Auteur | Régis Koetschet |
Editeur | Nevicata |
Date | 2023 |
Pages | 82 |
Sujets | Moeurs et coutumes Afghanistan Identité collective Afghanistan Conditions sociales Afghanistan |
Cote | In-12 2667 (MSS) |
En 2021, l’auteur avait montré sa profonde connaissance de ce pays dans son ouvrage Diplomate dans l’Orient en crise, Jérusalem et Kaboul, 2002-2008 (Maisonneuve et Larose 2021) comme nous l’avions souligné à l’époque dans ces colonnes. Dans ce nouvel essai, c’est un Afghanistan d’une profonde culture, lié depuis un siècle avec notre pays, que tient à nous présenter Monsieur R. Koetschet à l’opposé de ce que nous apprenons chaque jour sur ce pays dévasté qu’ont déjà fui des dizaines de milliers de ses habitants. D’ailleurs, une visite au Musée Guimet confirmera les propos de l’ancien ambassadeur à Kaboul de 2005 à 2008.
Alfred Foucher ouvrit la légation française à Kaboul en 1923 et négocia la concession du privilège des fouilles archéologiques accordée à la Délégation archéologique français en Afghanistan, dont les grandes figures ont été Joseph Hakin avec son épouse Ria et Daniel Schlumberger (p.187). Suivit la création des lycées franco-afghans, Esteqlal pour garçons et Malalai pour filles ainsi que l’hôpital Ali Abad (p.114). Les missions hors Kaboul étaient un bonheur en dépit des conditions de route et d’hébergement spartiates (p.239).
Le dernier ambassadeur arrivé en novembre 2018 revêt en sortant de l’avion un gilet pare-balles de 8 kg et un casque balistique (p.231). Il devait filmer son départ précipité pour attester sa position. Quelques minutes après le décollage, les talibans mettaient la base à sac (p.241). Victime d’un accident suicide en 2001, inhumé dans sa chère vallée du Panjchir (p.14), Ahmed Chah Massoud avait confié en 2001 au Ministre des Affaires Etrangères Hubert Védrine « Vous ne vous rendez pas compte de la menace que font peser les talibans sur l’Occident » (p.86). 90 soldats français furent tués dans le cadre de l’engagement de nos forces au service de la sécurité (p.18). En 2013, le chroniqueur radio Raphaël Krafft rappela dans son Captain Teacher une radio communautaire en Afghanistan que Radio Surobi ouverte à l’intention des Légionnaires en mission en Afghanistan avait développé des relations positives avec les Afghans, présentant des concours de poésie et des récits de vie (p.105).
L’Afghanistan est une destination prisée des écrivains voyageurs (p.187). Jules Verne dans son Histoire des grands voyages et des grands voyageurs évoquera l’Afghanistan. Ce livre traduit par Mahmoud Tarzi, beau-père du Roi Amanullah, sera imprimé à Kaboul et lu avec intérêt à la Cour (p.43). Les Antémémoires de Malraux, « le passeur d’Afghanistan » rappellent son arrivée dans ce pays en provenance de Tachkent en juillet1930 ; il découvre avec Clara, Kaboul, Ghazni, Djalalabad et la passe de Khyber. L’Afghanistan occupe une place significative dans ses Ecrits sur l’Art et Les Voix du Silence. Malraux, comme Hackin avant lui, rapproche les photos du Sourire de Reims et d’une tête du Gandhara (p.24). Joseph Kessel (mort en 1979) a rédigé avec un soin infini ses Cavaliers, œuvre testamentaire et offrande à l’Afghanistan qui eut en 1967 un immense succès de librairie. Kessel avait été séduit par l’égalité qui régnait dans les maisons de thé tchaïkhana où le voyageur exténué était accueilli de façon réconfortante (p.170). André Velter produisit avec l’INA, France Culture et la SCAM une longue émission qui sera éditée sous la forme de 3 CD et d’un livret appelés C’était l’Afghanistan avant 1978, portrait d’un pays perdu (p.205). Cédric Bannel, énarque, haut fonctionnaire de l’État, se consacrera à la littérature d’espionnage après avoir été conforté par un lectorat fidèle aux enquêtes du « Quomandann Oussama Kandar » (p.56). Le succès des polars afghans impressionne avec Les lions du Panshir » de Ken Follett en 1986 ou Le Filière afghane de Pierre Pouchairet en 2015 qui fut attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Kaboul (p.60). Renaud Girard, chroniqueur énarque, aura eu dans son Retour à Peshawar (Grasset 2010) la double intuition de ce qui arrivera en 2021 en écrivant : « l’engagement massif et irénique de l’Occident fut une erreur et un départ précipité en serait une aussi, sans doute plus grave » (p.73). Gérard Chaliand est un ami de la cause afghane et l’on se souvient de son Rapport sur la Résistance afghane paru en 1981 (p.96).
