Géopolitique du Hezbollah

Auteur Christophe Ayad
Editeur PUF
Date 2024
Pages 204
Sujets Hezbollah
Géopolitique

Moyen-Orient

1970-....
Cote 68.540
Recension rédigée par Christian Lochon


Christophe Ayad, grand reporter au Monde, couvre le Proche-Orient depuis deux décennies. Son dernier ouvrage décrit d’abord la naissance du Hezbollah. En 1975, Moussa Sadr fonde « Afwaj alMuqawama Allubnanya », acronyme « Amal » ou « Forces de la Résistance libanaise » (p.19), que dirige après lui, en 1978, Nabih Berri, avocat, favorable à un compromis avec Israël (p.19) mais Amal est contesté par un autre mouvement chiite, le Hezbollah, né dans la région de Baalbek et qui va s’étendre dans la banlieue sud de Beyrouth puis dans la région sud du pays en 1985, aux dépens des communistes. La force du Hezbollah naît de la conjonction entre l’invasion israélienne du Liban en 1982, la révolution islamique iranienne de 1979 et la montée en puissance de la communauté chiite libanaise à partir de 1960 (p.11). Le Hezbollah a combattu l’occupant israélien mais aussi d’autres factions libanaises comme les communistes (p.13) et les partisans d’Amal(p.24).

En 1989, la Syrie lui permet de conserver ses armes lourdes (p.24). Depuis 1992, la réconciliation avec Amal semble persister (p.48). L’obligation religieuse y est absolue (p.44). En 1985, le Hezbollah par une Lettre ouverte aux opprimés dans le monde avait proclamé son adhésion au Wilayat al faqih ou « Suprématie du clergé »(p.23). Rallié à l’Iran, à la martyrologie chiite (p.12), il perçoit l’impôt religieux « khoms » recueilli au nom de l’Ayatollah Khamenei (p.29), proclamé par Hassan Nasrallah comme le Guide Spirituel ou « Marja » en 1995 (p.78).

Hassan Nasrallah est né en 1960 dans la banlieue est de la capitale. De 1976 à 1978, il étudie à Najaf puis à Baalbek. En 1982, les Pasdaran le forment et en 1985, il dirige le bataillon Basiq à Beyrouth : en 1992, il succède à 31 ans à Abbas Moussawi comme Secrétaire Général (p.49). En 1990, le retrait israélien du Sud-Liban avait marqué la consécration de Nasrallah (p.50). En 2006, la nouvelle guerre avec Israël lui redonne une stature régionale (p.51). Ainsi, en 2024, peut-il transformer la guerre de Gaza en un conflit international. Égal d’un Chef d’État, il bénéficie de l’aura d’un chef de guerre (p.9). La force militaire du Hezbollah, devenue supérieure à celle de l’armée libanaise (p.62),dispose de 50.000 hommes et de 2000 drones utilisés depuis 2004 (p.150). Cette milice est également utilisée contre les autres citoyens libanais comme en 2005, pour l’assassinat de Rafic Hariri ; le Tribunal spécial pour le Liban en novembre 2005 incriminera trois membres du Hezbollah (p.57 et 62). En 2008, le Hezbollah investit militairement le bastion sunnite de Beyrouth-Ouest dans un bras de fer avec le Courant du Futur de Saad Hariri (p.14).

En 2019, la répression du soulèvement démocratique lui a fait perdre son image de mouvement révolutionnaire (p.68) ; il a fait exécuter également des journalistes dont Lokman Slim, Samir Kassir (p.69). Le Hezbollah participe pour la première fois en 1992 aux élections et obtient 12 sièges de députés (p.49). Lorsque la Justice enquête sur son implication dans l’explosion du port de Beyrouth en 2020 (p.62), il la met en échec : ses forces de sécurité dictent leurs directives à la Sécurité libanaise (p.61). Le Hezbollah est imité par d’autres au Moyen-Orient (p.11). Sur le plan de la communication, il dispose de Radio Al Nour (1988), de la télévision Al Manar (1991) diffusant des journaux télévisés en anglais et en français, du quotidien Al Akhbar, qui, tous, témoignent du professionnalisme de ce Parti (p.33). Le Hezbollah a bâti son réseau caritatif, celui de l’État libanais étant défaillant et corrompu (p.27). Il fournit des emplois seulement aux membres mais s’occupe de tous les prisonniers libanais en Israël (p.28). En 2006, la reconstruction des quartiers détruits par Israël à Beyrouth a été très rapide (p.29). Les sources d’économie souterraine proviennent de l’Iran (200 millions $ annuels ?), destinées à l’armement (p.30), du trafic international de la drogue et des médicaments ainsi que des fonds de la diaspora (p.82).

