Auteur | Gilles Kepel |
Editeur | Plon |
Date | 2024 |
Pages | 198 |
Sujets | Massacres du 7 octobre 2023 (Israël) Guerre de Gaza (2023-) Conflit israélo-arabe 1993-.... Israël 1993-.... Gaza, Bande de (Palestine) 2005-.... |
Cote | 68.852 |
L’auteur fait allusion dans le titre aux deux holocaustes qui incarnent la malédiction de la Terre Sainte depuis l’automne 2023, la razzia pogromiste du Hamas du 7 octobre suivie de l’hécatombe de Gaza provoquée par les bombardements de l’armée israélienne (p.9). Ainsi, l’agressé, victime d’un pogrom devint en quelques semaines l’agresseur pour les habitants des quartiers populaires du « Sud global » et pour les étudiants du prestigieux campus d’Harvard. (p.37). D’autre part, les acteurs de la tragédie, que cristallise l’affrontement sur la Terre Sainte des religions abrahamiques, s’expriment en des termes qui mêlent théologie et politique (p.12).
Du côté israélien, Netanyahu, responsable du drame du 7 septembre pour avoir dégarni les troupes de la frontière de Gaza pour les redéployer en Cisjordanie comme l’exigeait l’extrême-droite, s’est lancé dans une opération massive de destruction dans la bande de Gaza où il joue son propre avenir autant que celui d’Israël (p.77). Il est soutenu par les Haredim, Ultra conservateurs, qui représentent actuellement 20% de la population juive et sans doute 35% en 2040 (p.84), tandis que le Bloc des Fidèles, Goush Emounim, activistes militants dans les colonies de Judée-Samarie, (p.87) contribuent à la parcellisation en peau de léopard de la Cisjordanie (p.88). Au Parlement, les 32 députés du Loukoud et les 32 traditionalistes juifs constituent la courte majorité du Premier Ministre (p.85). Netanyahu essaya aussi de limiter les pouvoirs de la Cour Suprême en lui retirant le droit d’annuler une décision du gouvernement mais ce projet fut invalidé le 1er janvier 2024 (p.75). La poursuite de la guerre, malgré les réticences des Services de Renseignements, scelle un pacte de sang avec les alliés suprémacistes et religieux (p.198).
L’armée israélienne est constituée de 169.000 combattants et de 465.000 réservistes non volontaires (p.74). Elle dispose de Services de Renseignements d’une haute technicité qui ont permis l’élimination ciblée des ennemis d’Israël en Syrie, Irak, Iran, au Liban, prêtant moins le flanc à la critique mondiale que les massacres indifférenciés commis à Gaza (p.98). Le 25 décembre 2023, Tsahal élimine à Damas le général iranien Razi Moussavi, le No 2 du Hamas Salah Al Arouri ainsi que 6 commandants militaires. Le 2 janvier 2024, sont tués à distance Wissam Hassan Tawil, chef de la Force d’élite Radwan du Hezbollah et Hassan Akasha, commandant militaire du Hamas en Syrie.
La population palestinienne en Israël se monte à 23, 5% de la population (p.82) tandis que les colons israéliens au nombre de 100.000 en Cisjordanie en 1993, sont devenus en 2023, 500.000 (p.69). Le budget de l’UNRWA qui employait 15.000 agents atteignait en 2022 1,2 milliards $. Israël qui soupçonne que 10% d’entre eux appartiennent au Hamas, en a dentifié 12 parmi les tueurs du 7 octobre (p.193). Le Hamas, Mouvement de la Révolution islamique (1987), est issu du Centre Islamique palestinien, créé en 1973 par le Cheikh frériste Ahmed Yassine lequel sera tué en 2004 (p.55) ; son disciple Yahya Sinwar conquiert le pouvoir avec ses brigades Ezzedine Kassem sur le modèle iranien des Gardiens de la Révolution (p.49). Le Qatar a subventionné le Hamas à un montant de 40 millions $ mensuels transmis par Israël achetant ainsi la paix sociale (p.52). Le Président égyptien qui a renversé le Président frériste Morsi en 2013 se méfie du Hamas mais conserve une relation qui lui permet de servir de médiateur entre Israël et Washington en cas de besoin (p.59). Le Jihad islamique palestinien a été créé par Fathi Shqaqi, Palestinien également frériste exécuté par le Mossad en 1995 (p.57). Un désaccord entre la branche armée à Gaza et le Bureau politique du Hamas à Doha représente un pas vers l’ouverture de négociations (p.179).
