L'islam pensé par une femme

Auteur Nayla Tabbara, avec Marie Malzac
Editeur Bayard
Date 2018
Pages 226
Sujets Femmes et islam
Islam

Aspect social
Cote 62.532
Recension rédigée par Christian Lochon


Madame Nayla Tabbara, théologienne musulmane libanaise, est docteure en science des religions de l’École pratique des Hautes Études de Paris. Elle avait été l'élève du Pr. Kamal Salibi à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (p.18) et avait  reçu une bourse Nostra Aetate du Vatican pour étudier la théologie à Rome (p.136). Elle est vice-présidente fondatrice de l'organisation beyrouthine Adyan (Religions) qui prône auprès des jeunes une citoyenneté inclusive de la diversité (p.218).

Dans ce livre, elle souligne combien « le Coran est plus ouvert que nos esprits» comme le montre l'affirmation «il n'y a de dieu que Dieu» qui constitue « le reniement de tous les anthropomorphismes et des réductions de la divinité à la mesure de l'humain» (p.13). La compassion de Dieu pour l'homme apparaît dans les versets VII, 156 «Ma miséricorde s'étend à toute chose» et XL 7 « Notre Seigneur, Tu embrasses toutes choses en Ta miséricorde et Ta science» (p.17). Pour sortir de la crise actuelle «de l'attitude légaliste qui apparaît aujourd'hui comme majoritaire et enferme l'humain dans une immaturité spirituelle» (p.45), il faut activer simultanément au sein de l'islam « les trois pôles de la spiritualité, de la pensée critique et de l'action sociale» (p.34). Si l'on considère le Coran «comme une source d'inspiration pour les musulmans» (p.52), alors , il faut « réclamer notre religion des mains des extrémistes … afin de mieux vivre notre foi en harmonie avec le monde d'aujourd'hui» (p.221) et mettre en place un projet national capable d'inclure toutes les communautés et de leur garantir un égal accès à l'éducation, à l'emploi et au partage du pouvoir et des ressources, en recourant à la contextualisation des versets (p. 116).Pour l'universitaire tunisien Mohamed Charfi, le Coran ne parle ni d’État islamique, ni même d’État (p.187)

Cette égalité, reconnue dans le Coran entre citoyens musulmans et non-musulmans, doit également  être appliquée entre homme et femme. L'auteure rappelle que les versets IX 71 «Les croyants et les croyantes …. commandent le convenable, interdisent le blâmable, accomplissent la salat, acquittent la zakat et obéissant à Allah et à son messager» et XXXIII 35 institutionnalisent cette égalité : « Les musulmans et musulmanes, croyants et croyantes, obéissants et obéissantes … Allah a préparé pour eux un pardon et une énorme récompense» (p.89), que des contemporaines du Prophète possédaient des parties du Coran comme Hafsa, Aîcha, Fatma bent Al Khattab, Umm Waraqa (p.92), que 1500 femmes ont transmis des hadiths (p.94). Aujourd'hui, les féministes musulmanes, à la suite de la Marocaine Asma Lamrabet, médecin qui découvrit la théologie de la libération en Amérique du Sud (p.79) et du premier Congrès des féministes musulmanes de Barcelone en 2005 (p.100), plaident pour l'égalité de l'héritage, que d'ailleurs le Parlement tunisien a octroyé en 2017, ainsi que l'autorisation du mariage entre une musulmane et un non-musulman (p. 116). Le 18 mars 2005, Amina Wadoud avait guidé pour la première fois la prière dans la cathédrale Saint-Jean de New-York (p.129)

Le réformateur égyptien Mohamed Abdo, qui fut Recteur de l'Université d'Al Azhar, montra dès le début du XXe siècle, l'erreur d'interprétation des Salafistes en les comparant à ces contemporains du Prophète, évoqués dans la sourate Luqman, XXXI 21: «Suivez ce que Dieu a fait descendre; ils disent: nous suivons plutôt ce sur quoi nous avons trouvé nos ancêtres». Or, commente-t-il, l'ancienneté n'est pas un signe de connaissance et le contemporain est supérieur à l'ancêtre par sa connaissance du passé et sa capacité à l’analyser» (p.43). Les salafistes wahhabites, dont certains deviennent des moudjahidin (p.192) vont créer un État islamique sans femmes (p.129), destructeur de bibliothèques (p. 148), instituant un nouvel ordre social où les miliciens étrangers sont privilégiés (p.157) et les citoyens suspects (p.173), enseignant aux «lionceaux du Califat» (p.221) l'insensibilisation à la violence et l'apprentissage à la cruauté (décapitation des «infidèles» (kouffar) par des enfants!), ouvrant des marchés d'esclaves (yézidis) dans le campus universitaire de Mossoul (p.233). Malheureusement, «une lecture patriarcale de la religion a confié la direction de la religion aux hommes en marginalisant les femmes, les enfants et toutes les catégories que le Coran était venu pourtant défendre». (p.9). Ainsi, la recommandation dans un but d'action sociale «Enjoindre le bien, et prohiber le mal» a été détournée vers des pratiques uniquement légalistes, prohibant des pratiques vestimentaires ou culinaires (p.50). Cette Sunna est puisée surtout dans les hadiths (p.62) sacralisés (p.102) alors qu'ils ont été produits deux siècles après la mort du Prophète, dont la biographie ou Sira a été rédigée 150 ans plus tard par Ibn Ishaq, décédé en 767 puis par Ibn Hishâm décédé en en 833 (p.63). Les actes intolérables de Daech ont ainsi poussé beaucoup de Musulmans à décréter l'inexistence de Dieu ou Son indifférence (p.22).

Madame Tabbara cite les penseurs modernistes musulmans comme le Sud-Africain Farid Esack (p.49,207, 209) théologien de la libération, le Pakistanais Fazlur Rahman (p.57) qui recommande  de comprendre le Coran comme un Tout et de revenir à son contexte, l’Égyptien Nasr Abou Zeyd (p.120) qui explique que les «limites de Dieu» (Hudud Allah) sont un appel à respecter les droits des groupes spéciaux marginalisés. Les quatre Déclarations fondamentales d'Al Azhar (p.199) de 2011, 2012, 2014, 2017, condamnent les milices confessionnelles et recommandent l'établissement d'un régime politique qui soit un système de gouvernement civil établi par des citoyens musulmans et non-musulmans comme l'ont fait la Déclaration des Maqassed de Beyrouth (2015) ou celle de Marrakech en 2016.

L'auteure évoque également son expérience du handicap auprès de l'Arche dont elle a retenu que «nous sommes tous fragiles de manière inhérente» (p.165), par sa collaboration dans le dialogue islamo-chrétien avec le Père Fadi Daou dans le cadre de Adyan (p. 139) et avec lequel elle a écrit un très beau témoignage d'entente cordiale islamo-chrétienne, L'hospitalité divine (Münster, Lit Verlag 2014).

De même que l’Évangile est un livre de fraternité, on s'aperçoit dans L'islam pensé par une femme, que le Coran l'est aussi.