Auteur | Bertrand Mathieu |
Editeur | Lavauzelle |
Date | 2025 |
Pages | 191 |
Sujets | Mathieu, Camille (1894-1945) Militaires français Tunisie 1900 -1945 Biographie |
Cote | 69.699 |
Voici un livre au titre accrocheur et au contenu prometteur : la biographie d’un militaire français, mobilisé en 1914 et blessé, puis nommé dans le sud tunisien où il servit de longues années, puis muté dans le nord de la France, et enfin de nouveau mobilisé lors de la seconde guerre mondiale. Si ce n’est pas un destin exceptionnel, la vie de cet officier n’en est pas moins remarquable, premièrement en elle-même (vu les nombreuses aventures) et aussi car elle exprime d’une certaine manière les expériences de nombreux soldats de l’armée française, pris entre deux guerres et plongés pour certains dans une aventure coloniale exaltante mais finissante.
Le livre est remarquablement bien écrit : aucune faute, ni de frappe ni de langue, ce qui est positivement étonnant, et il faut savoir gré à l’auteur comme à l’éditeur d’avoir attaché tant de soin à la qualité de la langue française. De surcroît, l’auteur insère dans son texte des termes techniques arabes, des locutions latines, des mots en usage dans la troupe et autres ornements linguistiques qui font voyager le lecteur, surpris, confondu ou admiratif, selon les passages du livre. Tout ce lexique est en tout cas très instructif, d’autant que ces mots exogènes peuvent être considérés comme des passerelles entre cultures et mentalités. Car une fois assimilés, ils montrent clairement la diversité de notre identité et appellent donc à l’ouverture d’esprit, non au conflit, qui occupe pourtant une place importante dans cette narration (les deux guerres mondiales). Heureusement, l’aventure tunisienne comporte des aspects pacifiques (reconnaissance du territoire, sécurisation de l’espace, etc.), même si des Tunisiens patriotes pourraient penser que la présence française fut loin d’être désirée.
Outre l’agrémentation lexicologique évoquée, le livre comporte de belles illustrations, un glossaire, bref tout ce qui sied à une publication soignée et digne de ce nom, magnifique édifice historique que renforcent de nombreuses références littéraires. L’auteur, docteur ès lettres ayant à son actif plusieurs publications dont les dernières s’intéressent particulièrement aux mémoires de guerre, a mis de longues années à assembler la documentation (officielle et familiale) permettant la rédaction de ce livre. C’est dire qu’il n’a point écrit dans la précipitation et n’a donc nullement succombé aux exhortations d’un quelconque génie spéculateur poussant à produire vite pour satisfaire le marché de l’édition.
Le protagoniste, le capitaine (puis enfin commandant) Cam, c’est-à-dire Camille Mathieu, que l’auteur ne va pas jusqu’à qualifier de héros uniquement par respect pour tous les autres soldats auxquels il ne s’intéresse que de manière périphérique dans son ouvrage (exercice oblige !), est originaire de la Haute-Loire. Les vicissitudes de l’existence, et surtout la guerre, vont le conduire dans le grand sud tunisien, là où il donnera probablement le meilleur de lui-même pendant de longues années. Le lecteur voyage donc, du centre de la France au front de l’est, puis en Afrique du nord, et de nouveau dans le nord, contre l’Allemagne nazie. C’est un voyage dans le temps et l’espace, à travers événements mondiaux, mais aussi sous la forme d’un accompagnement familier de cet officier singulier, dans sa vie professionnelle autant que personnelle. On ne peut soutenir que le capitaine Cam incarne toute l’armée, voire une partie de celle-ci, mais à travers son destin, l’armée française n’est plus une simple structure car elle prend de la consistance, très humaine, et l’aventure de la patrie gagne en substance, surtout émotionnelle. Le lecteur est donc plongé dans l’histoire, qui peut effrayer, mais aussi la psychologie, qui elle crée de l’empathie.
Mobilisé à vingt ans dans l’armée, Camille participe à la terrible épreuve de la première guerre mondiale, est blessé puis affecté aux affaires indigènes, selon la terminologie de l’époque. C’est une nouvelle vie qui commence, sous le diminutif de Cam. C’est en Tunisie qu’il découvre un nouveau monde, un empire colonial qui ne va pas tarder à s’effriter. Militaire, administrateur, explorateur, il se découvre aussi lui-même, dans la solitude d’immenses espaces désertiques qu’il apprivoise. Les anecdotes sur sa vie de méhariste sont nombreuses et passionnantes. Jusqu’au moment où il est affecté en France, à la veille du second conflit mondial, au 14e régiment de zouaves, ce qui lui permet de renouer avec ses années passées sous le soleil et la chaleur, comme dans le grand froid de la nuit saharienne. Malgré des faits d’armes, son unité subit la débâcle. Il se retrouve alors interné dans le nord de l’Allemagne, dans un camp de prisonniers (Oflag), jusqu’au moment funeste où, triste ironie du sort, un bombardement anglais lui arrache par erreur la vie. L’auteur rappelle, non sans créer de l’émotion chez le lecteur, que la Royal Air Force ayant réalisé sa fatale bévue, elle largue des couronnes mortuaires au-dessus du camp pour les officiers français tués.
Ainsi se déroula la vie trop courte de cet officier, non exceptionnel certes, mais tout de même très singulier, qui fut apprécié de ses soldats et camarades, métropolitains et coloniaux, en France comme en Tunisie. Apparemment, les seules (mais rares) réprimandes de sa carrière émanèrent d’officiers supérieurs peu satisfaits de sa manière décontractée (mais néanmoins rigoureuse) de gérer les affaires. Cela ne fait que renforcer l’admiration du lecteur pour cet homme simple et dévoué.