Les musulmans dans l’histoire de France : une place singulière

Recension rédigée par Christian Lochon


Nous avions en 2021 déjà recensé La Vocation civilisationnelle de l’islam dans l’Oeuvre de Malek Bennabi (Cerf 2021) de M. El Hamri, chercheur associé à l’Institut Catholique de Paris. Cette nouvelle étude chronologique de la période médiévale au XXIe siècle est une introduction à la place des musulmans dans l’histoire de France (p.119) ; elle s’adresse aux jeunes citoyens français musulmans : « En apprenant à l’école que VOS ancêtres ont contribué à la constitution de la France, à sa défense, à son développement, nous donnons à la JEUNESSE de France les clés d’une adhésion à l’histoire de France, à ses valeurs et à son avenir » (p.9). L’auteur y combat deux idées reçues : « l’islam est une religion exogène à l’identité française et européenne ; les musulmans d’Europe vivent en dehors du Dar al Islam (p.11).

Durant le Moyen-Age, après la traversée de la Mer Méditerranée et des Pyrénées entre 711 et 720, les Arabes s’emparent de plusieurs villes françaises, y installant des garnisons comme à Narbonne, Carcassonne, Nîmes, Béziers, Autun, Lyon, Avignon. (p.19). Les conflits politiques interarabes et interberbères sont expliqués mais aucune mention n’est faite des populations locales qui subissent l’occupation. La bataille de Poitiers (732) rappelle que les musulmans s’apprêtaient à piller l’Abbaye Saint-Martin de Tours (p.20). En 802, Charlemagne et Harûn al Rashid échangent des présents au cours de contacts diplomatiques. En 847, un traité est signé entre le Cordouan Abderrahmane Ier et Charles le Chauve (p.22). En 972, l’enlèvement de l’Abbé Recteur de Cluny, les guerres d’Al Mansûr contre Barcelone et St Jacques de Compostelle en 997, la destruction du St Sépulcre de Jérusalem en 1009 par les Fatimides conduisent à la détérioration des relations islamo-chrétiennes (p.24), entrainant le déclenchement des croisades jusqu’en 1291 (p.25). L’auteur insiste cependant sur le suivi des relations intellectuelles entre Arabes et Européens pendant cette période dans le domaine de la philosophie et des sciences malgré l’incompréhension dans le domaine religieux (p.31).

Au cours de la période moderne (1492-1798), au Proche-Orient, ce ne sont plus les Arabes qui dominent mais les Turcs Ottomans avec lesquels la France conservera des relations commerciales et politiques (p.37) qu’elle étendra à Oman et au Royaume safavide perse (p. 42). L’orientalisme et l’échange d’ambassadeurs entre Istanbul et Paris font connaître davantage la culture orientale et la religion musulmane (p.47).  

Durant la période contemporaine (1798-1905), l’expédition de Bonaparte en Égypte est multidimensionnelle, politique, économique, culturelle, scientifique (p.53) et suivie de la coopération fructueuse entre Mohamed Ali et les souverains français successifs. La colonisation française en Algérie conduira à l’encadrement gestionnaire de l’islam et des musulmans, imposant pour obtenir la pleine nationalité française aux ressortissants algériens de renoncer au statut personnel incluant la polygamie (p.58). Le Code de l’indigénat sera discriminatoire de 1881 à 1919 (p.59). L’Empire colonial français comprendra, vers 1900, 40 millions d’habitants, dont 20 millions de musulmans parmi lesquels 12 millions en Afrique du Nord et 7 millions en Afrique Noire (p.62). Des réformistes musulmans comme les Égyptiens Al Tahtawi et Mohamed Abdo, iranien comme Al Afghani, turc comme Ahmed Reza viendront en France comme boursiers ou comme réfugiés (p.64). Des Français, Ismayl Urbain, Etienne Dinet se convertiront à l’islam (p.65). Des espaces cultuels islamiques naissent en France (p.66). Les peintres orientalistes présentent les habitudes culturelles des musulmans (p.68).

Au XXe siècle, en 1905, est appliquée la loi de séparation des Églises et de l’État mais pas en Algérie pour des raisons sécuritaires (p.74). La Grande Mosquée de Paris est inaugurée le 15 juillet 1926 en présence du Sultan Moulay Youssef du Maroc. Un Institut de Formation des Imams y est adjoint (p.80). L’auteur décrit l’évolution politique des Maghrébins en rapport avec la montée du nationalisme ; le monde associatif prend position comme l’Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains, des Oulémas (p.85). Le Soufisme en France est porté par René Guénon, qui terminera sa vie en Égypte auprès du Cheikh Elish El Kabîr et par la Confrérie populaire Alâwiyya. Pendant la seconde guerre mondiale comme dans la première, les militaires musulmans participeront largement à la défense de la France ; les menus halal seront introduits dans l’armée (p.89). La Guerre d’Algérie de 1954 à 1962 verra les nationalistes algériens divisés entre partisans du FLN et du MNA (p.91). Après 1962, les Harkis (un million de personnes) se réfugieront en France ((p.93) et l’immigration maghrébine va être considérable, exigeant un besoin d’affirmation identitaire (p.96). L’islam devient une identité-refuge pour les musulmans en échec sur les plans sociaux et économiques (p.100). Les musulmans de Turquie, du Moyen-Orient, d’Afrique importent leurs confréries, Chaziliya, Naqchbandiya, Qadiriya, Tijaniya, Mouridiya (p.102). Les chiffres donnés par communautés nationales datent de 2001 (p.103 et 117)) ; ils ont doublé depuis. Les chaînes satellitaires comme Al Jazira du Qatar renforcent le sentiment communautaire (p.105).

Les Années 2000 voient l’institutionnalisation de l’islam de France qui prend forme avec la création du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) lequel doit régler l’organisation des carrés musulmans, la formation des imams, la question du halal. Des fédérations sont en concurrence entre elles comme les Grandes Mosquées de Paris et de Lyon, l’UOIF, la FNMF, le Ditib turc (p.110). Les musulmans de France soutiennent les Palestiniens contre l’État d’Israël (p.112). On assiste à la montée du salafisme, initié par le Tabligh (p.114). Des personnalités universitaires prennent position comme Mohamed Arkoun, Ghaleb Bencheikh, Malek Chebel, Rachid Benzine (p.114). Des institutions académiques comme l’Institut des Cultures d’Islam, des librairies comme Al Bouraq, des maisons d’édition comme Héritage se font connaitre (p.115). Après 2015, année noire des attentats commis par des djihadistes français, 2016 voit le lancement d’un fonds du Bureau Central des Cultes pour financer des projets de recherche sur l’islam en France (p.118).

Le lecteur appréciera le courage de M. El Hamri « à l’heure où les discours identitaires et de repli sur soi pullulent, de faire le pari de l’ouverture et de la cohésion à travers une histoire commune et inclusive » (p.120). Il découvrira avec intérêt les dates des évènements importants au début de chaque chapitre (p.15, 35, 51, 71, 107) ainsi que la bibliographie spécialisée p. 121,122 et 125.