Diplômé de Sciences-Po de Paris, énarque, administrateur du Sénat, passé par le Parti radical de gauche, de 2012 à 2017, Benoît Quennedey a présidé l'association d'amitié franco-coréenne d'avril 2017 à novembre 2018[1]. Ayant effectué huit voyages en Corée du Nord, de 2005 à 2018, il est mis en examen cette même année, parce que soupçonné d'espionnage pour le compte de la Corée du Nord. Il bénéficie d'un non-lieu en 2022, mais est mis à la retraite anticipée un an plus tard. Souffrant d'un biais évident en faveur de la Corée du Nord, son ouvrage offre cependant d'utiles informations sur un pays à l'économie particulièrement mal connue. Ces informations concernent notamment la période des deux premiers dirigeants Kim Il-Sung (1912-1994) et Kim Jong-Il (1941-2011). Comme le rappelle l'auteur dans son introduction, le manque de statistiques officielles a rendu difficiles les études sur le pays obligeant à faire appel aux évaluations sud-coréennes et anglo-saxonnes, en particulier pour opérer des comparaisons avec la Corée du Sud, la Chine et le Viêt-Nam.
Le chapitre 1 (p. 15-40) fournit un « Aperçu historique du développement économique de la République populaire démocratique de Corée ». Les données quantitatives abondent de 1945 à 1990, montrant une croissance continue de 1953 à 1990, mais manquent après 1990. En 1945, la Corée du Nord apparaissait comme une économie semi industrialisée, beaucoup plus que le Sud. La priorité y est donnée par Kim Il-Sung et ces partisans à la construction d'une économie nationale. Des réformes sont très vite mises en place. La confiscation des terres des Japonais, des traîtres et des gros propriétaires fonciers permet, en 1946 une réforme agraire radicale. La même année, plus de 90% des établissements industriels sont nationalisés. Puis le pays s'engage dans la voie de la planification, avec un plan triennal (1947-48, 1949-50), donnant la priorité à la reconstruction des industries détruites par les Japonais, à l'essor de l'agriculture et des transports et à la mise en place d'une infrastructure industrielle.
Après la terrible guerre de Corée, de 1950 à 1953, le plan de reconstruction du 5 août 1953 ouvre la voie à une période de croissance, marquée par la succession de deux plans quinquennaux (1953-1957, 1957-1961), le lancement du mouvement Cheollina (émulation entre équipes d’ouvriers), la mise en place de fermes coopératives modèles, puis la généralisation des coopératives de production dans l'agriculture, mais aussi l'industrie. Celle-ci se développe rapidement (premier camion NC, locomotive Drapeau rouge). De 1961 à 1970, la production industrielle augmente de +12,8% par an en moyenne et la Corée du Nord se dote de la quatrième sidérurgie d'Asie (après le Japon, la Chine et l'Inde). Durant les deux premiers plans septennaux (1961-1968, prolongé de deux ans, puis 1971-76), l'industrie se diversifie (électrification des campagnes, développement des industries de biens de consommation, mais aussi du raffinage pétrolier et de la production de machines-outils).
À partir de 1975, la croissance nord-coréenne ralentit. Le pays manque de capitaux pour moderniser ses infrastructures industrielles, tandis que les aléas climatiques freinent l'essor agricole. En 1988, la situation économique apparaît contrastée : si l'indépendance alimentaire semble quasiment atteinte et si l'industrie textile est devenue un moteur de la croissance, le secteur minier souffre de son manque de compétitivité technologique et le pays ne parvient pas à faire face aux charges de sa dette extérieure. Pourtant les plans successifs, notamment de 1985 à 1993, ont permis de moderniser et d'accroître la capacité sidérurgique et d'équiper le pays en barrages-écluses favorisant la navigation et, même, de créer de nouveaux quartiers résidentiels à Pyongyang.
La situation se retourne brutalement dans les années 1990, en raison de la chute des échanges avec l'URSS, puis la Russie, la disparition des démocraties populaires est-européennes, la mise en péril d'un équilibre alimentaire fragile par les graves inondations de 1995 et 1996, suivi d'une sécheresse sévère. Le désastre écologique est amplifié par la pénurie de pétrole importé d’URSS, puis de Russie et la destruction de la couverture forestière par suite d'un recours excessif au charbon de bois. Entre 1990 et 1998, les taux de croissance de l'économie sont toujours négatifs, tandis que les pénuries alimentaires contraignent à faire appel à l'aide internationale (Programme alimentaire mondial, UNICEF). Face à l'ampleur de la crise, les autorités doivent tolérer l'essor des marchés paysans et du recours aux engrais naturels.
