Amo i te utu'a = porter sa peine

Recension rédigée par Pierre Lang


Ce livre est tiré d’une enquête commanditée par la « Mission des services pénitentiaires pour l’outre-mer », enquête réalisée en 2019.

Il s’agissait de répondre aux questions suivantes :

·         Quelle est la pertinence d’une prise en charge spécifique pour les populations autochtones en Polynésie française,

·        Jusqu’où une prison façonnée sur le modèle métropolitain doit-elle prendre en compte les réalités sociales, culturelles et linguistiques locales pour mieux remplir sa mission ?

·         Quels éléments doivent, le cas échéant, être pris en compte par une politique d’adaptation à ces réalités ?

L’enquête de terrain a été menée sous forme d’entretiens et d’observations dans les deux principales prisons de Tahiti, à savoir Nuutania (prison ancienne et vieillotte) et Tahiti-Papeari (prison moderne et récente). Elle a été conduite auprès de trois types de publics : les détenus, leurs proches et les surveillants.

Ce livre comporte quatre chapitres :

·         Le premier, intitulé « Entre les murs, un ordre carcéral original » vise à étudier ce qui fait l’originalité de la Polynésie française. Y sont abordés des thèmes relatifs à la spécificité des détenus, la typologie des crimes et délits ayant justifié la détention, le type de relations entre les détenus et entre ceux-ci et les surveillants, dans l’optique du fait que sur les îles « tout le monde se connait ».

·         Le deuxième, « Je suis en détention », livre ce que les détenus ont à dire de la manière dont ils vivent la réclusion inhérente à la privation de liberté et s’interroge sur la portée des améliorations à la condition des détenus entre l’ancienne prison, Nuutania, et la nouvelle, Tahiti-Papeari.

·         Le troisième « Derrière le numéro d’écrou » a pour objet de présenter les caractéristiques générales de la population pénale polynésienne et d’entrer dans la complexité de certains cas individuels. De très nombreux exemples y sont présentés.

·         Enfin, le quatrième, « Les langues en prison : un malentendu persistant ». Alors que le français est la langue officielle, l’usage d’une langue polynésienne par la quasi-totalité des détenus prolonge une incompréhension qui a sa source dès le processus aval, l’instruction du procès, et se poursuit lors de la détention. Même si le tahitien est connu de la plupart, la variété des langues selon les archipels et l’usage de dialectes propres à de nombreuses îles ne facilitent pas la compréhension, alors que l’usage de la langue française n’a commencé à se généraliser qu’avec l’implantation du Centre d’expérimentation nucléaire du Pacifique dans les années 1960.

En conclusion, il s’avère qu’en Polynésie française, la prison concentre des individus auteurs de crimes et de délits comme partout, mais dans ce cas, ils sont eux-mêmes victimes très majoritairement d’exclusion, de marginalisation et de vulnérabilités. Par ailleurs, ils sont confrontés à un fossé culturel entre eux et les administrations judiciaire et pénitentiaire qui ne s’arrange pas.

La société polynésienne, fragilisée par des ondes de choc successives constituées par la colonisation, les essais nucléaires, les crises économiques et l’arrivée des drogues dures a-t-elle le système pénitentiaire le mieux adapté ? La question mérite d’être posée et nécessite des études très poussées.

Les auteurs :

Marie Salaün est anthropologue, professeure à l'université Paris Cité. Elle travaille depuis 2010 en collaboration avec ses collègues de l'université de la Polynésie française, Jacques Vernaudon et Mirose Paia. Elle a contribué à différentes recherches locales sur l'enseignement

des langues polynésiennes aujourd'hui, le changement linguistique, le décrochage scolaire, l'histoire de la scolarisation pendant la période coloniale ainsi que l'histoire et l’actualité de la Prison à Tahiti.

Jacques Vernaudon est linguiste, maître de conférences à l'université de la Polynésie française depuis 2013, après avoir enseigné en Nouvelle-Calédonie pendant douze ans. Ses travaux s'articulent autour de deux axes complémentaires. Le premier est consacré à la description de langues océaniennes : des langues kanakes de Nouvelle-Calédonie (plus particulièrement le drehu et le nengone) et des langues polynésiennes de Polynésie française. Le second axe concerne la pratique et la transmission de ces langues dans des contextes plurilingues.

Avis du recenseur :

Ce livre, nourri par une très abondante bibliographie, est intéressant car il apporte un regard original sur la détention en Polynésie française. C’est un miroir de cette société contemporaine et de sa violence structurelle. Il met en exergue certaines particularités polynésiennes comme l'empathie des surveillants envers les détenus, la solidarité polynésienne, malgré une violence latente et des risques. On peut noter, en les trouvant pesantes à l’occasion car elles éloignent du sujet principal, les références nombreuses et appuyées à des travaux antérieurs similaires conduits dans les prisons métropolitaines, notamment les travaux d’autres sociologues comme Michel Foucault, Gilles Chantraine, Michèle Perrot et Claude Faugeron parmi d’autres.