Rive orientale de l'Arabie : hommes et espaces au début de l'islam

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur étudie l’histoire de la Péninsule omanaise en tenant compte des déterminants naturels mer et désert, de la réalité tribale et des vicissitudes de l’époque afin d’estimer la place de la région dans le Dar al Islâm. Le premier axe de ce travail porte sur les caractéristiques géographiques de la rive occidentale du Golfe Arabo-Persique (p.14), le deuxième axe examine la vie politique et les différents mouvements de contestation dans la région et le troisième est essentiellement économique portant sur les réseaux caravaniers et maritimes, les produits et les centres d’activités, le rôle des tribus et l’influence de la structure bédouine sur l’économie saharienne (p.15).

Sila région du Bahrayn se caractérise par une absence presque totale de sources livresques, la Péninsule omanaise offre par contre un corpus littéraire et juridico-religieux important de la part d’oulémas ibadites, de Kharijites et de Chiites, qui se démarquaient de la majorité sunnite dans le domaine du fiqh (p.23).  Parmi ces sources, l’ouvrage le plus consulté est celui d’Izkawi, qui disposait d’une bibliothèque importante et qui dans son Kafsh el jumaa relate les évènements de la Création jusqu’à l’année 1744 (p.33). Les géographes Al Yaqubi, Ibn Hauqal, Al Muqadassi, Al Bakri, Al Idrissi n’ont eu aucun rapport, séjour ou voyage, avec cette région (p.34) contrairement à Masoudi qui l’a parcourue. De même trente traités nautiques, dont ceux d’Ibn Mâgid, ont été utilisés par les navigants et les commerçants autour de la Péninsule arabique (p.39). L’auteur a recouru également aux œuvres d’Al Waqidi et d’Al Kûfi (p.40), aux biographies d’Al Baghdâdi, d’Al Asqalani, aux Statuts Gouvernementaux d’Al Mawardi (p.41), aux traités de Hisba relatifs aux devoirs des musulmans (p.42), aux œuvres poétiques (p.44), à l’apport de l’archéologie comme dans les villes d’Al Qusûr au Koweït ou Manah en Oman (p. 51) et aux données épigraphiques et numismatiques (p.53).

Durant l’époque préislamique, l’Arabie du Sud a vécu dans l’orbite des grandes civilisations de Sumer, de l’Égypte et de la vallée de l’Indus. Des populations venues de Chine, de l’Inde, de la Mésopotamie et de l’Afrique Orientale s’y installèrent (p.82) et exploitèrent le cuivre, matière première de la métallurgie de l’époque (p.84). Magan, aujourd’hui Oman et Dilmoun devenu Bahrayn furent des centres d’échanges et d’entrepôts de marchandises (p.85). La migration massive des tribus du sud vers le nord-est après la destruction de la digue de Mareb, survenue à la fin du Ier siècle, avait marqué l’histoire de la Péninsule arabique (p.104). Ces régions à partir de 226 furent soumises aux empires iraniens parthe puis sassanide (p.90) dont la capitale était Ctésiphon (p.94). A l’arrivée des musulmans, l’enchevêtrement de la géographie et de la religion apparait dans le pèlerinage qui doit tenir compte de la séparation par un désert de l’Arabie orientale et de l’Arabie occidentale (p.100). Après les grandes conquêtes, la société musulmane se divise entre une élite dirigeante et une masse bédouine marginalisée (p.162). Le Bédouin demeurera chez les dirigeants le refoulé de la vie citadine, issu de la jahiliya, incompatible avec des institutions étatiques (p.175). La Péninsule comptait également parmi ses habitants des Mazdéens, des chrétiens nestoriens (p.112) des juifs (p.108) et qui le demeureront en payant la jizya (p.110). En 1688, le voyageur E. Kaemfer signalera la présence de communautés juive et chrétienne à Mascate (p.116).