Dans la région, au Liban, Nasrallah, simple chef de parti, soutenu par l’Iran, en avait remontré aux gouvernements arabes sunnites par sa capacité à infliger à l’État hébreu des pertes élevées (p.40). Au Yémen, les Ansar Allah par leur antiwahhabisme ont reçu l’appui enthousiaste de Téhéran qui les pourvoit en drones faisant baisser de 20% (p.111) le trafic maritime Mer Rouge-canal de Suez (p.44) mais sans s’attaquer aux navires chinois qui livrent le pétrole iranien à Pékin (p.167). Doha, qui abrite le Bureau Politique du Hamas, se place désormais au centre du jeu géopolitique régional (p.130) d’autant plus que Tel Aviv avait ouvert dans cette ville depuis les années 1990 un Bureau commercial (p.133) et que Doha et Riyadh ont repris une relation bilatérale apaisée depuis 2021. Néanmoins, les États membres de la Ligue arabe et de l’O.C.I. réunis à Riyadh en novembre 2023, en condamnant l’agression israélienne contre Gaza, n’ont pas adopté une décision collective d’intervention (p.114). 6 États arabes avaient reconnu Israël, et l’Arabie le ferait sous condition de la création de deux États, israélien et palestinien (p.139). Elle est la seule instance capable d’investir dans la reconstruction des infrastructures palestiniennes. (p.174).
Le gouvernement des Mollahs iranien réagit par la répression impitoyable des revendications féminines avec l’assassinat de Mahsa Amini le 16 septembre 2022 et des protestataires sunnites baloutches dans le sud-est du pays (p.108). Le président Erdogan, nourri de l’idéologie frériste, a pris ses distances avec le Hamas depuis l’effondrement de la monnaie turque, ayant besoin de l’aide financière des pétromonarchies hostiles au frérisme (60). En mars 2023, le Président israélien Herzog était accueilli à Ankara et Erdogan déclarait en septembre 2023 à New York que « la Turquie peut collaborer avec Israël pour la technologie et la cybersécurité » (p.121). Ankara mise aussi sur une triple-entente « fréro-chiite », incluant Doha et Téhéran et qui défie Riyadh (p.127).
Dans le Sud global, l’espace numérique permet de créer un djihadisme d’atmosphère où des individus formatés par leur addiction aux réseaux sociaux idoines peuvent passer à l’acte en dépit de la liquidation d’Al Qaïda et de Daech (p.32). Si les États-Unis et l’Europe ne parviennent pas à instaurer un État palestinien, ils subiront une défaite stratégique face à l’axe illibéral et antioccidental sino russe que symbolisent désormais les BRICS (p.182).
En Amérique, l’offensive menée à Gaza apparait contreproductive aux sept millions de Juifs américains puisque l’hécatombe des victimes palestiniennes et le déplacement de deux millions d’habitants n’aura pas permis d’anéantir le Hamas. Les établissements d’enseignement supérieur, par une idéologie wokiste et décolonisable se sont dressés contre la réaction israélienne (p.21) et ont révélé les contradictions de la relation entre les États-Unis, l’État hébreu et le Moyen-Orient (p.103).
G. Kepel, critiquant la substitution de l’idéologie à la connaissance (p.15), analyse la stratégie scientifique d’infiltration de l’idéologie frériste au plus haut niveau de l’U.E. comme du Conseil de l’Europe (p.190).
Le lecteur appréciera les 8 cartes régionales inédites de Fabrice Balanche insérées entre les pages 88 et 89.