La photogénie de l’Afghanistan et des Afghans a contribué à construire une image de légende. La beauté, les combats et les souffrances des Afghans se sont confrontés aux objectifs des plus grands photographes (p.66). Dans le contexte actuel où hommes et animaux sont exposés en Afghanistan à une violence sans fin, les trois lévriers afghans successifs de Picasso, peints et photographiés par Brassaî ou Man Ray, inspirèrent les écrivains surréalistes, le Hongrois Tibor Tardo et les Français Guy Debord et Camille Bourniquel, directeur littéraire de la revue Esprit (p.52). Dans son album, Au Royaume des Insoumis, le photographe Pascal Manoukian est aussi romancier. On se rappellera de sa remarque « l’invasion de l’Afghanistan a enfanté une génération de journalistes ». De 1979 à 2001, on retiendra des photos iconiques, celle du Commandant Massoud rencontrant Raymond Depardon que filme Christophe de Ponfilly dans la vallée du Panjshir et que photographie Reza mais aussi l’horreur de l’exécution sommaire d’une femme lapidée au stade de Kaboul par les talibans (p.213). En 2022, Reza organisa à Paris une exposition intitulée Le rire des amants, une épopée afghane autour de textes de Majrouh et de photos d’Afghans exilés (p.221).
Le patrimoine afghan est cher à tous. La destruction, le 11 mars 2001 des grands Bouddhas de Bamiyan a consterné le monde. Florence Aubenas a raconté qu’en janvier 2002, une Afghane hazara lui avait dit sur ce site : « Les bouddhas sont morts comme des hommes ; nous vivons comme des pierres » (p.157). En 2016, la fondation ALIPH, Alliance Internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit, est créée, disposant d’un siège à Genève et de subventions des Émirats et de la France. Elle interviendra dans 22 pays dont l’Afghanistan qui recevra l’aide à la réhabilitation d’une douzaine de projets dont le minaret de Djam (p.137). La conservatrice Sophie Makariou décrit dans son Partage d’Orient « les scènes terrifiantes où, en 1996, seront brisées et enterrées dans des fosses communes des centaines de pièces provenant du Musée de Kaboul ». Les seuls objets mis à jour dans les fouilles du monastère bouddhique du Fondukistan ont été conservés au Musée Guimet où l’enfant André Malraux aura vécu ses premiers émois. Ainsi, une grande intimité existe entre le Musée Guimet et l’Afghanistan, portée par Joseph Hakin, René Grousset, J.F.Jarrige (p.155).
L’évocation du poète et philosophe Bahodine Majrouh, poète assassiné à Peshawar en 1988, nous émeut ; il avait écrit dans Ego Monstre « Cette cité est celle de Tyrannopolis. Rien ne doit subsister de la parole spontanée. Seule importe la langue qui se masque, celle qui voile et revoile tout en sorte que le mensonge soit décrété vérité et l’erreur exactitude » (p.102). Atiq Rahimi, né en 1962 reçut le Prix Goncourt en 2008 pour Syngué Sabour, Pierre de Patience, dont il fit un film (p.13). L’historien afghan S.Q. Reshtia remarque que les Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks et Hazara, partagent une même culture, l’esprit d’indépendance, la notion d’égalité, l’hospitalité et le respect des ainés (p.120). Leili Anvar a publié une anthologie des poétesses afghanes Le Cri des femmes afghanes. La lecture de ces poèmes est bouleversante et fait émerger une réalité cachée, intime et interdite (p.182).
Fondée en 1980, l’AFRANE, Association d’amitié franco-afghane qui développe des projets éducatifs et culturels publie une revue quadri annuelle depuis 40 ans Les Nouvelles d’Afghanistan dont les chroniques ont été reprises par l’auteur (p.10). Son vice-président et fondateur Étienne Gille exprime avec regret que « les décennies de guerre, l’exode rural, la pauvreté endémique, la criminalité envahissante font craindre que les digues sociales lâchent les unes après les autres » (p.121). Ainsi, le pachtounwali ou code d’honneur pachtoune qui rend obligatoire l’hospitalité est en contradiction avec les prises d’otages dont sont victimes les étrangers en visite dans le pays (p.64).
Pendant une dizaine d’années près de 500 volontaires de Médecins sans frontières vont sous la responsabilité de Francis Carhon, Gérard Kohour puis de Juliette Fournat, participer à sauver des vies. Leur quotidien en équilibre instable entre vie et mort qui mit à l’épreuve leur engagement pérenne suscite notre admiration (p129).
En conclusion de son ouvrage, l’ambassadeur Régis Koetschet a préféré en toute modestie que le lecteur prenne connaissance des impressions de deux intellectuels afghans, le Prix Goncourt Atiq Rahiml et Nagib Manalai, alors conseiller du Ministre de l’Information qui s’exprimaient devant le public du Centre Culturel français de Kaboul le 9 février 2007.
On retiendra du premier : « L’Afghanistan répond à un imaginaire français nourri par la rencontre d’Alexandre puis par le mariage gréco-bouddhique du Gandhara. Une fascination mais aussi une spiritualité » (p.246). M.Manalai se réjouit de « l’exposition archéologique au Musée Guimet sur les trésors retrouvés qui va permettre de montrer un autre visage de l’Afghanistan » (p.252). De l’auteur une émouvante confidence : « le diplomate français en poste à Kaboul est le légataire d’une histoire intense et intime » définit la profondeur des rapports séculaires franco-afghans (p.257).