À partir de 1999, l'économie nord-coréenne commence à se rétablir (+2 à 3% de croissance annuelle du PIB), mais elle reste très dépendante des aléas climatiques, d'où la rechute des années 2009 et 2010. En 1998, la constitution du pays est révisée pour permettre les profits privés « légaux ». Puis, en 2002, le pays adopte des mesures plus radicales : dévaluation du won nord-coréen à l'extérieur et accroissement des échanges monétaires à l'intérieur, renforcement de l'autonomie des entreprises, appel aux investisseurs étrangers, priorité accordée aux nouvelles technologies (machines à commande numérique, reprise de la construction et des travaux d'urbanisme, création d'un nouvel aéroport international).
Des années 2010, la Corée du Nord apparaît comme un pays industrialisé (48,2% du PIB en 2010, y compris la construction, contre 20,8% pour l'agriculture, les forêts et la pêche et 31% pour les services, chapitre 2 « Panorama économique actuel de la République démocratique de Corée », p 41-64). Néanmoins, même si les estimations internationales diffèrent (Banque nationale de Corée du Sud, CIA), il est clair qu’à cette date, le pays n'a pas récupéré le recul des années 1990. Au début des années 2010, la consommation d'électricité par habitant se compare en gros à celle de la Tunisie. Si l'espérance de vie et le taux de mortalité infantile semblent se situer dans la moyenne mondiale, le pays est doté d'infrastructures médiocres (routes, oléoducs), sauf en matière ferroviaire, avec pour vitrine le métro de Pyongyang.
Toujours dépendant du Programme alimentaire mondial, le pays souffre d'un grave déficit en céréales, de l'insuffisance de ces productions bovine et porcine, de sa pêche, le bois demeurant sa principale ressource d'exportation, mais son apport reste limité par la consommation massive de charbon de bois. Vingtième producteur mondial de charbon (anthracite, lignite), mais sa production fléchit depuis 2008, d'où l'importante croissance de l'hydroélectricité et de l'éolien, mais aussi l'appel à la Chine pour exploiter les réserves nationales d'hydrocarbures. La Corée du Nord en revanche est riche en minéraux (surtout fer et cuivre, mais aussi terres rares et magnésite). L'industrie nord-coréenne produit de l'acier, mais en quantité assez faible, du zinc, des engrais chimiques et du ciment. Si la production automobile est anecdotique, le textile demeure un axe fort (production de vinalon, alternative au nylon) ainsi que la production de bière, un des rares produits industriels d'exportation. La Corée du Nord s'est récemment positionnée dans la nouvelle technologie de l'information, notamment la fabrication de logiciels et la réputation de ses hackers n'est plus à faire.
Quelle est « la situation de la Corée du Nord dans l'économie internationale au début des années 2010 » (chapitre 3, p. 65-106) ? Au 1er juillet 2002, le gouvernement nord-coréen a pris des mesures en vue d'encourager les investissements étrangers. Elles viennent s'ajouter à celles prises, dès 1984, visant à encourager la construction de joint-ventures. Il s'agissait de créer des zones économiques spéciales, à commencer par celle de Rajin-Sonbung, mise en place, en fait, dès 1992, dans la ville de Rason, à la frontière de la Chine et de la Russie, mais réellement active à partir de 2006, de constituer une banque de développement (Korean Taepung International Investment Group, 2010), de promouvoir les foires de commerce international de Pyongyang (2000) et de Rason (2011). C'est dans cette perspective qu'il convient de replacer l'impact des sanctions occidentales adoptées en octobre 2006 (création du Comité des sanctions du Conseil de sécurité par la résolution 1718), renforcées en juin 2009 et appliquées avec rigueur par les États-Unis et le Japon. Elles sont venues contrarier la politique du « Rayon de Soleil », mise en œuvre en Corée du Sud par Kim Dae-Jong, puis Roh Moo-Hyun Président de Corée du Sud entre 1998 et 2008, visant à préparer la réunification de la péninsule à travers des investissements industriels (Hyundai, Daewoo, Samsung Electronics, etc.) et un allégement des obstacles réglementaires à la circulation.
