L'égarement : l'islamisme au coeur de l'Océan Indien

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


Dans son précédent ouvrage publié en décembre 2022 intitulé « Des complots aux Comores : une stratégie politique au cœur de l’Océan indien », l’auteur analysait les luttes d’influence qui prévalaient aux Comores depuis le XIIe siècle. La période contemporaine était abordée en relatant les péripéties qui ont émaillé la vie politique du nouvel État depuis l’indépendance en 1975, notamment le rôle prégnant joué par Bob Denard et ses mercenaires.

Dans son nouvel opus, l’Ambassadeur Thoueybat Saïd Omar-Hilali, ancienne représentante des Comores à l’UNESCO, juriste, politologue et linguiste, petite fille du dernier sultan des Comores Saïd Ali bin sultan Saïd Omar, revient en détail, dans la première moitié du nouvel ouvrage, sur la vie politique de son pays, puis dans la seconde, elle élargit son champ d’investigation à toute la zone de l’Océan indien.

La partie intitulée : ‘Comores : une politique nouvelle rattrapée par de vieux démons’ reflète bien le parcours chaotique et presque romanesque de l’archipel depuis l’éviction des mercenaires lors de l’opération Azalée déclenchée par l’armée française en décembre 1995. 

Toutes les péripéties de l’avènement au pouvoir de Mohamed Taki, de l’intermède d’union nationale à la déstabilisation institutionnalisée, sont relatées par le menu. On y voit s’activer les réseaux encore vivaces de la Françafrique, la concurrence entre les décideurs français et même la réapparition d’anciens mercenaires de Bob Denard, et de son fils Eric. La crise sécessionniste d’Anjouan de 1997 aggrava encore davantage les tensions internes et la désintégration de l’archipel ; si bien que d’autres acteurs que la France, concernée par la question de Mayotte, entrèrent en action afin de résoudre cette question épineuse. Parmi eux, l’OUA et des chefs d’États africains comme Nelson Mandela tentèrent, sans grand succès, de jouer les conciliateurs. Mais c’est surtout le rôle de mouvements radicaux musulmans, soutenus opportunément par des États, bien souvent considérés comme « voyous » par les USA qui compliquèrent encore un peu plus les chances pour les Comores de se consolider.

La seconde partie de l’étude est consacrée à la géopolitique de l’Océan indien, envisagée à partir du cas des Comores, et non pas à travers le prisme des puissances, grandes et moyennes, qui poussent leurs pions sur l’échiquier régional.

L’auteur a individualisé plusieurs influences étrangères qui représentent potentiellement et à des degrés divers un danger pour les Comores dont la situation géographique constitue un enjeu stratégique.

L’influence arabe, par sa langue et sa religion : l’islam sunnite, est sans doute la plus ancienne, de par les liens que l’archipel a entretenus de longue date avec Oman, Zanzibar et Mombasa. Depuis 1973, l’Arabie saoudite puis la Libye du colonel Kadhafi qui se rêvait en héritier de politique arabe de Gamal Abdel-Nasser s’intéressèrent à leur tour aux Comores. Les Mollahs en Iran, les Talibans en Afghanistan puis Omar el-Bechir au Soudan ont contribué à l’éclosion de formations terroristes qui ont clivé le monde arabe et l’ont conduit à une concurrence exacerbée dans des régions stratégiquement clefs comme les Comores. Elles ont d’ailleurs dû faire face à un choix difficile en 2017, lors de la crise qui a secoué le Golfe arabe à cause de tensions créées entre l’Arabie saoudite et la Turquie. Or ces deux États étaient et demeurent des partenaires importants des Comores.

Madame Thoueybat Saïd Omar-Hilali termine son tour d’horizon des puissances qui courtisent assidument les Comores par la Chine ; celle-ci aspirant à devenir la première puissance mondiale. A ce titre, elle ne pouvait se désintéresser de l’archipel, tant sa situation géographique sur la route maritime du Cap est importante pour elle.

Le dernier chapitre de l’ouvrage n’est pas vraiment optimiste puisqu’il est intitulé « Les péripéties de la déstructuration ». Il reprend tous les maux qui frappent les Comores et dont ses dirigeants sont comptables auxquels il convient d’ajouter les influences étrangères qui contribuent à la dislocation de l’archipel au plan économique, de la gouvernance et de la division entre les Comoriens eux-mêmes.

Deux phrases tirées de l’épilogue résument à elles seules le sentiment de l’auteur : « Le diable qui divise trouve toujours les raisons de son existence, par sa proximité des populations les plus vulnérables, maintenues dans l’ignorance et la précarité causées par les égarements et les hésitations des gouvernants » et plus loin : « L’opposition géographique particulière de l’archipel est stratégique certes, mais son territoire exigu le rend encore plus vulnérable par tant de convoitise ».

Au terme de ce compte-rendu trop rapide, compte tenu de la richesse des thèmes abordés, il est manifeste que cet ouvrage, comme le précédent d’ailleurs, fera date. L’Ambassadeur Thoueybat Saïd Omar-Hilali ne s’est pas contenté de reprendre des sources déjà publiés et qui pèchent parfois par méconnaissance du terrain. Du début jusqu’à la fin des 600 pages, sa connaissance fine des évènements, des populations, des gouvernants tant comoriens qu’étrangers, ainsi que des équilibres mondiaux, lui a permis de poser les bons diagnostics sur les maux qui gangrènent son pays. Compte tenu de ses prestigieux ascendants et des fonctions qu’elle a occupées, l’auteur a pendant quasiment toute sa vie, été un acteur puis un observateur privilégié de tout ce qui de près ou de loin a concerné les Comores.

Tant le géopoliticien que l’africaniste, même avertis, découvriront des aspects inédits concernant cette partie du monde en proie à une instabilité chronique au plan intérieur et à la croisée des ambitions des puissances étrangères.