Auteur | T.D. Allman |
Editeur | Classiques Garnier |
Date | 2019 |
Pages | 605 |
Sujets | Floride (États-Unis) Histoire |
Cote | 62.962 |
L’ouvrage sous revue est la traduction de l’original en américain paru en 2013 ou 2014. L’auteur est relativement peu connu en France, si l’on en juge par la très courte bibliographie disponible dans les grandes bibliothèques universitaires, BNF ou autres : en fait, seul cet ouvrage et un ou deux autres, en américain ou en français, y figurent. Sa publication par les « Classiques Garnier » témoigne cependant que cet auteur « mérite le détour ». On rappellera qu’il fut aussi un chroniqueur du « Monde diplomatique ».
Une recherche sur Internet donne des résultats plus abondants. T.D. Allman y est plus connu. Étudiant d’Harvard, docteur d’Oxford, ancien volontaire de la paix au Népal, journaliste et globe-trotter, de l’Alaska au Tibet interdit, du Moyen-Orient à une Amérique latine en guerre, du Laos et renvoyé du Washington Post pour avoir secouru les victimes de massacres au Cambodge, il n’a cessé de reprocher à son pays, souvent durement, « les illusions et les ravages de la politique américaine de Monroe à Reagan » (extrait du titre de l’un de ses livres) dans le vaste monde. Aujourd’hui âgé de près de soixante-quinze ans, il fut également finaliste du National Book Award pour un ouvrage où il était déjà question de la Floride.
On peut donc s’attendre de la part d’un critique sévère mais objectif de son pays à ce que son « Cœur révélateur des États-Unis » soit plus qu’un simple pamphlet.
Son prologue s’intitule d’ailleurs « connaître la Floride, comprendre l’Amérique ». Soit « un prisme » qui le permet. Un prix Nobel de physique, l’un des artisans de la première bombe atomique, Richard Feynman, disait que son père lui avait appris la différence entre « savoir le nom de quelque chose et savoir quelque chose ». Savoir la Floride et pas seulement son nom. L’auteur reviendra dans son épilogue sur ce qu’il pense de ce Feynman.
Le prologue se poursuit : c’est, tout d’abord, savoir l’ambiguïté entre la terre et l’eau mais surtout « …la Floride fournit un vrai miroir de ce que l’Amérique est en train de devenir…révélateur de la condition américaine… ». Et T.D. Allman de poursuivre la voie des crimes depuis les massacres de Blancs par des Blancs en 1565, ceux des Indiens et des Noirs par les Blancs tout au long des siècles suivants. « …la connaissance ou plutôt la méconnaissance qu’a la Floride d’elle-même a toujours été fondée sur des falsifications et des mensonges ». En quoi elle est bien représentative de l’Amérique tout entière. Le ton est donné dès ce prologue : cette Amérique se voit « exceptionnelle », dotée d’un avenir qui explique « le phénomène Donald J. Trump », malgré une violence trop souvent meurtrière dans et hors frontières.
On notera au passage, en incidente, que l’Amérique n’est pas seule dans ce cas. La France éternelle n’a-t-elle pas vocation à éclairer le monde ? Quitte à « mythologiser » ? Mais ce n’est pas ici le vif du sujet.
Le ton est donné, cependant l’ouvrage sous revue est tout sauf un pamphlet qui serait « populiste » ou facile. Il est souvent humoristique, en revanche. D’un humour ironique qui ne se prend pas forcément au sérieux.
Suivent six parties, respectivement intitulées : « Des espèces envahissantes » ; « La Floride convoitée » ; « La tête d’Osceola » ; « L’illusion l’emporte » ; « Inventer le futur » ; « La floridisation de l’Amérique ». Certains de ces titres peuvent paraître mystérieux, d’autres sont plus parlants et vont dans le sens prêté à l’ouvrage : « cœur de l’Amérique » ou représentatif de celle-ci. D’après la 4ème de couverture, cette Floride rendrait « l’Amérique compréhensible ».