Mais leur impact a été plus limité sur la Chine qui partage une culture commune avec la Corée du Nord, combat en Mandchourie contre le Japon jusqu'en 1945, minorité coréenne du Jilin). Même si les sanctions ont conduit à la suspension de plusieurs projets communs, les entreprises chinoises se sont beaucoup intéressées à la Corée du Nord : China Tonghua Iron Steal (mine de cuivre de Musan, la plus grande d'Asie à ciel ouvert), Tangshan Iron and Steel Company (sidérurgie), China Iron and Steel Group (molybdène), China Minerals (charbon), etc. Il en va de même pour la Russie, intéressée par la construction de gazoducs (rencontre Kim Jung-Il et Dimitri Medvedev d’août 2011) et l'exploitation de voies de chemin de fer, notamment depuis Rason (« route ferroviaire de la soie »). La Corée du Nord a cependant su attirer des capitaux étrangers (l'égyptien Orascom dans l'industrie cimentière, Johny Hour de Hong Kong, Chosun Development Fund anglo-saxon).
Ces capitaux s’orientent de façon privilégiée vers les zones économiques spéciales. Elle bénéficie à celle de Kaesung, inaugurée en 2004 et gérée par la filiale Hyundai Asan du groupe Hyundai. Exonérée de droits de douane, elle attire, dès 2010, 43.500 ouvriers et 800 cadres sud-coréens. Outre Rajin-Soubong, les autres zones économiques spéciales concernent les complexes touristiques des monts Kumgang, fermés dès 2008, Sinuiju sur le fleuve Yalu à la frontière sino-nord-coréenne, et, non loin de là, celles des îles Hwanggumphyong et Wihwa. À l'inverse, la Corée du Nord investit aussi à l'étranger, notamment dans les constructions (Proche-Orient, Namibie, Afrique du Sud), le bois et l'industrie et même la restauration (nouilles froides). Mais la Corée du Nord doit faire face à une lourde dette publique extérieure (70% du PIB national dès 2010), majoritairement due à la Russie et aux anciennes démocraties populaires. En effet, ayant procédé à des achats massifs de biens d'équipement et de technologie, le pays a été déclaré en déficit de paiement en 1980 sauf pour les prêts dus au Japon.
Dans les années 2000, le commerce nord-coréen a connu une progression significative, jusqu'à dépasser son record historique de 1989. Son déficit commercial structurel est constitué à la fois par un recours limité à l'emprunt, par les investissements étrangers, l'aide bilatérale et multilatérale, les transferts des Nord-coréens depuis l'étranger et les ventes d'armes. Ce commerce est dominé, encore aujourd'hui, par la Chine qui importe du charbon, des minerais et des produits agricoles. En contrepartie, elle vend des produits pétroliers ainsi que de grandes quantités de biens d'équipement.
Toujours dans les années 2000 et 2010, la Corée du Sud est le second partenaire commercial de son homologue du Nord, grâce notamment à la zone intercoréenne de Kaesong. Néanmoins les échanges entre les deux pays ont subi un net fléchissement à partir de 2008 et l'accession au pouvoir en Corée du Nord du président Lee Myung-Bak. Ce déclin a profité à la Russie, principal fournisseur d'hydrocarbures au régime de Pyongyang.
Cette montée en puissance de la Russie, on le sait a été consacrée par la signature en juin 2024, d'un partenariat stratégique entre la Corée du Nord et la Russie, mais aussi l'annonce par Kim Jong-Un de la fin de la politique de réconciliation entre les deux Corée[2]. Le rapprochement avec la Russie vise à l'obtention par Pyongyang d’une aide financière, alimentaire et pétrolière accrue ainsi que d'une assistance technique à la réalisation du programme balistique nord-coréen.
Elle traduit aussi, du côté des dirigeants de République démocratique de Corée (du Nord), la préoccupation de continuer de mener un jeu de bascule entre la Chine et la Russie, notamment afin de relancer la croissance économique (+3,1% de croissance du PIB en 2023 selon les sources internationales).
[1] Créée en 1969, cette association a pour but de stimuler les échanges entre la France et la Corée du Nord et de promouvoir la réunification de la péninsule coréenne.
[2] Philippe Pons, « Corée du Nord », le Bilan du Monde. Édition 2025, le Monde hors-série, p. 190-191.