à l’autre. Quelques-uns restent peu longtemps en poste. Une annexe mentionnant la liste de tous ces hauts responsables coloniaux serait utile en fin de tome. De même, une liste des ministres de la Marine (en charge des colonies jusqu’en 1894) et des ministres des Colonies (à partir de cette date) indiquant la durée de leur mandat permettrait de mieux comprendre la continuité ou l’absence de continuité de la politique française à l’égard de ses territoires d’outre-mer.
Comme le tome 1, le tome 2, à l’écriture limpide, se lit aisément grâce à des chapitres d’une longueur modérée. Ils abordent des thèmes d’une très grande variété permettant d’avoir une idée globale de ce qu’étaient les Établissements français de l’Inde. La perte des divers comptoirs fait l’objet de chapitres séparés. Libre au lecteur, s’il le souhaite, de faire son choix parmi les thèmes étudiés. La table des matières le lui permet.
(Le résumé de ce tome II ainsi qu’un index et un glossaire sont disponibles sur demande.)