Les « espèces envahissantes » sont évidemment celles qui se sont succédé en Floride et plus généralement en Amérique, puisque nous faisons un crochet dans l’Amérique des Incas et des aventuriers européens ou métis d’Amérindiens chercheurs d’or et de trésors. De là, l’on passe à la Floride et ses envahisseurs, y compris les cafards, tous importés d’ailleurs. Non sans massacres féroces, tel celui de 1565 qui vit des centaines de Français périr sous les coups sous l’ordre d’un « courtisan criminel, Menendez (peint par Le Titien). On l’aura compris, dès cette première partie, l’ouvrage de T.D. Allman mixte chroniques et réflexions de fond.
« La Floride convoitée » est une « histoire truquée ». Celle d’une mainmise sans scrupule et sans achat aux Espagnols précédents possesseurs. La chronique déroule les manipulations de divers acteurs de cette mainmise et ce qu’en a réellement dit l’histoire. La convoitise est celle qui fit dire au ministre des affaires étrangères de Monroe que « l’Amérique pourrait devenir le dictateur du monde » si elle se traduisait ainsi sans scrupule et dans le mensonge.
La troisième partie, « La tête d’Osceola », appelle une précision pour le lecteur peu informé de ce que fut ce personnage. D’origine séminole, métissé d’ancêtres probablement blancs, il fut l’un des résistants à la mainmise brutale par les Américains de la Floride, alors que l’histoire officielle et instantanée parlait « d’achat » qui n’avait jamais eu lieu. Il tomba dans un piège à lui tendu par ces Américains, fut assommé et périt au bout de peu de mois de malaria. Curieusement, ce personnage est devenu un héros, même aux yeux des Blancs qui furent ses adversaires.
L’auteur est un peu moins prolixe sur une autre caractéristique de cette Floride, l’un des lieux de l’esclavage de plantation.
Alors que cette Floride était en 1940 l’un des États les moins peuplés d’Amérique, elle était devenue en 2015 le troisième État le plus peuplé des États-Unis. Alors que ses ressources naturelles étaient restées fort minces, pas de pétrole, pas de hauts lieux scientifiques ou intellectuels. Elle « avait le mythe du soleil, de la séduction de la fuite ». Mais elle était aussi la moins éduquée. « C’était aussi un indicateur, en ce début du vingt-et-unième siècle, de ce que l’Amérique était en train de devenir ». Suivent des notations inquiétantes sur le surendettement, le laisser-faire.
Et de noter dans son épilogue : « Une des raisons de la réponse désespérée que l’on donne à ce que l’Amérique est en train de devenir est que, comme la Floride, l’Amérique a désormais un système économique biaisé qui rend les riches plus riches, tout en arnaquant le plus grand nombre ». L’on retrouve ici le globe-trotter, le volontaire de la paix, le chroniqueur du Monde Diplomatique des débuts non pas de carrière mais d’homme engagé. Et de revenir à l’actualité : « Si la Floride est le paradigme du dysfonctionnement national, Donald Trump en est le paladin…Par ses lamentations et son ressentiment, la plus riche et la plus puissante nation de la planète apparaît comme une superpuissance qui pleure comme un bébé ».
Au-delà de cette voie « engagée », ce gros ouvrage (près de 600 pages) est bien documenté, son « appareil critique » l’est également quoique modestement (« Essai bibliographique »).
Le lecteur pourra parcourir cet ouvrage selon les rythmes de la chronique, ou l’approfondir plus méthodiquement. L’auteur de la présente note de lecture a combiné les deux approches, non sans référence à d’autres situations ou mythologies, telles celle signalée au passage à propos de la France. Partie « chroniques », il y a appris pas mal de choses. Partie « de fond », il y a trouvé matières à réflexions sur les différents sens à donner à « l’Histoire ».