France Iran : le temps des fascinations. Tome I : XIXe siècle

Recension rédigée par Christian Lochon


Jean-Claude Voisin, ancien directeur de l’Institut Français de Téhéran, coordinateur de l’ouvrage, a demandé à six spécialistes iraniens et un français, de dresser les influences qui se sont exercées durant plusieurs siècles dans les deux sens, entre l’Iran et la France. Le lecteur sera surpris de les découvrir.

Tout d’abord, après la signature du traité de Niavaran en 1847, la fondation de l’École Polytechnique Dar el Funun en 1850 par le Premier Ministre réformateur Amir Kabir développera les échanges scientifiques et techniques (p.115).

Les premiers médecins français en Iran avaient été des religieux, le Carme François Angelus, en 1667, le capucin Damian au XVIIIe siècle médecin personnel de Nader Shah, le Jésuite Bazin à Kerman. Parmi les formateurs militaires français envoyés en Iran en 1838, des médecins militaires luttent contre les épidémies. Le chirurgien Léon Labat devient médecin de Mohamed Shah (p.286). Nasser Al Din Shah reçoit en 1858 le Dr Joseph-Désiré Tholozan, professeur agrégé au Val de Grâce et le nomme directeur du département médical de Dar al Funun. Ce dernier enverra un premier groupe de 42 de ses étudiants se spécialiser en France (p.289). Le Dr Feuvrier exercera également à Téhéran de 1889 à 1893 (p.294). L’Institut Pasteur y sera créé en 1920 (p.313).

Dans le domaine de l’architecture, les bâtiments officiels construits après les voyages de Nasser Al Din Shah seront édifiés dans le style néoclassique français avec de grands couloirs et des escaliers ouverts sur l’extérieur (p 335). Des étudiants architectes de Dar Al Funun sont envoyés en France en 1857 comme Mirza Mehdi Khan qui restera huit ans à Paris.

De nombreuses relations de voyages à la fin du XVIIe siècle sont consacrées à la Perse parmi lesquels celles du botaniste Thévenot, du bijoutier Chardin, du négociant Tavernier (p.243). Au XIXe siècle, la plupart des responsables français de l’archéologie agissant sur le sol iranien étaient passés par l’Égypte comme Pascal Coste, Marcel Dieulafoy dirigeant en Perse en 1884 des travaux d’irrigation dans la région de Suse et son épouse Jane qui entreprennent des fouilles, Jacques de Morgan qui leur succèdera en 1897 (p.248). Ces deux dernières missions, facilités par l’intervention du Dr Tholozan auprès du Shah enrichiront les collections du Louvre (p.272). Ces recherches auront fait connaître au monde la civilisation élamite et le code d’Hammourabi (p.256). Le Traité franco-persan de 1895 accorde à la France « le privilège des fouilles à exécuter » (p.277). Au XXe siècle, André Godard (1881-1965) sera le fondateur des Services iraniens de l’archéologie, du Musée national des Antiquités et de l’École des Beaux-Arts de Téhéran (p.362).

Des ingénieurs français installeront l’éclairage au gaz de Téhéran et des raffineries de sucre dans le Guilan au XIXe siècle (p.21).

Les relations culturelles entre les deux pays s’intensifient également. Les Pères lazaristes ouvrent des écoles dès le XVIIe siècle à Isfahan et à Tabriz. L’Alliance française suivra et le français devient au XIXe siècle la première langue étrangère utilisée dans les écoles et les ministères persans (p.115). Le persan emprunte au français les mots « ambulance, théâtre, restaurant, meuble, plissé » et le français adopte « balcon (balakhana), divan, sérail, paradis. » (p.17). Si Goethe dédicace son Diwan Est-Ouest à Hafez (p.243), Champollion-Figeac écrit sur l’origine historique et religieuse de la Perse (p.73), de Chézy rédige en 1806 une chrestomathie persane rassemblant des textes de Ferdowsi, Jâmi, Hafez, Anvari, Saadi, Nezâmi et Hâtefi (p.76). Victor Hugo dans Les Orientales cite longuement Zoroastre et dans Dieu, Mani (p.85). Le Shahnamé de Firdowsi aurait inspiré les romans chevaleresques (p.20) comme le suppose Ernest Fouinet qui établit une analogie des légendes de l’Europe médiévale avec celles de la Perse(p.88). Pour Madame de Lamartine, l’histoire de l’héroïsme de Rostam ressemble beaucoup à celle de l’Iliade (p.93). En 1845, Delécluze trouve une analogie marquante entre l’œuvre de Ferdowsi et celle de La Table Ronde, comparant Rostam et Roland (p.98), dont l’enfance et l’adolescence se ressemblent (p.101). Les comédies de Molière auront contribué à la naissance du théâtre persan contemporain ; Le Misanthrope est traduit en 1869 par Mirza Habib Esfahani, réfugié politique à Istanbul (p.112). Les intellectuels utilisent le théâtre de Molière comme un moyen pour critiquer la corruption politique et propager des idées progressistes (p.116). Akhond Zadeh le « Molière oriental » écrit dans les années 1850 six pièces en turc azeri qui ridiculisent les vices humains. De même Mirza Agha Tabrizi imite aussi en persan la dramaturgie de Molière (p.121). Esfahani transpose en Perse le contexte français des pièces de Molière ; ainsi les proverbes sont transcrits sous forme de citations de Hâfez (p.124). Les traducteurs ont profité de ce théâtre occidental pour créer leurs propres œuvres (p.125) qui correspondent à la formation d’une bourgeoisie intellectuelle chez qui se développent des idées réformistes et non-religieuses (p.130).

Au XIXe siècle, la musique militaire ou « Naqara Khaneh » est enseignée par l’Italien Marco Brambilla jusqu’en 1853 (p.158). Puis arrivent de Paris deux professeurs de musique, Bousquet qui enseignera la musique militaire à Dar el Funun, avec son adjoint Rouillon de l’Opéra de Paris (p.163). Ils créeront les fanfares militaires. En 1868, Alfred Lemaire (1847-1907) introduit la musique militaire française dans l’armée iranienne et forme les musiciens et les chefs d’orchestre (p.167). Nommé Chef des musiciens militaires de S.A.R. (p.177), il établit un programme de cinq ans, incluant le solfège, les études théoriques et pratiques des instruments à vent, la connaissance de la partition militaire et l’apprentissage du français (p.173). Lemaire composera le premier hymne national de l’Iran.

Des peintres flamands et néerlandais sont présents en Iran au XVIIe siècle (p.224). Sous Fath Ali Shah (1797-1834), les peintres de la Cour sont russes et français, dont Flandin disciple d’Horace Vernet (p.226). En échange, Kamal al Molk (1847-1940) qui était devenu le peintre officiel de Nasser al Din, se rendra à Paris où il se liera avec Fantin-Latour. Ses tableaux sont conservés au Musée du Parlement à Téhéran (p.232).

C’est sous Nasser Al Din Shah (1831-1896)que culminent les relations politiques et culturelles entre la Perse et la France (p.193). Ce monarque avait des talents de photographe ; le Palais du Golestan a conservé plus de 82.000 photos de sa collection ; il était peintre, poète et il écrivit ses Mémoires (p.194). Il se rendit trois fois en Europe, s’inspira des boulevards parisiens pour construire les avenues de Téhéran (p.200) et fit illustrer les manuels scolaires et universitaires pour les rendre plus attrayants (p.204).

La plupart des contributions présentent à la fin du chapitre une bibliographie importante en français, anglais et persan.