Sur le plan international, depuis l’envoi en juin 1992 d’un corps de pasdaran dans la Bekaa par l’ambassadeur iranien à Beyrouth pour former les combattants libanais (p.22) après l’invasion israélienne, le Hezbollah protège les intérêts stratégiques de Téhéran (p.84) et lui sert de sous-traitant dans le monde arabe ; en Irak les milices chiites ressemblent au Hezbollah au point que l’une s’appelle « Les Brigades du Hezbollah. Depuis 2013, le Hezbollah soutient officiellement le régime syrien de Bachar Al Assad (p.14). Quand la relation Iran-Hezbollah est consubstantielle, celle reliant l’Iran à la Syrie est circonstancielle (p.86) d’autant plus que la forte dominante alaouite est assez éloignée du chiisme duodécimain iranien (p.87), mais Nasrallah, plus âgé de cinq ans que le Président Bachar exerce sur ce dernier une fascination avérée (p.90). Le régime syrien est devenu l’obligé du Hezbollah (p.93) comme de la Russie. Au Yémen, Badreddine Houthi, leader de la tribu zaïdite houthie du Nord Yémen, réfugié au Liban en 1994, y rencontre le Hezbollah. En 2014, les Houthis invertissent Sanaa puis 80% du Yémen utile, avec des cadres hezbollahis ; Al Hadi et son gouvernement fuient à Aden ; les envahisseurs saoudiens sont battus et demandent la paix en 2019 (p.109). En 2023, les Houthis menacent le trafic commercial maritime qui emprunte le Canal de Suez, soit 12% du trafic mondial (p.104).

Israël et le Hezbollah se sont battus sans discontinuer de 1983 à 2000, puis en 2006 et actuellement depuis octobre 2023 ; l’arsenal du Hezbollah est une menace permanente sur l’avenir d’Israël (p.116). En 1982, l’opération « Paix en Galilée » avait eu pour objectif de chasser l’OLP du Liban. En juillet 2006, réagissant à l’enlèvement de militaires israéliens par le Hezbollah, Tel Aviv déclenche une guerre de 33 jours qui détruit de nombreuses infrastructures dans tout le Liban. La non-victoire d’Israël deviendra la victoire du Hezbollah mais le Liban aura payé un prix trop élevé (p.132).

Depuis longtemps, le Hezbollah développe une présence active en Europe, où il a procédé à des attentats en Allemagne, en Bulgarie, en liaison avec l’Iran (p.171). En 2013, l’Union Européenne classe la branche militaire du Hezbollah comme terroriste (p.155). L’attentat du Drakkar tua à Beyrouth, en 1983, 58 soldats français (p.163). Des journalistes, diplomates, chercheurs français, dont Michel Seurat qui sera tué, sont enlevés par le Hezbollah au cours des années suivantes (p.164). En 2011, l’éclatement de la Révolution syrienne fait se tendre à nouveau les relations entre le Hezbollah et Paris. En 2020, le Président Macron en visite au Liban dira : « Le Hezbollah doit montrer que le Hezbollah respecte tous les Libanais. Il a clairement démontré le contraire » (p.169). En ce qui concerne les États-Unis, en 1983, l’attentat du Hezbollah contre l’ambassade américaine à Beyrouth avait tué 63 personnes puis un autre attentat à Beyrouth 241 marines dans leur Q.G. beyrouthin ; en 1984, nouvel attentat contre une annexe de l’ambassade américaine faisant 24 morts (p.160.). En 2017, Trump annule l’accord irano-américain nucléaire et avec Israël, l’Arabie Saoudite, réprime les réseaux de financement du Hezbollah notamment dans le trafic de captagon.

L’actuelle guerre de Gaza multiplie les affrontements entre les miliciens de l’Iran, Hezbollah, Houthis, Irakiens et les États-Unis (p.161). En Amérique latine, où la diaspora libanaise est également conséquente, le Hezbollah est installé sur les frontières entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay (p.186). Avec l’Iran, le Hezbollah a procédé à des attentats contre l’Ambassade d’Israël à Buenos-Aires en 1994 (p.188) ou au Panama la même année (p.190). Depuis 2019, l’Argentine, le Paraguay, le Honduras, la Colombie, le Guatemala ont interdit les activités du Hezbollah (p.192). Ce Parti a des ramifications dans le monde entier (p.169). Ses réseaux en Afrique s’appuient sur la diaspora chiite en Afrique de l’Ouest. Son trafic de drogue venue d’Amérique latine transite par le narco-État de Guinée-Bissau pour son acheminement en Europe par de petits avions (p.183). Des activités criminelles du Hezbollah ont eu lieu en Indonésie en 1988, en Azerbaïdjan en 2008 et même en Turquie en 2009 (p.195). La Chine sert au Hezbollah de blanchiment et de fourniture en composants électroniques pour des engins explosifs (p.180).

L’auteur nous aura fait constater que, sur le plan mondial, le Hezbollah participe à la perte de l’influence occidentale dans le monde, surtout depuis le début de la guerre d’Ukraine (p.180) et que pour le Liban, la question essentielle demeure ce que veut faire le Hezbollah de son pays d’origine (p.200).
Le lecteur appréciera les cartes spécifiques disposées dans chaque chapitre (p.35, 81 ; 95 ; 111, 126) et une bibliographie française et anglaise récente (p.201).