L’adoption de l’islam, compromis entre les chefs de tribus garantissant des réseaux d’échanges entre la région côtière sous domination sassanide et l’arrière-pays tourné vers la Péninsule arabique (p.120), ne peut être comprise qu’en référence aux enjeux politiques, tribaux et économiques (p.122). La question fiscale d’ailleurs suscitera d’autres révoltes tribales (p.134) comme celles menées contre les Sassanides (p.142). L’unité tribale restreinte fut remplacée progressivement par l’appartenance à l’Umma (p170). Néanmoins plusieurs courants minoritaires se réfugièrent dans des régions particulières du Bahrayn et de l’Oman comme le kharijisme (p.166) qui, au fil des années, éclatera en plusieurs branches de la plus modérée à la plus extrémiste (p.164). Quant aux Ibadites, disciples du fondateur présumé de la secte, Abdallah Ibn Ibâd (p.186), ils se rapprochèrent des mutazilites (p.188). Les chefs ibadites profitant du chaos précédant la chute des Omeyyades (750) quitteront le Hadramaout pour se concentrer en Oman (P.192). Leurs imams appartiendront aux tribus Azd, Yahmed, Kinda, Kharûs dont les membres demeureront loyaux et solidaires, fondement de l’idéologie ibadite (p.195). L’ibadisme représente ainsi la transposition d’un système socio-tribal dans le domaine religieux (p.196). Si le pouvoir des imams ibadites a toujours été menacé par les représentants du pouvoir exécutif et les militaires qui gardaient les frontières instables (p.202), la doctrine ibadite qui prêche la défense des opprimés, a été bien accueillie par les bédouins (p.210) qui s’achemineront ainsi vers une structure politique de tribalisme d’État (p.211). Ils participeront à la protection des convois vers les marchés locaux (p.268), du fait aussi que par nécessité, les marchands étaient en liaison avec les Bédouins (p.274). De leur côté, à la mort du sixième Imam Jaafar, en 765, les chiites duodécimains transmettent l’imamat à son fils cadet Moussa al Kazem, mais certains d’entre eux privilégient de le conserver au bénéfice du fils ainé Ismaïl disparu mais en état d’occultation, d’où leur nom d’Ismaéliens (p.211). Ils choisissent la ville syrienne de Salamīyah pour y installer leur centre religieux et politique (p.212). Certains fonderont le Mouvement Qarmate créé dans la région de Koufa par un Ismaélien Hamdân Qarmat en 874 (p.213) et qui conduira à la création d’un État regroupant des Bédouins et des Perses non convertis à l’islam (p.215). Les Qarmates vont s’emparer de Basra en 922, de La Mecque en 930 où ils enlèvent la pierre noire de la Kaaba (p.219). Ils domineront l’Oman jusqu’en 1076 (p.308) sans pouvoir réunir dans un État fort les tribus locales fractionnées (p.230).

 

Dans cette région de l’Oman, en partie inhospitalière, se succèdent de l’ouest vers l’est, la zone littorale du Golfe, les dunes de sable, une chaîne de montagnes et ses piémonts puis une longue plaine côtière coupée par des vallées (p.64). Les étendues désertiques ou barriya y sont infranchissables et dépeuplées (p.67). Les toponymes Ramla, Rumayla décrivent l’aridité des sols, voire les sables mouvants (p.68). Le littoral est bordé par des relais insulaires comme l’île de Qatar qui fut peuplée de chrétiens, ou celle de Kharik, renommée pour ses perles (p.71). Les géographes classiques décrivent Suhâr, capitale de l’Oman, Nizwa à l’intérieur du pays, fief traditionnel de l’ibadisme (p.76) et Al Ahsa entourée d’une ceinture de palmiers et dotée d’une richesse hydraulique abondante (p.79). Les habitants y développèrent un système de canalisations souterraines connues comme falag qui permit la culture de dattes, de luzerne, de légumes, d’agrumes, l’élevage de bovins (p.80). Parfois, les puits creusés jusqu’à 45 mètres, sont les seules sources d’irrigation pour les palmeraies (p.235), les activités agricoles, réglant la disposition des habitats et le mode de vie des populations (p.236). Le palmier demeure l’arbre béni fournissant les fruits, et même une boisson alcoolisée, le bois de chauffage ou pour la construction des huttes (p.247). L’élevage des chameaux, des chevaux et du bétail, servant de dot à la mariée, assurent la civilisation matérielle et même le luxe et le prestige (p.258). La métallurgie du fer est pratiquée dans la région depuis l’antiquité (p.261). Les fouilles archéologiques ont mis au jour des céramiques d’usage quotidien comme les récipients, les jarres de stockage (p.262). Le secteur textile reposait sur la laine (p.263). Le tannage très répandu est cité dans les textes juridiques ibadites (p.365).

Les ports furent l’objet de la convoitise des tribus dont les chefs devinrent vassaux des États voisins (p.17). Les musulmans, à leur tour s’orientant vers le monde perse, créeront une flotte de guerre spécialisée (p.148) car, en contrôlant les voies maritimes, ils affaiblissaient leurs adversaires byzantins (p.149). La richesse de la langue arabe en termes maritimes, ses emprunts à la langue persane dans ce domaine (bandar port,nakhouda, capitaine) montrent l’importance de la navigation dans cette région. Les habitants développèrent un savoir-faire technique tout en important de l’Inde les matières premières comme le bois. Al Mas’udi en 956 souligne la grande expérience des marins omanais (p.290). Dans la région du Golfe, la pêche des perles est une des principales sources de revenus et Mas’udi vante aussi les techniques de respiration des plongeurs omanais (p.296). Les poissons et autres ressources de la mer constituent une part majeure de l’alimentation des riverains (p.301) et du commerce du poisson séché (p.302). A Suhâr, qui sera connu comme « le vestibule de la Chine » aux IXe et Xe siècles, on viendra chercher les produits précieux de l’Arabie, l’encens, l’aloès et la myrrhe (p.316). Les Imams ibadites y auront assuré la sécurité côtière en investissant dans la construction d’un arsenal naval (p.318).

L’auteur montre dans ce livre qu’à la notion de Oumma exploitée par l’orthodoxie sunnite, la tribu répondit dans ces régions par un esprit d’indépendance de groupe tribal, ‘asabiyya et par la mission religieuse, da’wa, qui s’imposèrent comme force de résistance à l’extérieur et comme force fédératrice à l’intérieur.

Le lecteur appréciera la qualité de la bibliographie en arabe, en français, en anglais, en italien (p.331 à 363) et l’utilité de l’index des personnes et des tribus (p.365 à 373).